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De Bénin City à la rue Saint-Denis, la traite des femmes nigérianes

Publié le 4-12-2019

Source : Dalloz actualité

Auteur : Julien Mucchielli

Extraits :

«  Du 25 novembre au 6 décembre, la cour d’assises de Paris juge six personnes, toutes d’origines nigérianes, pour traite d’êtres humains en vue de tirer un bénéfice de leur prostitution. C’est l’une des premières fois qu’un réseau de proxénétisme nigérian est jugé aux assises. Les plaidoiries et réquisitions doivent débuter ce mercredi 4 décembre.

(...)

Le premier Réseau est celui de Ruth, 33 ans aujourd’hui, qui est la sœur de Mama Precious. Ruth est à Paris depuis 2008 et, comme toutes ses compatriotes arrivées dans ces conditions, elle s’est prostituée pour rembourser sa dette de 50 000 €, alors que son voyage, par l’entremise de passeurs, n’a coûté que 5 000 €, mais le système est ainsi fait, et chaque prostituée passant proxénète le perpétue. C’est en 2014 qu’elle a fait venir Joy. Elle l’a installée dans l’appartement de deux pièces qu’elle sous-louait à Chelles (Seine-et-Marne), à un marchand de sommeil qu’elle nomme Valentin, pour 1 200 € par mois. Elle faisait payer à Joy un loyer de 250 €, du reste, il semble que c’était la somme demandée pour chacune des occupantes, bien que certains témoignages divergent. La nuit, de 18 heures à 6 heures du matin, Joy se prostituait dans le quartier de Strasbourg Saint-Denis, tout comme Rita, Cherish, Blessing et une autre Blessing et, le dimanche, elle percevait une partie de leurs recettes qui contribuait au remboursement de leur dette, fixée entre 30 000 et 40 000 €. À cela s’ajoutait l’achat de l’emplacement, que les prostituées se revendent entre elles, pour un montant de 3 000 €. Après Chelles, Ruth, enceinte, est partie vivre à Rouen, où son bébé a vu le jour. Mais elle continuait à diriger les filles sur place, par l’entremise de Lisa. Cette dernière, ancienne prostituée, était chargée de percevoir les loyers ainsi que les recettes de la prostitution, dont les sommes sont estimées à 800 € par semaine. Et que faisait Ruth ? « J’envoyais cet argent au Nigéria, pour rembourser ma dette. »

(...)

Un jour, elle n’avait pas encore cessé de se prostituer, Mama Precious lui envoie une dénommée Diana. Cette minuscule jeune femme aux longs cheveux vert fluo, qui pensait être coiffeuse à Paris, raconte à la cour son périple à travers l’Afrique, la semaine de barque en méditerranée, sans manger ni boire, dit-elle, avant d’échouer en Italie. Angel envoie Sweet chercher Diana. C’est Charles qui fournit les billets de train, et qui accueille les deux jeunes femmes à Paris. Diana a affirmé à Sweet qu’elle avait 17 ans. « Et vous l’avez crue ? », demande le président. Non, elle ne l’a pas crue. « Ça ne m’a pas étonné, car les gens sont petits au Nigéria », a répondu Angel, quand le président lui a demandé ce qu’elle pensait de la physionomie de Diana. « Mais ce n’est pas une question de taille, on a vu une photo de 2015, c’est une gamine !

— On a discuté, elle paraissait majeure, sinon, elle aurait jamais fait ça. »

D’après Angel, toutes les filles qui prétendent ne pas savoir qu’elles allaient se prostituer en France mentent. « Elle savait bien qu’elle allait se prostituer, Diana, elle vient ici pleurer, mais je suis désolée, elle et toutes les autres filles savaient », abonde Sweet. C’est acquis : tout le Nigéria est au courant de cette pratique. « Vous étiez peut-être la seule à Bénin City qui ignorait ce que les femmes faisaient quand elles partaient dans ces conditions ! », a lancé une avocate de la défense à Queen, l’une des filles d’Angel.

Mais Diana dit qu’elle ne savait pas, quand elle est arrivée en France à l’âge de 10 ans, qu’elle allait devoir se prostituer dans les rues de Paris. Diana est cette toute petite femme, qui s’est prostituée en 2014 pour le compte d’Angel, assistée de Sweet, à qui elle devait rembourser 35 000 €. Diana retient toute l’attention de la cour, car c’est par son témoignage qu’a débuté l’enquête.

Le 13 février 2015, elle est interpellée sur son lieu de travail pour racolage. Courant 2014, elle avait déjà été contrôlée à deux reprises, mais elle avait menti sur son âge, et les policiers l’avaient laissée repartir. Cette fois-ci, elle se retrouve au commissariat du IIe arrondissement, déclare comme à son habitude être née en 1994, avant d’être transférée au centre de rétention de Vincennes, où elle a annoncé avoir des informations à donner sur sa proxénète, ce qui a intéressé la brigade de protection des mineurs. Tout d’abord, un examen de détermination d’âge osseux a conclu qu’elle avait 15 ans, alors que Diana affirmait désormais être née en juillet 2003, ce qui lui ferait 11 ans et demi, et c’est l’âge retenu par le dossier, compte tenu de la fiabilité relative de ces examens (c’est une hypothèse), et tant Diana paraît jeune, encore ce mercredi 27 novembre, lorsqu’elle raconte son histoire en français, et non en anglais, comme les autres parties civiles. « J’ai commencé dans le bois de Vincennes, avec une amie d’Angel qui avait une voiture, et puis je suis allée à Strasbourg-Saint-Denis quand il y a eu une place pour moi. » Et alors, comment se déroulait son quotidien, que devait-elle faire ? « On est dans la rue, on attend le client et voilà.

— Aviez-vous beaucoup de clients ?

— Parfois deux ou trois par nuit, mais ça pouvait aller jusqu’à vingt. »

Diana avait beaucoup de succès, car « les clients aimaient bien les filles petites » (ce qui ne signifie pas qu’ils aimaient les enfants, mais les petits gabarits, est-il précisé).

(...)

Diana raconte sa vie de prostituée, les sommes qu’elle devait verser chaque semaine. Angel la surveillait de près, la menaçait et, parfois, elle la frappait, Sweet et Joe peuvent en témoigner. Depuis la barre de la cour d’assises, l’ancienne prostituée, qui désormais rêve d’être cheffe de cuisine, émeut les jurés et les deux accusées du box, qui encourent vingt ans de réclusion criminelle, la regardent tristement.  »

Voir en ligne : https://www.dalloz-actualite.fr/fla...