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Les exclus de la protection de l’enfance

Extrait de l’ouvrage "Les enfants peuvent bien attendre" Unicef France

Publié le mardi 19 janvier 2016 , mis à jour le mardi 19 janvier 2016

Source : https://www.unicef.fr

Auteur : Olivier PEYROUX Sociologue, spécialiste de la thématique des mineurs migrants et de la traite des êtres humains*

« « Mineurs isolés étrangers », « enfants roms », « mineurs victimes de traite des êtres humains » derrière ces termes qui renvoient à des situations de vulnérabilité se cachent des mineurs en réel danger qui échappent en partie ou en totalité à la protection de l’enfance classique. Si ce paradoxe au regard de la Convention internationale des droits de l’enfant ou de la loi sur l’enfance en danger du 5 mars 2007 semble ne plus alerter, il révèle la présence de stéréotypes qui traversent la société tout comme une partie des professionnels de l’enfance. Ce texte revient sur les pratiques récentes qui ont abouti à la construction de ces représentations pesant chaque jour davantage sur le sort des enfants en danger.

Pour commencer, intéressons-nous aux changements qu’a connu l’accueil des mineurs isolés étrangers au cours de ces 15 dernières années. À partir des années deux mille, dans les grandes agglomérations européennes, « les MIE » comme on les appelle en France, voient leur nombre augmenter chaque année. En 2009 le groupe de travail en charge de la question évalue leur nombre entre 4 000 et 6 000. En 2014, ils seraient entre 8 000 et 10 000 (1). Si cette augmentation est relativement importante rapportée à l’ensemble des enfants accueillis au sein des aides sociales à l’enfance, environ 300 000 (2), même si tous les MIE étaient pris en charge, ce qui est loin d’être le cas, ils représenteraient moins de 4 % des prises en charge.

Au début des années deux mille, l’État à travers la mise en place du dispositif dit « Versini » (3) et surtout les conseils généraux les plus exposés (Seine-Saint-Denis et Paris) ont cherché à s’adapter à ces nouveaux publics en augmentant leur capacité d’accueil et en développant des partenariats avec des associations (4) afin de permettre à ces jeunes de suivre des formations diplômantes. Malgré leur diversité, la grande majorité de ces fameux MIE, une fois pris en charge, ont validé leur cursus scolaire sans poser de difficultés particulières (5). Pour la collectivité tout entière cet effort financier (6), respectueux des grands principes de la protection de l’enfance, était un investissement bénéfique. Ces jeunes étaient formés dans des secteurs dits en « tension » c’est-à-dire là où le déficit de main-d’œuvre était important. Détenteurs d’un travail déclaré ils obtenaient un titre de séjour leur permettant de rester légalement sur le territoire.

Au bout de quelques années, en raison de l’absence de répartition de l’effort financier entre les départements, à peine une dizaine devait assumer la prise en charge de l’ensemble de ces mineurs, les conseils généraux les plus impactés ont cherché à limiter les coûts des prises en charge. Ils ont opté pour des dispositifs, pour les plus de 16 ans, cinq à dix fois moins chers qu’une place dans un foyer de l’enfance classique mais n’offrant aucun débouché dans la société. Dans ces nouvelles structures dédiées aux MIE le suivi éducatif se résume à une visite hebdomadaire par un « accompagnant social », terme masquant un personnel non diplômé et peu payé, pour remettre au jeune son argent de poche. Ces « mises à l’abri » ne débouchent quasiment jamais sur l’inscription de ces mineurs dans un cursus scolaire ou professionnel diplômant. Par ailleurs, l’absence de mixité avec des jeunes français freine considérablement l’apprentissage de la langue et des codes de la société. Ainsi, plutôt que de rester 2 ans dans un hôtel social avant de se retrouver dans une situation de clandestinité à 18 ans, de nombreux mineurs décident de fuguer donnant l’impression qu’ils sont réfractaires à toute prise en charge institutionnelle. Par ailleurs, dans les grandes villes, les filtres pour l’entrée dans le dispositif de protection se multiplient. Ils s’assimilent de plus en plus aux méthodes utilisées pour sélectionner les demandeurs d’asile. Les opérateurs publics et parfois associatifs cherchent à déterminer l’âge du mineur, la présence de faux papiers, la cohérence du discours, la véracité de l’isolement (7), etc.

En septembre 2011, le Conseil général de Seine-Saint-Denis décide unilatéralement de suspendre l’accueil des primo-arrivants. Après une série de confrontations entre l’État et les collectivités locales au détriment des MIE, la garde des Sceaux tente en 2013 de mettre en place un protocole, par voie de circulaire, concernant la répartition de ces mineurs sur tout le territoire. L’avis de la CNCDH sur ce nouveau dispositif est sans appel : « il convient de rappeler qu’une simple circulaire ne peut résoudre à elle seule les problèmes importants auxquels sont confrontés à la fois les MIE et les structures qui les accueillent. Il est donc urgent que les pouvoirs publics s’engagent dans une politique d’envergure par une approche non segmentée des problématiques ». La CNCDH exige que « les MIE bénéficient « réellement » de l’ensemble des droits reconnus à tout enfant présent sur le territoire français, des droits non pas théoriques et illusoires, mais concrets et effectifs ». Ainsi les MIE, où derrière le terme administratif se cachent des enfants en situation de traumatisme, d’exploitation, victimes de violence, etc., ont glissé en quelques années de la catégorie enfants à protéger dotés d’une capacité de résilience et d’intégration étonnante d’après les responsables de foyers qui les ont accueillis à celle de mineurs suspects de vouloir profiter du système et dont leur avenir sera la clandestinité. Concernant la situation des enfants vivant en bidonville, le constat demeure majoritairement celui de leur non prise en compte. Malgré leurs conditions de vie, chaque année plus d’une dizaine de décès d’enfants sont répertoriés. Malgré l’ancienneté de cette problématique, les premiers bidonvilles de ce type sont apparus il y a 25 ans, il n’existe pas en France d’équipes dédiées de l’ASE (Aide sociale à l’enfance) capables de se rendre sur place afin d’accomplir correctement les missions de protection de l’enfance. Ainsi, lorsque des situations d’enfance en danger sont signalées par des associations, des médecins ou des professionnels de la PMI, les CRIP (Cellule de recueil des informations préoccupantes) qui dépendent de l’ASE ne disposent pas de personnel capable d’aller à la rencontre de l’enfant et de sa famille pour effectuer les évaluations nécessaires.

Pour tenter de comprendre cette exclusion de facto de ces enfants du champ de la protection de l’enfance, il faut rappeler que depuis l’apparition des premiers bidonvilles, les populations qui y vivent font l’objet de dispositifs administratifs spécifiques relevant d’une terminologie renforçant un certain nombre de préjugés. Le dernier exemple est la circulaire du 26 août 2012 qui qualifie l’habitat précaire des populations pauvres d’Europe de l’Est, composées en grande majorité de Roms mais pas uniquement, de « campements illicites » renvoyant implicitement au nomadisme et à la marginalité associée dans notre imaginaire aux « Roms ». Ces représentations sont renforcées par des pratiques administratives qui consistent à déplacer continuellement ces populations, empêchant tout suivi sanitaire et administratif. Cette politique, qui s’est intensifiée sous le gouvernement actuel va à l’encontre du principe de l’obligation scolaire, faisant pourtant partie des droits fondamentaux. D’après l’étude du collectif Romeurope (8) moins de la moitié des enfants roms vivants en France, en âge d’être scolarisés le sont. La principale raison n’est pas due à des parents réfractaires mais provient du refus de nombreuses municipalités, toutes couleurs politiques confondues, d’inscrire ces enfants par peur de pérenniser l’installation des « Roms » sur leur commune. Il faut préciser que la majorité des familles présentes dans les bidonvilles ont scolarisé leurs enfants à l’école primaire en Roumanie ou en Bulgarie. Elles ne sont donc pas culturellement hostiles à l’école. Pour lutter contre cette déscolarisation qui va à l’encontre des principes constitutionnels, la première étape serait de garantir la stabilisation. Or, chaque année les expulsions de terrains sont plus nombreuses. En 2013, la Ligue des Droits de l’Homme a recensé 21537 personnes déplacées sur une population d’environ 17000 personnes (9). Cela signifie qu’en moyenne les personnes restent moins d’un an sur un lieu donné, les obligeant à refaire des démarches administratives, des réinscriptions à l’école, etc. Cette situation demeure propre à la France, au Royaume-Uni, en Espagne, en Allemagne, etc., ces mêmes mineurs sont scolarisés sans pour autant mettre en péril l’enseignement. C’est d’ailleurs le même constat qui prévaut en France parmi les enseignants qui les accueillent dans leur classe, ces enfants ne présentent pas des problèmes d’adaptation particuliers au niveau du primaire. Concernant le collège et le lycée, chez certains parents appartenant à des groupes roms plus fermés, des réticences existent notamment pour les filles. Ces réticences ne sont pas propres à ces groupes, d’autres populations vivant en France les partagent sans pour autant que cela puisse justifier à leur égard le renoncement à l’obligation scolaire.

Ainsi, en raison d’a priori régulièrement réactivés, y compris par des pratiques administratives, les enfants des bidonvilles dont le nombre est estimé entre 8000 et 10000 se voient refuser régulièrement l’accès à l’éducation et à la protection de l’enfance.

Enfin pour terminer intéressons-nous au cas des mineurs victimes de traite qui par définition devraient relever d’une protection. Lorsqu’on regarde la réactivité des États européens à mettre en œuvre leurs obligations (10) et à adapter leur système de protection de l’enfance à ce phénomène on constate que ce sujet est loin d’être prioritaire. Pour mieux comprendre cette faible motivation allant à l’encontre de « l’intérêt supérieur de l’enfant » il faut s’intéresser au profil des victimes les plus visibles médiatiquement. En France, comme dans les autres pays d’Europe de l’Ouest, il existe des enfants victimes de nationalités très diverses subissant des formes d’exploitation variées. Malgré cette diversité, la très grande majorité des articles et reportages se focalisent sur les enfants contraints à voler, perçus essentiellement comme des voleurs et non des victimes nécessitant une protection adaptée. En s’inspirant des travaux de Milena Jaksic (11), pour être considéré par l’opinion publique comme une véritable victime l’enfant doit exprimer les marques de la soumission, de la résignation et de la souffrance infligées par ses bourreaux.

À l’opposé de cette figure imaginaire, la « fausse » victime est celle qui vole les personnes, qui trompe les institutions, bref qui nuit par son comportement à la société. Lorsque s’ajoutent des a priori négatifs liés à la nationalité ou à l’appartenance à certaines minorités comme les Roms, on comprend malheureusement le peu d’empressement des responsables politiques à défendre les droits des victimes considérées comme suspectes du fait de leur origine et coupables en raison du mode d’exploitation (contraintes à commettre des délits) qu’elles subissent. Elles deviennent alors pour la société uniquement des délinquants qu’il faut condamner lourdement. Ce sentiment se reflète dans les décisions de justice. Ainsi en 2011, une jeune fille de 15 ans, dont les éducateurs de la PJJ ont observé plusieurs indicateurs d’exploitation et de traite, effectua 16 mois de prison ferme pour 9 vols de téléphone portable. Cette situation fut loin d’être une exception comme l’ont relevé les experts du Conseil de l’Europe dans leur rapport sur la France : « Le GRETA exhorte les autorités françaises à prendre toutes les mesures appropriées afin que la possibilité prévue en droit interne de ne pas imposer de sanctions aux victimes pour avoir pris part à des activités illicites lorsqu’elles y ont été contraintes soit respectée conformément à l’article 26 de la Convention, eu égard à la grave violation des droits humains que les victimes ont subie. » (12)

À travers ces trois exemples qui touchent des milliers de mineurs en France, cette contribution cherche à alerter sur le glissement qui s’est opéré d’une politique de l’enfance en danger reposant sur des principes universels vers des pratiques amenant à exclure ou sélectionner les enfants à protéger en fonction des stéréotypes ambiants. Or, les conflits en Afrique et au Moyen-Orient tout comme l’accroissement des inégalités dans le monde font que le nombre d’enfants en danger venus d’ailleurs ne va pas cesser d’augmenter. Refuser de s’adapter à ces nouveaux publics qui comme on l’a vu est loin d’être insurmontable, refuser de payer pour des enfants n’ayant pas la bonne nationalité ou exclure ceux qui ne correspondent pas à notre imaginaire de « victime » c’est vouloir renoncer d’emblée à construire un avenir en commun…

* Note de l’éditeur : En parallèle de ses engagements associatifs, Olivier Peyroux a effectué différentes missions de consultance au sein d’organisations nationales et internationales (OSCE, UE, MAE…). Il est formateur pour de nombreux organismes et est expert judiciaire auprès du Tribunal de Nancy. En 2013, il publie un livre « Délinquants et Victimes, la traite des enfants d’Europe de l’Est en France ». Il obtient le prix Caritas – Institut de France pour cette recherche. Dans le cadre de l’association Trajectoires, il effectue régulièrement des études de terrain pour l’appui aux collectivités locales sur la question des bidonvilles.

1. Bien que ce nombre soit cité par la plupart des acteurs, il demeure estimatif, les données officielles au sujet des mineurs isolés étrangers étant trop parcellaires pour permettre de s’accorder sur un nombre plus précis
2. Chiffres de l’Observatoire national de l’enfance en danger qui comptabilise 280 000 mineurs et 21 500 jeunes majeurs pris en charge par l’ASE
3. « Dispositif pilote d’État en région parisienne » fi nançant à partir de 2004, à hauteur de 3 millions par an, plusieurs associations en charge du repérage et de la mise à l’abri des mineurs isolés étrangers
4. Notamment avec les orphelins apprentis d’Auteuil
5. C’est notamment ce que met en évidence l’étude de Régis Bigot. 90 % des mineurs roumains passés par l’Aide Sociale à l’Enfance suivaient assidûment une formation. Parmi eux, sur 66 ayant déclarés avoir pratiqué des activités délictuelles ou dangereuses seuls 5, une fois pris en charge par l’ASE, connurent des problèmes avec la justice. Article de R. Bigot, in E-Migrinter, n° 2, dossier spécial consacré à la migration des mineurs non accompagnés en Europe, coordonné par Daniel Senovilla-Hernandez, Poitiers, 2008
6. À partir du moment où un MIE entre dans un foyer de l’enfance son prix de journée, comme pour n’importe quel autre mineur, sera aux alentours de 200 euros. Cette prise en charge pour lui permettre, par exemple, de finir sa formation peut être prolongée jusqu’à ses 21 ans
7. Le rapport de l’ADJIE sorti en 2013 « Permanence d’accueil et d’orientation des mineurs isolés étrangers (PAOMIE) : une moulinette parisienne pour enfants étrangers » qui a collecté les motifs écrits de refus reçu par les jeunes s’étant présenté à la PAOMIE est très révélateur de ces pratiques
8. www.romeurope.org
9. Selon l’état des lieux réalisé fin 2013 par la Délégation Interministérielle à l’Hébergement et l’Accès au Logement (DIHAL)
10. La directive UE/2011/36 portant sur une meilleure protection des victimes de la traite des êtres humains devait être transposée au plus tard le 6 avril 2013 dans les législations nationales des États membres. À cette date, 21 États membres, dont les principaux pays d’Europe de l’Ouest, n’avaient pas satisfait à cette obligation. En France, une première transposition en droit national eut lieu en août 2013
11. Milena Jaksic, « Figure de la victime de la traite des êtres humains : de la victime idéale à la victime coupable. » In Cahiers internationaux de sociologie, 2008, vol. 124, pp. 127-146
12. Paragraphe 216 du rapport du Groupe d’Experts sur la lutte contre la traite des êtres humains du Conseil de l’Europe, concernant la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains par la France, Premier cycle d’évaluation, Strasbourg, janvier 2013 »

Article disponible en PDF page 65

Voir en ligne : https://www.unicef.fr/contenu/espac...


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