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Conseil d’Etat – Ordonnance N°469133 du 12 décembre 2022 – Loi du 7 février 2022 – Le droit à une prise en charge pour les jeunes majeurs remplissant les conditions de l’article L. 222-5 du CASF constitue une liberté fondamentale au sens de l’article L.521-2 du code de justice administrative – Le département est enjoint de proposer un « contrat jeune majeur » à l’intéressé

Publié le : mercredi 14 décembre 2022

Résumé :

Le Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L.521-2 du code de justice administrative ("référé-liberté"), enjoint au département de l’Ariège de proposer à l’intéressé un "contrat jeune majeur" dans les plus brefs délais.

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat réaffirme que depuis la loi du 7 février 2022, l’article L. 222-5 du CASF instaure un droit à une nouvelle prise en charge pour les jeunes majeurs de moins de vingt et un ans ayant été confiés à l’ASE durant leur minorité lorsqu’ils ne disposent pas de ressources ou d’un soutien familial suffisants (voir également sur ce point : Conseil d’Etat – Ordonnance N°468365 du 15 novembre 2022 ; Conseil d’Etat – Ordonnance N°468184 du 28 novembre 2022).

Le Conseil d’Etat retient ensuite que le refus de prise en charge opposé à l’intéressé constitue une carence caractérisée dans l’accomplissement par la présidente du conseil départemental de la mission qui lui incombe en vertu des dispositions de l’article L. 222-5 du CASF et porte, au regard des conséquences qui en découlent pour l’intéressé, une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit à une prise en charge au titre de l’ASE du jeune majeur qui remplit les conditions de l’article L.222-5 du CASF (liberté fondamentale consacrée précédemment par le Conseil d’Etat – voir les ordonnances mentionnées ci-dessous – mais ici explicitée de manière plus claire).

En effet, le département était légalement tenu de poursuivre la prise en charge de l’intéressé, ce dernier ayant été confié à l’ASE pendant sa minorité et ne bénéficiant d’aucun soutien familial, d’aucune ressource ni d’aucune solution d’hébergement. Le Conseil d’Etat précise ici qu’il appartient au département de compléter avec lui le projet d’accès à l’autonomie de manière adaptée à ses besoins et à sa situation (article R. 222-6 du CASF) sans que puisse lui être opposé le refus de titre de séjour ainsi que l’OQTF dont il a fait l’objet tant que cette mesure n’a pas fait l’objet d’une exécution spontanée ou forcée.

Par ailleurs, le fait que la présidente du conseil départemental se soit engagée - la veille de l’audience au Conseil d’Etat - à proposer à l’intéressé un hébergement et une aide financière ne rend pas sans objet la demande d’injonction puisque cette proposition ne couvrirait que partiellement les besoins de l’intéressé (refus d’accompagnement dans le cadre de la poursuite de sa scolarité et de ses démarches administratives) et ne correspondrait ainsi pas à l’approche globale des besoins des jeunes majeurs ayant droit à une prise en charge dans le cadre d’un "contrat jeune majeur".

Enfin, le Conseil d’Etat retient que la condition d’urgence est ici constituée, notamment au regard de la nature et de l’importance des besoins de l’intéressé qui reste non satisfaits par la réponse du département.

RAPPEL : Référé-liberté

Article L.521-2 du code de justice administrative  :

« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures.  »

RAPPEL : Droit à une prise en charge pour les jeunes de moins de vingt-et-un ans confiés à l’ASE avant leur majorité, ne disposant pas de ressources ou d’un soutien familial suffisants


« La loi du 7 février 2022 a créé un droit au maintien de la prise en charge pour les jeunes confiés à l’ASE avant leur majorité et qui ne disposent pas encore, une fois celle-ci atteinte, de ressources ou d’un soutien familial suffisant. Dans cette hypothèse, les départements ne disposent plus, comme par le passé, d’un large pouvoir d’appréciation leur permettant de fixer des critères extralégaux, notamment en termes d’exigences de scolarisation, de formation ou de perspectives d’insertion rapide. Seuls les besoins du jeune conditionnent le maintien ou la réactivation de sa prise en charge par l’ASE. »

Pour plus de précisions voir : ADDENDUM du 26 juillet 2022 à l’édition 2020 du cahier juridique « Quelles aides pour les jeunes majeurs isolés ? - Co-édition Aadjam / Gisti / InfoMIE »


Extraits de l’ordonnance :

« 6. Il résulte, d’une part des dispositions de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles que, depuis l’entrée en vigueur du I de l’article 10 de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, qui a modifié cet article sur ce point, les jeunes majeurs de moins de vingt et un ans ayant été pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance d’un département avant leur majorité bénéficie d’un droit à une nouvelle prise en charge par ce service, lorsqu’ils ne disposent pas de ressources ou d’un soutien familial suffisants.

[...]

9. Le département de l’Ariège, qui a pris en charge M. A au titre de l’aide sociale à l’enfance jusqu’à sa majorité, est, dès lors qu’il est constant que celui-ci ne bénéficie d’aucun soutien familial, d’aucune ressource et d’aucune solution d’hébergement, légalement tenu de poursuivre cette prise en charge. [...].

10. Il résulte de l’instruction que la présidente du conseil départemental de l’Ariège s’est engagée la veille de l’audience, à proposer sans délai à M. A un hébergement et l’octroi d’une aide financière pour assurer sa subsistance et son habillement [...]. Toutefois, [...], elle a maintenu, en revanche, son refus de prise en charge des autres besoins propres à M. A, en particulier ceux relatifs, d’une part, à la poursuite de la formation qualifiante qu’il a engagée avec assiduité pendant sa minorité et, d’autre part, celle d’un accompagnement dans les démarches administratives d’authentification des documents d’état civil requise par l’autorité préfectorale, lesquels présentent pourtant, dans les circonstances de l’espèce, une dimension essentielle pour l’intéressé. Une telle distinction conduit à remettre en cause l’approche globale des besoins des jeunes majeurs relevant du 5° de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles, formalisée par la signature du « contrat jeune majeur ». Dans ces conditions, la proposition de satisfaction partielle des besoins par le département de l’Ariège ne rend pas sans objet la demande d’injonction qui porte, conformément aux dispositions de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles, sur une réponse qui doit être globale et adaptée aux besoins de M. A, notamment au regard des dispositions de l’article R. 222-6 de ce code.

11. Ainsi, le refus de la prise en charge globale des besoins essentiels du jeune majeur tels qu’ils ont été décrits au point précédent révèle, dans les circonstances de l’espèce, une carence caractérisée dans l’accomplissement par la présidente du conseil départemental de la mission qu’elle tient des dispositions de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles. Eu égard aux conséquences qui en découlent pour l’intéressé, le refus d’une telle prise en charge constitue, alors même que M. A se trouve, à la date de la présente ordonnance, en situation irrégulière sur le territoire français, une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit à une prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance du jeune majeur qui remplit les conditions de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles.

[...]

12. Eu égard à la nature et à l’importance des besoins spécifiques de M. A qui restent non satisfaits par la réponse partielle de l’autorité départementale et de la possibilité pour le juge des référés de mettre en œuvre à bref délai les mesures appropriées pour qu’il y soit remédié, conformément aux dispositions des articles L. 222-5 et R. 222-6 du code de l’action sociale et des familles, la condition d’urgence doit également être regardée, dans les circonstances de l’espèce, comme remplie.

[…].  »


Voir l’ordonnance au format PDF :

Conseil d’Etat – Ordonnance N°469133 du 12 décembre 2022