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Conseil d’Etat – Ordonnance N°469352 du 15 décembre 2022 – Référé-liberté – Le département du Gard est enjoint de reprendre l’accueil provisoire de l’intéressé se déclarant mineur et isolé sur le territoire français, jusqu’à intervention de la décision du juge des enfants

Publié le : mardi 3 janvier 2023

Résumé :

Le Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative (« référé-liberté »), enjoint au département du Gard de reprendre l’accueil provisoire de l’intéressé, qui se déclare mineur et isolé sur le territoire français, jusqu’à intervention de la décision du juge des enfants (et au plus tard jusqu’à sa majorité).

Le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord qu’il appartient au juge du référé, saisi dans le cadre d’un « référé-liberté », d’enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire lorsqu’il lui apparaît que l’appréciation portée par le département sur l’absence de qualité du mineur isolé de l’intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité (voir l’encadré de « rappel » ci-dessous).

En l’espèce, la juge des enfants de Nîmes avait confié l’intéressé à titre provisoire à l’ASE du Gard dans l’attente des résultats de vérification de ses documents d’état civil. A l’issue de cette période de placement provisoire et en l’absence de décision judiciaire ordonnant sa prolongation, le département a mis fin à sa prise en charge.

Le Conseil d’Etat relève tout d’abord que le rapport d’évaluation réalisé par le département, qui écarte la minorité de l’intéressé, repose pour l’essentiel sur l’attitude de ce dernier durant l’entretien et sur les difficultés dans la conduite de celui-ci. Par ailleurs, il souligne que c’est en raison du doute ne permettant pas d’écarter la minorité de l’intéressé que la juge des enfants avait ordonné, dans l’attente de la vérification des documents, qu’il soit confié provisoirement à l’ASE et que rien n’indique que l’absence de prorogation de cette mesure résulterait d’une réévaluation de son âge. Dans ces circonstances, alors que l’expertise sur les documents d’état civil n’a pas encore été rendue et que l’intéressé se trouve, du fait de la décision du département, dépourvu de tout soutien, d’un hébergement et de toute prise en charge de ses besoins, le Conseil d’Etat retient que le département a porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

RAPPEL – Le référé-liberté – Article 521-2 du code de justice administrative

« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »

RAPPEL – La compétence du juge administratif

Par une décision de principe du 1er juillet 2015, le Conseil d’État a déclaré incompétent le juge administratif pour examiner le refus du Conseil départemental d’admettre un mineur isolé étranger à l’ASE au motif qu’il existait une voie de recours devant le juge des enfants.

TOUTEFOIS, dans certains cas la saisine du Tribunal administratif demeure possible. Notamment :

• Le Conseil d’Etat confère aux mineurs la capacité d’effectuer des référés-liberté devant le juge administratif lorsqu’un département refuse de les prendre en charge malgré la décision judiciaire les y contraignant. Voir : Conseil d’Etat, 12 mars 2014, n°375956 ainsi que quatre décisions du 27 juillet 2016. (Dans certaines conditions, le juge peut également prononcer une injonction à l’égard de l’autorité de police générale).

• Surtout, en 2020, le Conseil d’Etat a ouvert la possibilité de faire appel au juge des référés pour des mineurs en recours devant le juge des enfants, afin de demander le prolongement de leur accueil provisoire, en affirmant qu’ : «  il appartient toutefois au juge du référé, statuant sur le fondement de l’article L 521- 2 du code de justice administrative, lorsqu’il lui apparait que l’appréciation portée par le département sur l’absence de qualité de mineur isolé de l’intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité, d’enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire ». (Voir : Conseil d’Etat, 4 juin 2020, n°440686).


Extraits de l’ordonnance :

« 7. Il appartient toutefois au juge du référé, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, lorsqu’il lui apparaît que l’appréciation portée par le département sur l’absence de qualité de mineur isolé de l’intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en danger de sa santé ou de sa sécurité, d’enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire.

[…].

10. [...] si l’évaluation à laquelle il a été procédé en application des dispositions de l’article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles fait mention d’incohérences dans le discours de M. T. et d’un positionnement semblant être celui d’un adulte et conclut à l’absence de justification d’une mesure d’assistance éducative, il en ressort que cette conclusion repose pour l’essentiel sur l’attitude de l’intéressé durant l’entretien et les difficultés dans la conduite de celui-ci. Par ailleurs, la juge des enfants du tribunal judiciaire de Nîmes, statuant à l’issue d’une audience à laquelle a participé M. T. , a estimé que « la physionomie de M. T. ne permet pas de lui donner un âge certain » et qu’ « aucun élément de nature à démontrer le caractère falsifié de ses documents d’état civil n’a été rapporté » et a, en conséquence du doute persistant ne permettant pas d’écarter sa minorité, ordonné, dans l’attente de la vérification des documents d’état civil, que l’intéressé soit confié provisoirement auprès de l’aide sociale à l’enfance du Gard pour lui assurer une pris en charge adaptée à un mineur. Il ne résulte pas de l’instruction que l’absence de prorogation de cette mesure provisoire résulterait d’une réévaluation de la situation de M. T. et notamment de son âge. Dans ces circonstances particulières, et alors que, d’une part, l’expertise concernant les documents d’état civil n’a pas été rendue à ce jour et que, d’autre part, comme confirmé à l’audience, l’intéressé est dépourvu de tout soutien et se trouve privé d’hébergement et de toute prise en charge de ses besoins essentiels, le département du Gard doit, en l’état de l’instruction, être regardé comme ayant porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. La condition d’urgence n’étant pas contestée, M. T. est fondé à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes a refusé de faire droit à sa demande relative à la reprise de son accueil provisoire.

[…]. »


Voir l’ordonnance au format PDF :

Conseil d’Etat – Ordonnance N°469352 du 15 décembre 2022