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Cour administrative d’appel de Douai - 3ème chambre - Arrêt N°22DA02407 du 6 juin 2023 – Annulation OQTF et maintien en rétention administrative d’une personne se déclarant mineure isolée et présentant des indicateurs de traite des êtres humains – Vice de procédure - Les services de police auraient dû lui apporter l’information prévue par l’art. R.425-1 du CESEDA

Publié le : jeudi 24 août 2023

Résumé :

La CAA rejette la requête du préfet visant à annuler le jugement par lequel le TA de Rouen a annulé les arrêtés portant OQTF, IRTF, ordonnant le maintien en rétention administrative et refusant l’admission au séjour au titre de l’asile de l’intéressée, ressortissante de nationalité vietnamienne se déclarant mineure non accompagnée, interpellée en zone d’accès restreint du port de Calais.

La CAA rappelle en effet que l’art. R. 425-1 du CESEDA charge les services de police d’une mission d’information, à titre conservatoire et préalablement à toute qualification pénale, des victimes potentielles de faits de traite d’êtres humains. Ainsi, lorsque ces services ont des motifs raisonnables de considérer que la personne étrangère pourrait être reconnue victime de tels faits, il leur appartient d’informer cette dernière de ses droits en application de cet article.

En l’espèce, la CAA retient que si l’intéressée n’a pas expressément indiqué aux services de police être victime de traitre des êtres humains, compte-tenu de sa nationalité et de la notoriété de l’existence de réseaux de traite d’êtres humains dans son pays d’origine, de son jeune âge, des contradictions de ses déclarations sur sa date de naissance, de son attitude passive et de son refus d’expliquer pourquoi elle est montée dans le camion dont elle a affirmé ne pas connaître la destination et plus généralement du caractère lacunaire et flou de ses explications, ces éléments auraient dû raisonnablement conduire les services de police à envisager qu’elle soit victime de traite des êtres humains au sens de l’art 225-4-1 du code pénal et à lui apporter l’information prévue par le CESEDA. Ce vice de procédure est de nature à entacher d’illégalité l’arrêté du préfet emportant OQTF et IRTF, ainsi que par voie de conséquence, la décision de maintien en rétention.


Voir les observations du Défenseur des droits : Décision 2023-107 du 2 mai 2023

Voir dans le même sens : Cour administrative d’appel de Douai - 3ème chambre - Arrêt N°22DA02406 du 6 juin 2023

RAPPEL – Séjour - Victime de traite des êtres humains


Art. L.425-1 du CESEDA :
« L’étranger qui dépose plainte contre une personne qu’il accuse d’avoir commis à son encontre des faits constitutifs des infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme, visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal, ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions, se voit délivrer, sous réserve qu’il ait rompu tout lien avec cette personne, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d’une durée d’un an. La condition prévue à l’article L. 412-1 n’est pas opposable.
Elle est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d’être satisfaites. »


Art. R. 425-1 du CESEDA :
« Le service de police ou de gendarmerie qui dispose d’éléments permettant de considérer qu’un étranger, victime d’une des infractions constitutives de la traite des êtres humains ou du proxénétisme prévues et réprimées par les articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal, est susceptible de porter plainte contre les auteurs de cette infraction ou de témoigner dans une procédure pénale contre une personne poursuivie pour une infraction identique, l’informe :
1° De la possibilité d’admission au séjour et du droit à l’exercice d’une activité professionnelle qui lui sont ouverts par l’article L. 425-1 ;
2° Des mesures d’accueil, d’hébergement et de protection prévues aux articles R. 425-4 et R. 425-7 à R. 425-10 ;
3° Des droits mentionnés à l’article 53-1 du code de procédure pénale, notamment de la possibilité d’obtenir une aide juridique pour faire valoir ses droits.
Le service de police ou de gendarmerie informe également l’étranger qu’il peut bénéficier d’un délai de réflexion de trente jours, dans les conditions prévues à l’article R. 425-2, pour choisir de bénéficier ou non de la possibilité d’admission au séjour mentionnée au 1°.
Ces informations sont données dans une langue que l’étranger comprend et dans des conditions de confidentialité permettant de le mettre en confiance et d’assurer sa protection.
Ces informations peuvent être fournies, complétées ou développées auprès des personnes intéressées par des organismes de droit privé à but non lucratif, spécialisés dans le soutien aux personnes prostituées ou victimes de la traite des êtres humains, dans l’aide aux migrants ou dans l’action sociale, désignés à cet effet par le ministre chargé de l’action sociale. »


Extraits de l’arrêt :

« […].

7. Les dispositions de l’article R. 425-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile chargent les services de police d’une mission d’information, à titre conservatoire et préalablement à toute qualification pénale, des victimes potentielles de faits de traite d’êtres humains. Ainsi, lorsque ces services ont des motifs raisonnables de considérer que l’étranger pourrait être reconnu victime de tels faits, il leur appartient d’informer ce dernier de ses droits en application de ces dispositions. En l’absence d’une telle information, l’étranger est fondé à se prévaloir du délai de réflexion pendant lequel aucune mesure d’éloignement ne peut être prise, ni exécutée, notamment dans l’hypothèse où il a effectivement porté plainte par la suite.

8. Il ressort des pièces du dossier que Mme A, de nationalité vietnamienne, a été entendue par les services de police le 13 septembre 2022, alors qu’elle venait d’être interpellée dans la zone d’accès restreint du port de Calais. Elle n’a pas expressément indiqué aux services de police être victime de traite d’êtres humains ou de proxénétisme. Toutefois, compte-tenu de sa nationalité et de la notoriété de l’existence de réseaux de traite d’êtres humains dans son pays d’origine, de son jeune âge, des contradictions de ses déclarations sur sa date de naissance, de son attitude passive et de son refus d’expliquer pourquoi elle est montée dans le camion dont elle a affirmé ne pas connaître la destination et plus généralement du caractère lacunaire et flou de ses explications, ces éléments auraient dû raisonnablement conduire les services de police à envisager qu’elle soit victime de traite des êtres humains au sens des dispositions précitées de l’article 225-4-1 du code pénal et à lui apporter l’information prévue par l’article R. 425-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu’elle ait été en situation de porter plainte et de se voir délivrer un titre de séjour ce qui l’a privée d’une garantie et a eu une influence sur le sens de la décision. Ce vice de procédure est, par suite, de nature à entacher d’illégalité l’arrêté du préfet du Pas-de-Calais du 13 septembre 2022 emportant obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour sur le territoire français ainsi que, par voie de conséquence, la décision de placement en rétention.

[…].  »


Voir l’arrêt au format PDF :

CAA de Douai - Arrêt N°22DA02407 du 6 juin 2023