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Note du service juridique de la LDH sur le dispositif Taubira du 31 mai 2013 concernant les mineurs isolés étrangers

Publié le : lundi 10 juin 2013

Voir en ligne : http://www.ldh-france.org/Note-du-s...

Note relative à la circulaire de la garde des Sceaux en date du 31 mai 2013 et le protocole conclu entre l’Etat et les départements portant sur le dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation des mineurs isolés étrangers

Ce nouveau dispositif, annoncé depuis maintenant plusieurs mois et ayant donné lieu, au préalable, notamment le 26 mars dernier, à une audition par la CNCDH de Pascale Bruston, conseillère de la ministre de la Justice, est censé répondre tant au déficit de prise en charge des mineurs isolés étrangers, souvent laissés à leur propre sort, qu’aux préoccupations, essentiellement financières, des conseils généraux compétents en matière de protection de l’enfance. Un rappel est effectué de la législation et du cadre procédural applicables en matière d’enfance en danger, indispensable au regard des pratiques illégales de plusieurs acteurs institutionnels compétents en la matière. Par ailleurs, est ainsi mis en place un mécanisme, dérogatoire au droit commun, de répartition de ces mineurs à travers l’ensemble des départements métropolitains.

De lourdes carences sont à regretter sur l’approche même de la problématique qui est, comme le reconnaît d’ailleurs l’auteur de la circulaire, dès la première page, « par nature interministérielle ». Ainsi, la représentation légale du mineur au travers de la tutelle, indispensable à l’accomplissement de nombreuses formalités et à l’accès à de nombreux droits, n’est pas abordée alors même que, là encore, les pratiques constatées sur le terrain sont disparates et font apparaître trop souvent une absence de mise en oeuvre de ce régime de représentation. Plus globalement et au-delà même de cette circulaire, il est regrettable de constater l’absence de remise en cause du traitement réservé aux mineurs isolés étrangers en zone d’attente ou encore le problème de l’accès du jeune majeur à un titre de séjour ou à fortiori à la nationalité française.

En outre, la suspicion, qui régit depuis plusieurs années les relations entre les étrangers et l’administration risque bien de continuer à s’appliquer envers cette catégorie de personnes pourtant en situation de particulière vulnérabilité.

La détermination de l’âge

La détermination de l’âge du jeune, au coeur de la problématique puisque déterminant ou non l’application du régime de protection, ne trouve pas de solution satisfaisante et révèle là encore une réticence à appliquer le droit commun. Les refus de prise en charge de ces jeunes par les conseils généraux sont en effet essentiellement motivés par la suspicion généralisée, consistant à mettre en doute la minorité du jeune. Ce refus de prise en charge est fondé notamment, et parfois essentiellement, sur un examen clinique, appelé « expertise osseuse », et issu de la méthode dite Greulich et Pyle mis en place en 1935 à partir d’une population blanche nord américaine. Sa fiabilité est unanimement contestée, tant par le corps médical, car non adaptée, et comportant une marge d’erreur d’au moins dix huit mois1, que par de nombreuses institutions2. Les pratiques constatées actuellement révèlent non seulement que cet examen continue de faire partie du mécanisme de détermination de l’âge du mineur mais qu’il est pratiqué et peut même dans certains cas prévaloir sur les documents d’état civil en contradiction avec l’article 47 du code civil3, selon lequel les actes d’état civil étrangers établis en conformité avec la législation du pays font foi, à charge pour la partie qui conteste la validité des actes d’état civil de démontrer en quoi ils seraient irréguliers.

Malheureusement, le nouveau dispositif proposé, loin de bannir cet examen aux résultats plus qu’aléatoires, le pérennise et l’inclut dans les éléments constitutifs d’un faisceau d’indices en cas de doute sur la minorité du jeune.
Il est certes rappelé que l’expertise médicale ne sera pratiquée que si le doute persiste à l’issue des entretiens réalisés avec le jeune et après vérification de l’authenticité des documents d’état civil mais il aurait paru utile, au regard des pratiques illégales généralisées qui prévalent, de rappeler dès le début de la partie consacrée à l’évaluation de la minorité, la prédominance des dispositions issues de l’article 47 du code civil sur toute autre considération. En outre et au sein même de ce faisceau d’indices, les entretiens réalisés avec le jeune sont placés sur le même plan que les documents d’état civil qui sont en sa possession. C’est encore amoindrir la portée de l’article 47 du code civil puisque même dans le cas ou le jeune aurait déclaré lors d’un entretien être âgé de plus de dix huit ans, ses seules déclarations ne sauraient contredire un acte de naissance dont il n’est pas démontré en quoi il ne respecterait pas les formes en vigueur dans le pays qui l’a établi.(4)

Les pratiques constatées, très souvent en dehors de tout cadre légal, variant d’un département à l’autre, cette circulaire et le protocole qui l’accompagne proposent un cadre homogénéisé sur l’ensemble du territoire métropolitain.
Une phase de 5 jours dite de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation
Cette phase, fondée sur l’accueil d’urgence et prévue par l’article L. 223-2 du code de l’action sociale et des familles (CASF) d’une durée de 5 jours, se déroule dans le département dans lequel le jeune se trouve au moment où il se présente ou est repéré. A ce stade, la présomption de minorité joue pleinement. Le Conseil Général prend en charge le jeune pendant ces 5 jours afin d’évaluer la qualité de mineur et la situation d’isolement dans laquelle il se trouve.
Financièrement, les coûts relatifs à cette période sont pris en charge par l’Etat sur la base de 250 euros par jour et par jeune accueilli.
A l’issue de ce délai, trois hypothèses se présentent :

a) La minorité et l’isolement du jeune sont établis

Le président du conseil général saisit le procureur de la République du lieu où le mineur a été recueilli, lequel désigne le conseil général du lieu de placement définitif selon un mode de répartition fondé sur la part de population de moins de 19 ans présente dans chaque département. Une cellule nationale placée au sein de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse et avec laquelle les parquets devront prendre attache avant de désigner le département compétent, est chargée d’actualiser la grille des placements. Le mineur est alors confié au conseil général ainsi désigné par ordonnance de placement provisoire et la prise en charge financière du mineur relève alors de sa compétence.

Parallèlement, le procureur de la République du lieu où le mineur a été initialement recueilli se dessaisit au profit de celui du lieu de placement définitif, lequel saisit, dans le délai légal de 8 jours, le juge des enfants compétent.

Méconnaissance du droit de l’enfant à être entendu

Ce mécanisme de répartition autoritaire des mineurs isolés sur l’ensemble du territoire métropolitain, prévu par ce nouveau dispositif, quel que soit le mode d’entrée dans le système de protection de l’enfance, fait écho aux revendications des départements les plus sollicités par l’arrivée des mineurs isolés étrangers et la saturation des dispositifs existants. Il n’en demeure pas moins qu’un tel dispositif aurait du préciser le cadre dans lequel l’avis de l’enfant aurait pu être recueilli. Le droit de l’enfant à être entendu dans toute procédure le concernant est en effet consacré par les articles 3-1 et 12-2 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant qui reconnaissent pour le premier le caractère prédominant de l’intérêt supérieur de l’enfant et pour le second son droit à être entendu par le juge lorsque ses intérêts sont en jeu. Ce droit est encore prévu dans notre droit interne notamment par l’article 388-1 du code de procédure civile (5).

Opportunité du mode de répartition

Il est encore possible de s’interroger sur l’opportunité du mode de répartition fondé sur le seul critère issu du nombre de jeunes de moins de 19 ans présents dans le département. N’aurait-il pas été préférable de prévoir un système fondé sur une pluralité de critères incluant l’existence, au sein des départements, de structures de qualité à même de prendre en charge ces mineurs isolés ?

b) La minorité et/ou l’isolement du jeune sont niés

C’est l’hypothèse dans laquelle, à l’issue de ce délai de cinq jours, et suite aux diverses investigations déjà mentionnées, le jeune n’est pas considéré comme mineur isolé et se voit donc opposer un refus de prise en charge et d’admission à l’aide sociale à l’enfance. La circulaire et le protocole Etat/Départements renvoient, s’agissant des voies de recours ouvertes au mineur, à l’article 375 alinéa 1 du code civil6 lequel mentionne que le juge des enfants peut être saisi par différentes personnes dont le mineur lui-même.

La négation de l’article 47 du code civil

Comme il a déjà été dit, le refus de prise en charge sera dans la très grande majorité des situations motivé par la contestation de la minorité. Le nouveau dispositif mentionne, s’agissant de la vérification de l’authenticité des documents d’état civil en possession du jeune, que s’il appartient au parquet en cas de doute sur l’authenticité des documents produits, de saisir le bureau de la fraude documentaire de la direction centrale de la police aux frontières, rien ne s’oppose à ce que les conseils généraux sollicitent eux-mêmes le réseau de personnes référentes « fraude documentaire » au sein des services de l’Etat.

Or, il semble plus que difficile, dans le délai de 5 jours prévu par le dispositif, de recueillir le résultat des investigations relatives à la recherche sur l’authenticité des documents d’état civil. Comment dès lors opposer un refus de prise en charge dans un tel délai à un jeune qui se trouvera être en possession de documents d’état civil ?
Il aurait semblé opportun et surtout plus respectueux de l’article 47 du code civil, dans une telle situation où le mineur isolé est en possession de documents d’état civil, d’exclure une telle possibilité de refus de prise en charge à l’issue du délai de 5 jours.

L’absence d’effectivité du droit au recours

Quelle sera la forme que prendra le refus de pris en charge sachant qu’aucune autorité judiciaire n’est saisie dans le cadre de ces 5 jours ? Continuera-t-on de constater que des jeunes, après un bref passage dans un dispositif d’hébergement, sont jetés à la rue sans aucune assistance et sans qu’aucune décision ne leur soit notifiée ?
Etonnamment, le nouveau dispositif est sur ce point plus qu’évasif. Il se contente en effet de renvoyer vers l’article 375 alinéa 1 du code civil, lequel prévoit que le juge des enfants peut être saisi de la situation d’un mineur à priori en situation de danger par ce mineur lui-même afin d’ordonner des mesures d’assistance éducative.

Une telle possibilité ouverte au jeune de saisir le juge des enfants relève de l’hypocrisie et nie le principe même du droit au recours en le privant de toute effectivité. Le Conseil Constitutionnel a ainsi pu déclarer contraire à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 le dispositif de raccompagnement du mineur isolé roumain car méconnaissant le droit de ce dernier ou de toute personne intéressée à exercer un recours juridictionnel effectif7. Rappelons en effet l’hypothèse la plus fréquente, celle d’un jeune étranger, souvent non francophone, arrivé au mieux quelques jours auparavant sur le sol français, qui se voit, à l’issue d’un délai de 5 jours, mis à la rue et refuser l’accès à un dispositif de protection. Comment envisager objectivement qu’il ait les ressources et les moyens nécessaires pour saisir le juge des enfants, ou encore d’introduire un recours contre la décision de non-lieu à assistance éducative, éventuellement prononcée par le juge des enfants, comme le mentionne le nouveau dispositif. Les droits de ce jeune, et notamment le droit au recours, à travers l’absence totale de leur effectivité, sont ici fortement méconnus.

c) L’évaluation du jeune ne peut pas être réalisée dans le délai de 5 jours

Il s’agit de l’hypothèse ou, au terme du délai de 5 jours, la qualité de mineur isolé ne peut être établie. Le président du conseil général du lieu où le mineur a été recueilli doit alors saisir le procureur de la République pour que ce jeune lui soit confié par ordonnance de placement provisoire. Deux hypothèses sont alors envisageables :

  • le jeune est reconnu mineur isolé étranger avant le terme du délai de 8 jours : le parquet doit, sur le fondement de l’article 375-5 al 2 du code civil, saisir le juge des enfants et requérir le maintien du placement auprès du président du conseil général qu’il aura déterminé en application du dispositif national d’orientation précité. .
    Il appartient alors au juge d’apprécier l’opportunité de ce placement et s’il le confirme de se dessaisir, conformément à l’article 1181 al 1er du code de procédure civile au profit du juge des enfants ou se trouve l’établissement d’accueil.
  • la qualité de mineur isolé n’est toujours pas acquise au terme du délai de 8 jours : le procureur de la République doit, sur le fondement de l’article 375-5 al 2 du code civil saisir le juge des enfants en assistance éducative et requérir le maintien de la mesure de placement initial jusqu’à l’issue de l’évaluation.

Lorsque celle-ci est achevée, le juge des enfants en communique les résultats au parquet.

- Si la qualité de MIE est acquise, le parquet prend des réquisitions aux fins de placement avec la possibilité pour le juge des enfants de se prononcer sur son opportunité et dessaisissement au profit du juge nouvellement compétent conforment au point précédent.

- Si la qualité de MIE n’est pas reconnue : le dispositif mentionne que l’éventuelle décision de non lieu à assistance éducative prononcée par le juge des enfants peut faire l’objet d’un recours par le jeune sur le fondement de l’article 1191 du code de procédure civile.

S’agissant de cette dernière hypothèse où la qualité de MIE n’est pas retenue, il est difficile d’envisager comment le juge des enfants, alors qu’il a été saisi, ne pourrait « qu’éventuellement » prendre une décision de non lieu à assistance éducative, seule susceptible d’ouvrir la voie d’un recours.
Par ailleurs, le rappel de la possibilité d’exercer un recours sur le fondement de l’article 1191 du code de procédure civile aurait pu être complété, eu égard à la situation de grande vulnérabilité dans laquelle se trouve par hypothèse l’intéressé, par des recommandations adressées aux parquets sur la communication de précisions relatives aux possibilités de bénéficier d’un avocat commis d’office dans les 8 jours de sa demande (article 1186 du code de procédure civile) ou encore de bénéficier de l’aide juridictionnelle (article 9-1 de la loi du 10 juillet 1991).


La crainte d’un fichage ?

Se pose enfin la question légitime de l’existence d’un fichier, dont l’objectif serait de répertorier les jeunes ayant fait l’objet d’une fin de prise en charge. Un tel fichier permettrait ainsi aux conseils généraux, saisis d’une demande de protection, d’opposer une éventuelle décision de refus prise antérieurement. Un tel fichier aurait nécessairement des conséquences redoutables dans l’hypothèse où une nouvelle demande serait présentée, au regard des autorités susceptibles d’être saisies dès l’issue de la première phase (le parquet) et de la situation de séjour irrégulier dans laquelle se trouverait alors le demandeur, puisque déclaré majeur. Mme Pascale Bruston, conseillère auprès du garde des sceaux, a assuré lors de son audition par la CNCDH que le ministère de la Justice était opposé à la mise en place d’un tel ficher des refusés.

Note version pdf

note LDH 10 juin 2013

1 Rapport sur la fiabilité des examens médicaux visant à déterminer l’âge à des fins judiciaires et la possibilté d’amélioration en la matière pour les mineurs isolés, Académie nationale de médecine, 22 janvier 2007 – Déclaration européenne pour l’accès aux soins de santé sans discrimination signée en 2010 par l’ordre national des médecins

2Notamment : Avis du Comité consultatif national d’éthique n°88 du 23 juin 2005 – Colloque du défenseur des droits, « Mineurs isolés étrangers : vers une harmonisation des pratiques dans l’intérêt supérieur de l’enfant" – Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, 36ème session, Observations finales France, 4 juin 2004 / 51ème session, Observations finales France, 12 juin 2009)

3 « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité »

4 CA Lyon, 26 avr. 2004, n°04/97

5 « Le mineur capable de discernement est informé par le ou les titulaires de l’exercice de l’autorité parentale, le tuteur ou, le cas échéant, par la personne ou le service à qui il a été confié de son droit à être entendu et à être assisté d’un avocat dans toutes les procédures le concernant. Lorsque la procédure est introduite par requête, la convocation à l’audience est accompagnée d’un avis rappelant les dispositions de l’article 388-1 du code civil et celles du premier alinéa du présent article. Lorsque la - procédure est introduite par acte d’huissier, l’avis mentionné à l’alinéa précédent est joint à celui ci ».

6« Si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public ».

7 Conseil Constitutionnel, 4 nov. 2010 – 2010-614 DC relative à la loi autorisant l’approbation de l’accord entre la France et la Roumanie relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire français