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France : terre d’accueil ? 1/2

Publié le : mardi 22 novembre 2016

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Source : https://blogs.mediapart.fr

Auteur : Olivier Le Cour Grandmaison, Université d’Evry-Val d’Essonne, sciences politiques et philosophie politique

« « Depuis le temps que la France “rayonne”, je me demande comme le monde entier n’est pas mort d’insolation. » J-Fr. Revel

Après avoir longtemps été la fille aînée de l’Eglise, la France serait devenue, par la grâce des Révolutions de 1789 et 1792, et des Déclarations des droits de l’homme et du citoyen, la fille aînée de l’émancipation individuelle et collective. Histoire sublime, forcément sublime, qui se poursuit glorieusement avec la Seconde République, laquelle adopte, le 27 février 1848, le célèbre triptyque "Liberté, Egalité, Fraternité. » Celui-là même qui, depuis le 14 juillet 1880, est inscrit au fronton des bâtiments publics pour rappeler aux citoyens et aux étrangers qu’ils foulent le sol d’une nation remarquable et accueillante. Après et avant beaucoup d’autres, ces événements prouveraient que la « capacité de l’universel et de l’humain » est le propre du peuple français, qui « avoue des fonds d’âme à la mesure de la terre entière des hommes. » L’auteur de ces lignes hyperboliques publiées en 1972 ? Un obscur qui, aveuglé par ses ardeurs patriotiques, aurait commis un pamphlet aussi verbeux que méconnu ? Non. L’historien Alphonse Dupront dans un ouvrage collectif – La France et les Français - paru dans la prestigieuse collection La Pléiade sous la direction de Michel François, membre de l’Institut. Nul doute, les médiatiques faiseurs d’histoire, qui se poussent du col sur le devant de la scène radiophonique et télévisuelle, verront dans de telles analyses le nec plus ultra de la science historique.

A ces admirables caractéristiques nationales s’ajouterait, bien sûr, un long passé d’accueil des étrangers et des réfugiés. Triomphe de la fraternité et des égards accordés à celles et ceux qui ont été contraints de fuir leur contrée d’origine pour venir s’établir dans ce pays à nul autre pareil : la France. Celle que le chœur des républicains de droite comme de gauche nous somme d’aimer, et de faire aimer, pour mieux la défendre contre une « immigration » toujours plus nombreuse et toujours plus inquiétante, selon eux. Par la grâce d’une dialectique maligne, nouvelle figure de la rhétorique réactionnaire, renforcer constamment les dispositions opposables aux migrants et aux demandeurs d’asile permettrait d’allier « fermeté et humanité », et de conjoindre ainsi la rigueur indispensable des lois à la défense de « nos traditions d’accueil. » Autant d’éléments de langage dont usait déjà Dominique de Villepin, lorsqu’il était premier ministre, pour justifier les quotas d’expulsion fixés à l’administration et aux autorités policières. Ces éléments de langage sont maintenant au principe de la communication et des orientations gouvernementales, élaborées sous l’autorité du chef de l’Etat.

A preuve, la tribune publiée dans Le Monde du 21 octobre 2016 par le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, et Emmanuelle Cosse, sa collègue en charge du Logement. Petite force supplétive qui a été mobilisée pour apporter une touche écologique et humaniste au démantèlement de la « jungle » de Calais. L’objectif de ce texte ? Présenter cette évacuation, préparée depuis des mois, comme étant l’expression de leur « fidélité » aux valeurs de la République dont ils seraient les dignes héritiers soucieux d’aider les personnes concernées et de leur « offrir l’asile. » Quelques jours plus tard, le premier ministre saluait l’action engagée par cette affirmation ronflante : « ce qui est en train de se passer à Calais, c’est le beau visage de la France. » Gloire à elle et à ses vaillants serviteurs. Mythologie nationale, mise en scène politique, mensonges par omission et propagande, comme on disait autrefois ; tels sont les ressorts principaux de cette opération.

Ont-ils été accueillis les 350 000 républicains espagnols qui, fuyant les troupes du général Franco, ont franchi les Pyrénées dans des conditions dramatiques pour gagner la France au cours de l’hiver 1939 ? Ont-ils été accueillis ceux qui, au nombre de 30 000 environ, originaires des régions méridionales de la Péninsule, ont été contraints de fuir en Afrique française du Nord quelques mois plus tard ? Assurément, et avec une délicatesse qui fait honneur aux traditions républicaines et aux responsables politiques d’alors. En vertu du décret-loi du 12 novembre 1938, relatif aux étrangers susceptibles de porter atteinte à la « sécurité nationale » et à « l’ordre public », les uns ont été forcés de rejoindre les camps d’internement de Saint-Cyprien, d’Argelès et de Gurs, notamment. Pour la première fois, le texte juridique précité, élaboré par les services du ministre de l’Intérieur, Albert Sarraut, grande figure radical-socialiste de la Troisième République qu’il a aussi servie en tant que ministre des Colonies, est appliqué contre des allochtones. Après plusieurs tentatives de refoulement des autorités coloniales, les autres connaissent un sort identique en Algérie et en Tunisie. Alors qu’ils n’ont commis aucune infraction, tous sont jugés « indésirables » et privés de droits et libertés fondamentaux pour une durée indéterminée. Triomphe d’une xénophobie d’Etat dont ce décret et les pratiques qu’il a autorisées témoignent sinistrement.

Histoire lointaine qu’infirmerait la politique aujourd’hui mise en œuvre ? Ont-ils été accueillis celles et ceux qui ont passé des mois, parfois des années, dans la « jungle » de Calais, qui fut le plus grand bidonville d’Europe ? Ont-ils été accueillis ces centaines de mineurs isolés et abandonnés à eux-mêmes ? A leur propos, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU écrivait, le 2 novembre, qu’ils « ont été soumis à des conditions de vie inhumaines, laissés sans abri adéquat, sans nourriture, sans accès à des services médicaux et à un soutien psychosocial » par la faute des autorités françaises et britanniques qui ne « se sont pas montrées à la hauteur de leurs obligations. » Manquement ? Véritable politique de l’inhospitalité que confirme l’augmentation des familles avec enfants placées en centre de rétention administrative : 45 en 2014, 105 en 2015, 67 pour les six premiers mois de l’année 2016 en métropole et 4300 à Mayotte ! A ce sujet, rappelons que le 12 juillet, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France dans pas moins de cinq dossiers relatifs à cette pratique. Enfin, comparativement aux autres Etats du Vieux continent, ce pays n’occupe que le 14ème rang en ce qui concerne le nombre de réfugiés rapporté à la population totale et le 25ème pour le taux de reconnaissance en première instance (Source Eurostat)[1]. Admirable terre d’accueil, en effet. »