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Tribune de Patrick Howlett-Martin - « Il faut rapatrier les enfants du jihad »

Publié le : jeudi 7 novembre 2019

Voir en ligne : https://www.liberation.fr/debats/20...

Source : Libération

Date : 30 octobre 2019

Par : Patrick Howlett-Martin , diplomate de carrière

Tribune :

«  Pourquoi faut-il que souffrent aussi les enfants ? Dira-t-on qu’ils portent dans leur chair les péchés de leurs parents et qu’ils en sont par conséquent solidaires ? Un mauvais plaisant objectera peut-être que l’enfant grandira et péchera à son tour, le moment venu. Mais ce garçon de 8 ans n’a pas eu le temps de grandir et il a été déchiré par les chiens. Aucune harmonie future ne rachètera une seule des larmes de l’enfant martyr. Si les larmes des enfants sont indispensables pour parfaire la somme de douleur qui sert de rançon à la Vérité, j’affirme catégoriquement que celle-ci ne mérite pas d’être payée un tel prix. » Dostoïevski, les Frères Karamazov.

Selon l’organisation non gouvernementale « Save the Children » près de 200 enfants, la plupart âgés de moins de 5 ans, se trouveraient détenus avec leur mère dans des camps du nord-est de la Syrie, nés de mère française ou de parents français. L’avocate Marie Dosé qui a déposé au nom des familles une plainte contre la France en février auprès du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, a, quant à elle, identifié 149 enfants français retenus dans ces camps.

Les autorités françaises n’ont à ce jour autorisé et facilité le retour que de 17 orphelins et enfants isolés seulement et n’ont pas communiqué sur le nombre d’enfants et de mères concernés, citoyens français à part entière. Les enfants qui sont détenus avec leur mère sont tout autant innocents que les enfants orphelins. Sur quoi repose, du point de vue du droit et de la protection de l’enfance, cette distinction ?

Ces enfants connaissent depuis plus de deux ans une situation dramatique sur le plan sanitaire et, sur le plan psychologique, compte tenu de la brutalité et de la cruauté des événements auxquels ils ont été confrontés et dont ils ont été les victimes, malgré eux. Le taux de mortalité infantile dans ces camps est l’un des plus élevé du monde : 144 pour 1 000 enfants de moins de 5 ans. Ce chiffre signifie qu’un enfant sur sept ne survivra pas jusqu’à sa sixième année. Plusieurs dizaines sont orphelins, beaucoup ont encore leur mère à leurs côtés, et tous ont des familles résidant en France et désireuses de les prendre en charge, de les scolariser, de les aider à une réintégration au sein d’une communauté dont ils sont de droit les citoyens.

Le Quai d’Orsay a entretenu l’espoir de parvenir à faire juger nos compatriotes par des tribunaux locaux, qu’ils soient syriens, turcs sous régime d’occupation, ou, à la faveur d’un transfert illégal, irakiens. Le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, était à Bagdad le 17 octobre pour discuter du possible transfert en Irak des jihadistes étrangers détenus par les Kurdes en Syrie, désireux sans doute de saisir l’opportunité du cessez-le-feu négocié entre l’administration américaine et le président Erdogan. L’Irak, dont les tribunaux n’offrent aucune garantie d’équité, n’a pas accepté de juger les femmes et les enfants. Les autorités iraquiennes n’avaient accepté de juger les combattants jihadistes, ressortissant français, que contre une contrepartie financière dont Paris s’est bien gardé de communiquer le montant : contrat synallagmatique spécieux, contraire à toute règle de droit français.

Les Kurdes qui ont fait l’essentiel des combats terrestres contre les jihadistes en Syrie sont aujourd’hui confrontés à l’offensive de l’armée turque et de ses auxiliaires syriens. Quelques centaines de mères et d’enfants se sont échappés le 11 octobre du camp de Aïn Issa, à la faveur des bombardements turcs, pour une errance sans doute aussi dangereuse pour les enfants que leur détention. La menace que fait peser cette offensive sur l’intégrité des camps des détenus jihadistes explique en partie la plaidoirie française auprès de Bagdad et le séjour récent du ministre des Affaires étrangères à Erbil, capitale du Kurdistan irakien. Mais en quoi une éventuelle inculpation par des tribunaux d’exception irakiens des enfants et de leurs mères résoudrait leur situation juridique et, surtout, serait de nature à minimiser le risque d’une radicalisation future ou renouvelée à leur sortie des geôles irakiennes ?

Les enfants forment les deux tiers des quelque 9 000 détenus étrangers (non syriens) du camp Al-Hol. Nous n’avons pas de relations diplomatiques avec le régime syrien depuis 2012 : notre ambassade à Damas et nos consulats à Alep et à Lattaquié ont été fermés en novembre 2011. Les enfants nés de mères françaises sont juridiquement dans les limbes : on l’a vu en juin lorsque plusieurs dizaines de mères françaises, transférées depuis le camp de Al-Hol dans la ville de Raqqa (l’administration de tutelle) n’ont pas été en mesure d’obtenir un état civil pour leurs enfants, pourtant indispensable pour un éventuel registre scolaire, et pour éviter les risques d’abus, d’exploitation et de trafic auxquels ils se trouvent exposés.

Il est grand temps, alors que les camps sont encore sous l’autorité kurde, de procéder à un rapatriement d’urgence de ces enfants traumatisés avec leurs mères désemparées sous les auspices du Comité international de la Croix-Rouge, et mettre en place, sous l’autorité d’un juge-commissaire, une structure d’accueil et de suivi sur les plans sanitaire, psychologique et sécuritaire, en liaison avec leurs familles résidant en France. Les mères ainsi accueillies, suivies et rééduquées, comme au Danemark, auront une chance de se réintégrer et expier leur tragique aventure et leurs échecs. Il n’y a pas d’autre alternative tant sur le plan humanitaire que sur le plan sécuritaire. »