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Assemblée nationale - Mission d’information sur l’aide sociale à l’enfance : Table ronde destinée à recueillir des témoignages d’anciens enfants accueillis par l’aide sociale à l’enfance - Compte rendu

Publié le : jeudi 11 avril 2019

Voir en ligne : http://videos.assemblee-nationale.f...

Source : Assemblée Nationale

Date : 11 avril 2019 à 9h

Présentation :

Table ronde destinée à recueillir des témoignages d’anciens enfants accueillis par l’aide sociale à l’enfance :

  • Mme Maëlle Bouvier
  • M. Dylan Legrand
  • M. Lyes Louffok
  • Mme Sonya Nour
  • M. Gilles Salmon
  • Mme Gabrielle Scherrer
  • Mme Fouzy Mathey, présidente de l’association des accueillis et anciens accueillis en protection de l’enfance du Val-de-Marne (ADEPAPE 94)
  • M. Mamedi Diarra, administrateur de l’association des accueillis et anciens accueillis en protection de l’enfance de Paris (ADEPAPE 75)

Compte rendu :

«  Jeudi 11 avril 2019

La séance est ouverte à neuf heures dix.

(Présidence de M. Alain Ramadier, président de la mission d’information
de la Conférence des présidents)


M. le président Alain Ramadier. Mes chers collègues, pour cette première séance de nos travaux, nous recevons aujourd’hui sous la forme d’une table ronde différents intervenants qui ont en commun d’avoir tous été des enfants accueillis dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance.

Mesdames, messieurs, certains d’entre vous s’exprimeront à titre personnel, d’autres ont choisi d’intervenir au nom d’un collectif ou à titre professionnel. Vous nous le préciserez le moment venu.

Pour notre mission, qui a tenu sa réunion constitutive la semaine dernière, cette toute première audition relevait de l’évidence. Il s’agissait de commencer par le commencement, en donnant la parole à celles et ceux qui furent des enfants accueillis dans les structures de l’Aide sociale à l’enfance (ASE).

Je rappellerai quelques données chiffrées relatives à l’aide sociale à l’enfance qui globalement accueille plus de 300 000 jeunes, dont 15% à 20 % sont des mineurs non accompagnés ou étrangers.

Si l’âge moyen d’entrée est de douze ans et que le séjour moyen s’effectue entre douze et dix-sept ans, certains enfants sont accueillis dès l’âge de deux mois.

Mais, derrière ces froides statistiques, il y a des vies d’enfants et par vos témoignages et la diversité de vos expériences personnelles, vous incarnez les situations vécues aujourd’hui par beaucoup d’enfants en France accueillis par l’aide sociale à l’enfance.

Avant d’entreprendre toute réflexion sur le fonctionnement du système, nous avions besoin de vous entendre. Je vous remercie très sincèrement au nom de tous les membres de la mission d’avoir répondu favorablement à cette invitation.

Mesdames, messieurs, je vous donne sans plus tarder la parole. L’idéal serait que chacun d’entre vous fasse librement une présentation de son parcours et de son expérience durant cinq à sept minutes, puis Mme la rapporteure, moi-même et les autres membres de la mission ne manquerons pas d’engager le dialogue avec vous.

Mme Maëlle Bouvier. Bonjour. J’ai trente-deux ans, je suis actuellement manager dans un grand cabinet de conseil au sein duquel je réalise des missions d’assistance au secteur public. Avant d’en arriver là, j’ai eu un parcours quelque peu semé d’embûches.

J’ai été placée à Tours à l’âge de trois ans et demi, avec mon frère qui a un an de plus que moi, dans le cadre d’un placement d’urgence. On est venu nous chercher à la sortie de l’école maternelle et, à partir de cet événement, je n’ai jamais remis les pieds à mon domicile familial – jamais.

Suite à ce premier placement d’urgence en famille d’accueil, nous avons été placés dans un premier foyer de l’enfance, en Touraine, puis dans un second, toujours en Touraine. Alors que j’allais avoir huit ans et mon frère neuf ans, nous avons été placés dans une famille d’accueil, dans le Gers, dans le Sud-Ouest, famille d’accueil qui était salariée par une association des Landes et dans laquelle nous sommes restés, mon frère et moi, jusqu’à notre majorité révolue puisque nous avons tous les deux bénéficié d’un contrat « jeune majeur », lequel nous a permis de mener nos études supérieures. Mon frère a fait une fac d’histoire, il est aujourd’hui professeur dans un lycée et moi j’ai fait une fac de droit, Sciences-Po Toulouse, puis un second master à la Sorbonne.

J’ai travaillé dans des ONG dans le domaine du conseil, dans des ministères, dont trois ans et demi aux Affaires étrangères. Je suis depuis quelques mois, repartie dans le privé, toujours dans le domaine du conseil.

Je pourrai revenir sur les différentes étapes de mon parcours, si vous le souhaitez ; si vous avez des questions à me poser, ce sera avec grand plaisir que j’y répondrai. Mais je sais que le temps nous est compté et j’aurais souhaité insister sur un point en particulier, fondé sur ma conviction profonde, à titre très personnel et au regard de ma seule histoire : l’ASE m’a sauvé la vie. En effet, je suis certaine que si j’étais restée dans ma famille biologique, je n’en serai pas là aujourd’hui et que mon parcours de vie serait bien moins lumineux, avec bien moins de perspectives et très certainement beaucoup de déséquilibres psychiques, nerveux, mentaux, des souffrances psychologiques, voire physiques.

Cette conviction est le fruit d’un long cheminement. Lorsque j’étais placée, j’étais en colère. J’étais en révolte contre la rigidité de l’institution, contre le fait d’avoir été séparée de mes parents. Quoi qu’on en dise, quand on est un enfant, c’est une souffrance. J’ai donc longuement cheminé à titre personnel et aussi à titre professionnel, puisque j’ai eu la chance de travailler au début des années 2010 dans un cabinet de conseil en politique médico-sociale, au sein duquel j’ai contribué à évaluer et à élaborer des schémas départementaux de la protection de l’enfance, un peu partout en France. Cela m’a beaucoup aidée à comprendre mon propre parcours et à prendre du recul sur mon histoire. Cela a également enrichi mon regard sur la politique et rééquilibré la vision que j’en avais.

Sur cette base, j’ai développé une forme de perplexité au regard du traitement médiatique que l’on fait de l’ASE en France – mon opinion est très personnelle. Je ne nie pas que c’est un système qui, à bien des égards, est à bout de souffle, que des situations sont inacceptables et nécessitent des signalements très réactifs et des réponses particulièrement fermes. Je ne nie pas non plus que des enfants sont en souffrance, notamment lorsqu’ils sont séparés de leurs parents et sont placés en établissement. Je l’ai moi-même été. Quand je vois des enfants pleurer dans une maison d’enfants à caractère social (MECS) à la télévision, je pleure avec eux ; quand je vois des jeunes majeurs à la rue parce qu’ils n’ont pas bénéficié d’un accompagnement à leur majorité, je suis bouleversée – évidemment. Mais je ne vois pas que cela.

Lorsqu’on se penche sur une politique publique et sur son devenir, il est important de voir l’autre côté de la balance et de se pencher sur ce qui fait l’efficacité du dispositif, sur les parcours de réussite, sur le retour d’expérience des familles et des enfants qui ont été suivis et dont la situation s’est résolue grâce à l’accompagnement de l’ASE. On ne parle jamais de cette « majorité silencieuse », comme je l’appelle. Il convient également de mettre de ce côté de la balance le témoignage des professionnels qui, dans leur grande majorité et malgré ce que peuvent en dire les médias, sont des professionnels investis, consciencieux, engagés qui, tous les jours, essayent de trouver des solutions et d’apporter du réconfort aux enfants. En tout cas, c’est ainsi que je le perçois aujourd’hui, après mon cheminement. Ce n’était pas forcément le cas lorsque j’avais dix, quinze ou dix-huit ans.

Je plaide pour un débat dépassionné, autant que faire se peut, qui permette de prendre le temps de se pencher sur des questions très structurantes : sur la manière de mieux protéger nos enfants et de consolider la légitimité même de cette politique.

Lorsque je parle du traitement médiatique à charge, il ne s’agit pas pour moi seulement d’une question d’éthique médiatique ou de principe. J’ai vraiment le sentiment que la vision déséquilibrée que l’on diffuse en France érode, petit à petit, la pertinence même de cette politique, alors qu’elle me semble fondamentale. Des enfants sont à protéger aujourd’hui, il y en aura encore demain. Il faut vraiment que l’on puisse consolider la politique qui leur est destinée.

Je trouve également que cette vision à charge n’aide pas les enfants à se construire et à se reconstruire. Il n’est pas évident de porter l’étiquette « enfant de l’ASE » mais lorsqu’on voit la manière dont on en parle aujourd’hui dans les médias – c’est encore moins évident, en tout cas à mon sens.

Je plaide aussi pour que l’on puisse prendre le temps de se pencher sur des questions plus structurantes, mettre en lumière les vrais sujets qui permettront de consolider cette politique, que ce soit sur la sortie du dispositif, le renforcement des accompagnements à domicile, la concrétisation des plans personnalisés pour l’enfant, la généralisation de certains dispositifs expérimentaux menés sur les territoires. Voilà ce que je voulais vous dire en quelques minutes. J’espère avoir respecté mon temps de parole. Je suis à votre disposition si vous avez des questions à me poser. Merci à tous de votre écoute.

M. Dylan Legrand. Bonjour. Je suis né le 24 septembre 1997 à Metz, dans l’Est de la France, en Lorraine.

Je suis arrivé en foyer à l’âge de treize ans, même si j’y avais déjà été avant pour des raisons qui me sont assez obscures, même encore aujourd’hui. J’étais dans un centre départemental de l’enfance (CDE) où les enfants sont censés rester quelques mois ou quelques jours. J’y suis resté trois ans.

Avant d’être à Metz même, j’étais dans le village de Vigy, entre Metz et le Luxembourg ou entre Metz et l’Allemagne, je ne sais plus trop. Je vous dis cela parce qu’il y avait si peu de places au centre départemental de l’enfance qu’on a été mis dans une sorte de bungalow, dans un camp de vacances. Les locaux ont ensuite été refaits et on est repartis à Metz où je suis resté jusqu’à mes quinze ans. J’ai ensuite été placé dans un internat d’excellence sport-études, au collège de l’Arsenal. J’ai été mis en service éducatif renforcé d’accompagnement à domicile (SERAD).

Des éducateurs venaient à domicile. On est restés deux ou trois ans ensemble. Cela montre une grosse différence entre les foyers et ce dispositif, parce que, dans les foyers, il existe une forme de violence institutionnelle liée à de multiples facteurs.

Après avoir obtenu mon bac, j’ai fait une licence « humanités ». En général, personne ne comprend à quoi correspondent ces études. J’ai fait de la philosophie, de la sociologie, de l’histoire, de la littérature, de l’anthropologie, un peu de sciences politiques et d’histoire.

J’ai vécu à Karlsruhe en Allemagne, à la frontière de l’Alsace. Pour de multiples raisons, j’ai souvent essayé de quitter ma ville natale. J’ai aussi vécu à Toulouse, dans la Haute-Garonne. J’ai fait beaucoup de bénévolat parce que la misère sociale me touchait beaucoup. J’ai travaillé au Secours catholique, au Secours populaire, j’ai été pompier volontaire quand j’étais en Allemagne ; j’ai également appartenu à des comités de mobilisation dans les facs. Et puis, j’ai travaillé à droite et à gauche en tant que commis de cuisine dans des fast-food. Et maintenant me voilà !

M. Lyes Louffok. Tout d’abord, merci d’avoir permis que cette première audition soit consacrée au recueil de notre parole ; cela contribue aussi à nous sortir de notre invisibilité et à soutenir le mouvement de libération de la parole qui a commencé à émerger récemment chez les premiers enfants placés.

Je vous remercie également de la rapidité avec laquelle cette mission a été mise en place, aussitôt après la révélation, sur une chaîne du service public il y a quelques mois, de faits et de dysfonctionnements extrêmement graves. Tel est le contexte de la création de cette mission. Cette réponse parlementaire me paraît importante après ce qui a été montré au grand public.

Il va être compliqué de résumer dix ans de placement, puisque j’ai été placé à ma naissance jusqu’à ma majorité. J’ai connu sept lieux de placement différents.

En quelques mots, j’ai été placé parce que ma mère biologique était, et est toujours, malade psychiatrique. Elle est malade mentale et n’a pu s’occuper de moi quand elle a accouché. J’ai donc été confié à une pouponnière le jour de ma naissance et les jours qui ont suivi avant d’être reçu dans une première famille d’accueil dans le département des Yvelines, chez qui je suis resté jusqu’à l’âge de cinq ans. Malheureusement, pour des raisons personnelles et professionnelles, cette famille d’accueil a décidé de partir vivre dans le Sud. Elle a demandé aux services d’aide sociale à l’enfance de maintenir cet accompagnement dans le Sud, mais cela lui a été refusé parce que ma mère biologique habitait en région parisienne et qu’elle détenait l’autorité parentale, malgré le fait qu’elle soit sous tutelle.

J’ai été accueilli dans une seconde famille où j’ai vécu les dysfonctionnements et les maltraitances qui ont été montrés au grand public à la télévision. Cette famille d’accueil m’a fait dormir sur un morceau de polystyrène pendant deux ans, ne me nourrissait pas tous les jours, et il lui arrivait de me frapper.

Il a fallu deux ans à mon éducatrice avant qu’elle se rende compte des violences que je subissais. J’en suis parti en urgence pour arriver dans une troisième famille d’accueil qui avait vécu ce qu’avait vécu ma première famille d’accueil. Quelques semaines avant mon arrivée, elle avait dû se séparer et faire ses adieux à une enfant qu’elle gardait depuis toute petite.

Mes conditions d’accueil évidemment étaient assez particulières parce que cette famille était triste et déprimée. De mon côté, j’étais un enfant qui avait vécu de la violence et qui donc connaissait à cette époque pas mal de problématiques. Et le lien ne s’est pas fait. Je suis resté dans cette famille pendant quatre ans, il a fallu beaucoup de temps avant d’en partir. Je ne me sentais pas bien chez elle, je n’étais pas à ma place. Je n’avais pas été accompagné correctement sur le plan psychique et les traumatismes que j’avais pu vivre n’avaient pas forcément été traités. Elle a essayé de faire de son mieux, d’alerter quand elle n’en pouvait plus, quand elle était à bout, mais elle n’a pas eu de réponse. Le placement chez elle a été maintenu, au prétexte qu’il fallait de la stabilité dans mon parcours et que j’avais déjà vécu assez de ruptures.

Il a fallu que je fugue. J’ai commencé à fuguer à l’âge de huit ans. Je partais, je revenais ; parfois, je passais la nuit dans une petite ville à côté. Enfin, voilà, j’étais tout seul, un enfant dans la rue. Et il a fallu que je fugue sans cesse pour qu’enfin on m’écoute et que l’on m’en fasse partir, sauf que j’ai été placé dans un foyer dans le département des Yvelines qui accueillait quarante enfants aux tranches d’âge très différentes, de trois à dix-huit ans, sur deux étages. Le foyer était mixte : un étage pour les filles, un étage pour les garçons. Je crois avoir vécu les pires années de mon placement puisque, la première année, j’ai été victime de violences sexuelles et de viols par un autre jeune beaucoup plus âgé que moi, mais aussi de violences physiques commises par des professionnels à mon encontre comme à l’encontre d’autres enfants. Je me souviendrai toujours d’une punition qui s’appelait « la punition de la chaise ». On nous mettait dos contre un mur, sans chaise, un dictionnaire sur la tête et une balle de ping-pong posée au-dessus. L’éducateur passait toutes les deux minutes avec une clé en fer, nous cognait dans le genou, et si la balle de ping-pong tombait, on nous balayait et on nous frappait au sol.

C’est ce que j’ai vécu pendant un peu plus de trois ans avant de partir pour aller dans un foyer de rupture dans une ferme dans le Calvados, où je suis resté à peine un an. J’avais compris très vite que si je ne me sentais pas bien dans un lieu de placement, finalement, la solution pour en partir, c’était de tout faire péter. C’est une technique assez simple. Donc, du coup j’ai tout fait péter et je suis parti. Il avait été prévu de me placer dans une famille d’accueil pendant quinze jours avant que je ne rejoigne un foyer dans le sud de la France au cadre un peu plus strict.

Le jour où je suis arrivé chez cette famille d’accueil, on m’a posé une question qu’on ne m’avait jamais posée auparavant. Elle m’a demandé : « Mais pourquoi es-tu là ? » Cela peut paraître très bête comme question, mais c’était la seule fois où j’ai eu l’occasion de raconter mon histoire, de raconter mon placement parce qu’un adulte me l’avait demandé – et me l’avait demandé en laissant les possibilités de réponse totalement ouvertes.

Cette famille m’a fixé deux règles à mon arrivée. J’avais quatorze ou quinze ans. Elle savait que je fuguais beaucoup. Première règle, elle m’a dit : « Tu rentres avant vingt-deux heures. » Seconde règle : « Et tu ne ramènes pas la police. » C’étaient les règles qui m’ont été fixées pour les quinze jours au cours desquels je devais rester dans ce cadre familial. À l’issue des quinze jours, mon éducatrice à l’Aide sociale à l’enfance est revenue, « m’a speedé, a speedé » ma famille d’accueil pour que nous partions, parce que nous étions dans le Sud et qu’il fallait qu’elle fasse un aller-retour rapidement. À ce moment-là, ma famille d’accueil s’est interposée et a dit : « Non, Lyes restera chez nous, nous ne voulons pas qu’il parte. » L’éducatrice a insisté, réinsisté – ma famille d’accueil était quand même un peu forte tête. Pour finir, l’éducatrice a appelé son chef de service, « l’éduc » qui lui a répondu : « Écoute, pour une fois que quelqu’un veut bien de lui, tu n’as qu’à le laisser là-bas. » Voilà, et j’y suis resté jusqu’à ma majorité ! J’avais très peur de finir à la rue. Vous devez le savoir, une personne sans domicile fixe sur quatre a eu un parcours à l’aide sociale à l’enfance. Cela représente beaucoup plus quand on considère la population des jeunes sans abri : en France, 40 % des jeunes SDF âgés de dix-huit à vingt-cinq ans sortent de l’aide sociale. Ma famille, très vite, m’a rassuré en me disant : « Tu es ici chez toi, et même sans contrat jeune majeur, tu pourras rester. Tu as ta chambre, c’est ta maison. » J’ai pu vivre sereinement les dernières années de mon placement pour, après, me construire un avenir. De cela, je lui suis extrêmement reconnaissant.

Alors, oui, mon parcours ne reflétera peut-être pas le parcours de tous les enfants qui sont placés à l’aide sociale à l’enfance. Si aujourd’hui je dois en faire un bilan, je dirai qu’il a été plutôt catastrophique ; néanmoins, quand j’ai publié mon ouvrage en 2014, j’ai reçu sur les réseaux sociaux beaucoup de messages de personnes placées : de personnes de cinquante ans, de soixante ans, de dix-huit ans, et parfois de mineurs qui m’alertaient sur les violences qu’ils avaient subies ou pouvaient subir dans les foyers ou dans les familles d’accueil où ils avaient ou étaient placées. Je me pose aujourd’hui la question de savoir si l’État ou les départements, en fonction de là où on placera le débat, sont un bon parent.

La réponse, actuellement, c’est non. Quand bien même certains ou une majorité d’enfants placés ou d’anciens enfants placés disent avoir bien vécu leur placement, j’ai envie de dire que c’est censé être la norme. Il n’y a rien de plus normal que de protéger des enfants et de faire en sorte que leur placement se passe dans les meilleures conditions possible. Ce qui n’est pas normal, ce sont les violences qu’ils peuvent subir, et c’est là qu’il faut élever le niveau d’intolérance, à la fois dans notre société, mais aussi chez les professionnels.

Il y aurait tant de choses à dire ! Je laisse la parole à mes collègues.

Mme Sonya Nour. Bonjour. Merci que nous ne soyons plus simplement des sujets « parlés » mais que nous puissions être maintenant des sujets parlants. C’est extrêmement important pour moi.

Mon histoire a été très difficile. J’ai été placée pour la première fois à sept ans après que ma mère, qui souffrait d’une pathologie mentale lourde, elle était schizophrène, nous avait enfermés pendant dix jours suite à un délire de persécution. Elle était persuadée que quelqu’un viendrait nous tuer. L’enfermement a été difficile mais le plus dur pour moi, c’est que l’on a attendu sept ans avant de nous placer alors qu’il y avait eu des signalements, que j’avais souffert de plusieurs traumatismes crâniens, de brûlures et de divers sévices. Mais il a fallu attendre qu’il y ait ces dix jours d’enfermement dans son délire pour que la police vienne fracturer la porte de chez moi. Le traumatisme a été lourd. Quand on est enfermé pendant dix jours, que l’on nous explique que l’on va venir nous tuer et que l’on voit arriver des personnes armées et être ensuite placés, cela a été pour moi un choc terrible.

Quand je suis arrivée en structure, on m’a séparée de mes sœurs. La petite est allée à la pouponnière, moi je suis allée dans un groupe ; ma sœur a été mise ailleurs, ce qui a été aussi extrêmement violent.

Suite à cela, je n’ai pas été suivie psychologiquement, j’ai simplement passé un entretien avec un « psy d’entrée », qui a considéré que j’allais bien. Je pense que c’était impossible de dire que j’allais bien, après avoir vécu cette année de ma vie dans les conditions que j’ai traversées. J’ai donc été en difficulté au cours de mon placement.

Ma mère a été hospitalisée en psychiatrie quelques mois. Ensuite, ils ont considéré que dans la mesure où elle était sous traitement, je pouvais, nous pouvions retourner chez elle. C’était ma mère, j’étais contente, je l’aimais. Peu importent les sévices, un enfant aime sa mère. Nous sommes retournés et ce qui devait arriver arriva : de nouvelles violences suivies d’un retour en structure, replacement chez ma mère, retour en structure. J’ai ainsi connu sept structures différentes jusqu’à mes douze ans. Je suis alors revenue encore une fois chez ma mère. L’important, c’était absolument le retour en famille. Cette fois-là, ma mère a voulu fracasser la tête de ma grande sœur. Des éducateurs sont venus chez nous et nous ont demandé à nous, enfants, alors que je n’avais que douze ans, si nous voulions partir de chez nous, comme si c’était à nous, enfants, de décider si on devait partir ou pas. Je sentais que si je restais là, j’allais finir par mourir. J’ai donc dit que je voulais m’en aller.

Ils m’ont prise avec ma grande sœur, ils ont laissé ma petite sœur chez ma mère. Cela a été extrêmement difficile. Je ne comprenais pas le placement, je ne comprenais pas comment on pouvait nous ballotter comme ça. En tout, j’ai fait sept structures différentes et huit familles d’accueil, où ça ne fonctionnait absolument pas parce que je refusais les familles d’accueil. J’étais en colère d’être privée de famille, et lorsque j’étais placée dans une famille, pour moi, c’était un miroir terrible.

Je passe sur le fonctionnement des structures ou sur la violence en interne, avec les enfants et les éducateurs. Mes éducateurs me disaient : « Sois contente d’être là. Déjà, tu coûtes cher à la société. » Voilà ce qu’on disait. On me disait que je n’avais pas à me plaindre et qu’il fallait, en gros, que j’apprenne à « me calmer », sauf que j’étais dans une colère énorme et qu’il n’y avait pas d’aide « psy » pour nous.

Ma mère a été mise sous tutelle ; elle était incapable de gérer son argent, incapable de gérer ses papiers. Elle n’avait pas le droit de vote ; par contre, elle avait toujours l’autorité parentale. Quand elle appelait la structure, dans un délire psychotique, pour dire que je me prostituais, que j’avais un maquereau, qu’elle demandait ce que faisait l’ASE, ils ont organisé ce que je considère être un viol. Ils m’ont obligée à quatorze ans à faire un test de virginité. On n’est pas en Iran, on n’est pas en Arabie Saoudite, on est à l’ASE. Ils ont considéré qu’ils devaient vérifier si j’étais ou non une pute, parce que ma mère psychotique l’avait demandé. Ce sont des choses qui, encore aujourd’hui à trente-cinq ans, me sont extrêmement douloureuses.

Ma mère avait toujours du pouvoir. Ce fut conflit sur conflit, fugues, etc. Quand ils m’ont ramenée chez ma mère à onze ans, j’ai fait une tentative de suicide. Ce fut terrible et violent. Et je ne parle même pas des éducateurs avec moi, pas tous – on ne peut mettre tout le monde dans le même sac – mais ils ne supportaient pas que je ne supporte pas le placement.

Arrivée à seize ans, j’étais en détresse et j’ai à nouveau été placée dans une nouvelle structure où, pour la première fois de ma vie, je suis tombée sur des éducateurs et un psy qui m’ont dit : « Tu as le droit d’être en colère et c’est normal que tu sois en colère. » J’ai attendu d’avoir seize ans pour entendre qu’il était normal que je sois en colère. Ensuite, ils ont essayé de me sortir de cette spirale, ils m’ont donné un logement à seize ans. Mais ma mère est partie à Marseille. Dans la mesure où elle avait l’autorité parentale, j’ai été balancée à Marseille. Tout ce que l’on avait essayé de construire avec cette structure a été balayé. J’ai été placée dans un foyer d’une telle violence… Le premier soir où je suis arrivée, j’ai été tabassée. Je suis partie, et donc je me suis retrouvée à la rue à dix-sept ans. Plus de possibilité de structures. J’étais dans un état terrible et donc voilà, ça a été la rue. De toute manière, quand je suis arrivée à Marseille, on m’a dit la façon dont je devais me comporter – vu que j’étais très mal d’être arrivée là-bas. Ils ont ajouté que vu les conditions, un contrat jeune majeur pour les gens comme moi c’était « niet » : de toute manière, ce serait la rue à mon anniversaire. Je m’y suis donc retrouvée pendant quelques années.

La rue, elle vous tue rapidement. Vous n’avez aucun revenu de subsistance, absolument rien, vous êtes à la merci de toutes les violences. Ça été terrible. À vrai dire, je ne sais pas comment j’ai pu me sortir de tout cela en décidant à vingt-quatre ans de reprendre mes études que j’avais arrêtées à quinze ans à peu près. J’ai passé mon bac et puis j’ai décidé de faire des études en psychologie et puis je suis devenue psychologue de formation.

M. Gilles Salmon. Tout d’abord, je tenais à remercier l’Assemblée nationale de m’avoir proposé de participer à cette audition d’anciens enfants placés dans le cadre de la mission d’information de l’ASE.

Je m’appelle Salmon Gilles, j’ai vingt-six ans, je suis l’aîné d’une fratrie de six enfants. J’ai trois frères et deux sœurs. J’ai été confié à l’aide sociale à l’enfance en 2000, à l’âge de huit ans et placé au Comité mosellan de sauvegarde de l’enfance de l’adolescence et de l’adulte, le CMSEA, dans le pôle « protection de l’enfance » au sein du service de placement familial spécialisé, le SPFS.

Mon parcours au sein de l’ASE est le suivant : à la fin de l’été 2000, j’ai été placé dans une première famille d’accueil à Cocheren, en Moselle, pendant environ deux ans. En avril 2002, j’ai été placé dans une seconde famille d’accueil à Hottviller, en Moselle, rejoignant ainsi mon frère et ma sœur cadets. En 2008, après six années passées dans cette famille d’accueil, j’ai, à ma demande, tenté un retour en famille chez ma mère, tout en étant suivi par le SPFS.

En 2009, suite à un signalement auprès de mon éducateur qui me suivait toujours, le SPFS a mis en place un placement dans une nouvelle famille d’accueil, donc un troisième placement, à Nousseviller-Saint-Nabor.

En 2010, toujours à ma demande, j’ai tenté un nouveau retour en famille, qui n’a pas duré, chez ma grand-mère. Au bout de deux ou trois semaines, j’ai été renvoyé dans une quatrième famille d’accueil. « Renvoyer » n’est pas le bon terme, j’ai été placé une nouvelle fois dans une famille d’accueil, celle où j’avais été placé par le passé avec mon frère et ma sœur.

En août 2010, j’ai signé mon premier contrat Jeune majeur et s’en est suivi, en 2011, une intégration dans le foyer de jeunes travailleurs Pilâtre-de-Rozier, situé à Metz. En août 2012, le contrat jeune majeur a été rompu à ma demande et j’ai quitté le foyer de jeunes travailleurs. J’explique les choses de manière très brève. Si vous avez des questions, je pourrai y répondre.

J’aimerais maintenant détailler un peu mon parcours scolaire et mon parcours professionnel.

Je suis titulaire d’un bac STG mercatique. J’ai fait plusieurs tentatives d’études. Toutes se sont avérées infructueuses. En 2014, j’ai choisi d’entrer dans le monde du travail par le biais d’un contrat de professionnalisation au sein de l’enseigne Cora. Pendant l’année scolaire 2015-2016 j’ai exercé la fonction d’assistant d’éducation au collège Folrad à Sarreguemines, en Moselle. De septembre 2016 à janvier 2018, j’ai travaillé dans un cinéma en tant qu’employé polyvalent à Sarreguemines.

Depuis février 2018, petite note positive, on peut se dire que la boucle est bouclée, car après avoir grandi dans le pôle protection de l’enfance au sein du CMSEA et du SPFS, je travaille maintenant au pôle inclusion sociale du CMSEA, au centre d’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile à Phalsbourg en tant qu’assistant d’éducation et d’animation.

On m’a demandé d’exprimer mon ressenti et quelques appréciations sur le dispositif de l’aide sociale à l’enfance. Il ne s’agit que de quelques ressentis ou de quelques appréciations et je suis ouvert toute question.

Pour mon épanouissement en tant qu’enfant et adolescent par le biais du CMSEA et du SPFS, l’ASE m’a été d’un grand secours. Maëlle a dit que l’ASE lui a sauvé la vie. Je ne sais pas si je peux en dire autant, mais je pense qu’elle a été d’un grand secours pour ma vie et pour celles de mes frères et sœurs.

En effet, les conditions de vie de mon cadre familial n’étaient pas forcément propices à une évolution positive vers la vie active, une fois l’âge adulte arrivé. Toutefois, à titre d’exemple, la décision de m’avoir séparé de ma fratrie lors de mon placement a provoqué de nombreuses turbulences dans mon évolution.

Je suis l’aîné et, pendant mon placement, ma maman a eu d’autres enfants. Suite aux divers placements du reste de ma fratrie, la réunification de la famille n’a jamais pu ou voulu être mise en place pour mes trois frères, mes deux sœurs et moi-même.

J’aimerais conclure cette intervention en remerciant les professionnels qui m’ont accompagné au quotidien, tels que les familles d’accueil, les éducateurs, les psychologues, etc. Certains ont et auront toujours une place importante dans ma vie, car ils ont été et sont toujours des piliers de mon chemin de vie. Je pense en particulier à David Boyon, mon ancien éducateur et aujourd’hui chef du service d’éducation spéciale et de soins à domicile, un service éducatif renforcé d’accompagnement à domicile, et à une famille en particulier, la famille Odile et Michel Müller, que j’appelais « tata et tonton » et que j’appelle toujours ainsi aujourd’hui.

Mme Gabrielle Scherrer. Bonjour. Je m’appelle Gabrielle Scherrer.

Je suis actuellement en bac pro vente. Je suis une ancienne de l’ASE. Mon parcours a été très difficile. Ma mère est atteinte de schizophrénie et est bipolaire depuis ma naissance. Les médecins n’avaient pas diagnostiqué sa maladie.

Toute petite, j’ai fait deux AVC : le premier à un an, le second a causé mon handicap actuel. Mon père a été souvent là pour moi, ma mère pas du tout. On m’a laissé trois jours avec ma mère alors que j’avais fait un AVC. Je ne sais pas comment j’ai fait pour survivre. Mon père est décédé quand je suis sortie de l’hôpital. Cela a été un énorme choc. Après, alors que j’avais quatre ans, ma mère m’a laissée dans une caravane pendant vingt-quatre heures, tout le temps.

L’ASE appelait ma mère au téléphone, parce qu’elle n’était jamais là aux rendez-vous, seulement mon père. Cela a causé plusieurs problèmes. Ensuite, c’est mon grand-père qui a appelé en urgence l’aide sociale à l’enfance.

À quatre ans, ils sont venus me chercher en Normandie pour que j’aille à l’ASE. Cela été très difficile parce que je venais de comprendre que mon père était décédé. Et mon père, c’était vraiment tout ce que j’aimais, un peu moins ma mère parce que cela a été compliqué. Ma mère n’a pas du tout accepté que je sois placée. Nous avons eu plusieurs problèmes avec ça.

Après être restée deux jours dans un foyer d’urgence, j’ai été placée dans un foyer, de mes quatre ans à mes huit ans. J’ai vécu l’horreur, vraiment l’horreur. Dès le début où je suis arrivée, je voulais être gentille, mais quand on est handicapé, avec les jeunes, vous ne savez jamais comment ils vont réagir, comment ils vont être. Les enfants qui étaient là avaient quinze ans, dix-sept ans, quatre ans, deux ans. Ça a été l’enfer parce que j’ai eu des tapages nocturnes, j’ai été violée, tout cela de mes quatre à mes huit ans. Après cela, j’arrivais avec quatre plaintes, pas n’importe quelles plaintes. Quand on m’a récupérée, ça a été compliqué. Un éducateur est venu me dire que j’allais finir en famille d’accueil. Changer de foyer ne pouvait me rendre plus heureuse. Mon éducateur m’a demandé ce qui avait pu m’arriver pour que je sois aussi renfermée. Je lui ai tout expliqué. Le jour où je me suis permis de « mettre ma voix » contre tous ceux qui avaient abusé de moi ou qui m’avaient frappée, tous les jours
– vous ne vous rendez pas compte, tous les jours, tous les jours, c’était la même chose. C’était des choses horribles. Comme j’étais handicapée, on devait me laver le dos, on devait me faire plein de trucs. Bref, j’ai déposé plainte. Je suis arrivée devant le juge. La première chose qu’il m’ait dite, c’est : « Vous n’êtes pas accompagnée d’un avocat ? » Non, on ne m’avait pas mise au courant, à huit ans, qu’il fallait un avocat. J’étais seule devant toutes les personnes qui m’avaient abusée. Cela a été un enfer. Il n’y en a que deux qui ont fait suite.

Ensuite, je suis passée dans une famille d’accueil où c’était strict, mais heureusement je n’avais pas de problèmes. Malheureusement, on m’a ensuite placée dans un centre spécialisé pour handicapés. J’ai très mal vécu cette période, même si j’y avais des amis et des gens qui tenaient à moi. Il me paraissait impensable que l’on en soit arrivé là, sans compter que j’avais des tas de problèmes familiaux. Ma mère était en pleine crise de schizophrénie et bipolaire. Ma mère venait souvent me voir le week-end. Nous ne faisions que nous engueuler, nous frapper. Face à ma mère, le seul recours que j’avais était la fuite. Et je fuyais, je fuyais, jusqu’au moment où ma grand-mère m’a dit que c’était fini, que j’irais chez elle quand cela n’irait pas. Ma grand-mère m’a énormément aidée. J’avais beaucoup de crises d’angoisse quand je dormais. C’était horrible, je n’arrivais plus à dormir, on a dû me prescrire plein de médicaments pour que je dorme.

Je reviens à la façon dont cela se passait au foyer. Au foyer, c’était l’angoisse. Comme j’étais handicapée et que je souffrais d’un nouvel handicap, on avait multiplié par deux les doses de médicaments. La nuit, je ne sentais absolument rien. Quand les garçons venaient me voir, je ne pouvais même pas hurler, je ne pouvais rien faire. C’était angoissant. Ma grand-mère m’a énormément aidée et je la remercie.

J’ai ensuite été placée à deux reprises en famille d’accueil. Ensuite, on ne savait pas trop où me mettre. Me placer en foyer, la situation se répétait. J’ai encore du mal à avouer cela.

La troisième famille d’accueil savait que je n’allais pas rester longtemps et elle me laissait dans ma chambre, sans même venir me voir de temps en temps. J’avais vraiment toute la liberté que je voulais, mais ils n’en avaient rien à foutre de moi.

Le jour de mes seize ans, on m’a dit que je partais de l’ASE et qu’on allait me trouver un foyer de jeunes étudiants, alors qu’ils avaient vu mon dossier et ce qui s’était passé. Je leur ai demandé : « Pourquoi vous me remettez-vous dans cette merde ? »

J’ai appris à prendre mes décisions. Aujourd’hui, je suis partie de l’ASE définitivement. Je suis en foyer de jeunes étudiants jusqu’à la fin de l’année. Ensuite, on verra ce que je fais.

M. Mamédi Diarra. Avant de procéder à une présentation générale, je vous dirai quelques mots sur mon parcours.

Je suis un enfant placé en foyer avec mes frères et sœurs suite à une mesure d’action éducative en milieu ouvert (AEMO) qui n’avait pas fonctionné de 1999 à 2001. J’ai été placé à l’âge de sept ans la première fois jusqu’à ma majorité. Ensuite, j’ai eu un contrat Jeune majeur jusqu’à mes vingt et un ans. Je suis actuellement en master droit fiscal, à la Sorbonne.

J’ai vingt-cinq ans, j’ai connu quatre lieux de placement dans une structure qui était maltraitante à mon égard, essentiellement sur le plan psychologique. J’ai également connu quelques épisodes de maltraitances physiques. Ce fut une période très compliquée de ma vie, une période où je n’étais absolument pas entendu, pas écouté, notamment par le juge qui préférait lire les rapports falsifiés et mensongers de la structure où j’avais été placé plutôt que d’écouter ma parole d’enfant en souffrance. J’étais également suivi par un psychiatre qui établissait des rapports. Je suis entré en dépression à cette époque-là. Il a été compliqué de me sortir de cette structure, il a fallu que je me retrouve à l’hôpital pour que le juge, au milieu de l’été, prenne une ordonnance qui décide de mon départ.

Actuellement, je suis le président de Repairs 94, l’association des accueillis et anciens en protection de l’enfance du Val-de-Marne, président de l’association Appellation d’origine citoyenne, membre du comité d’animation du Forum français de la jeunesse et élu à Vincennes. Je suis un multi-engagé. C’est lié à mon parcours et à différents événements qui se sont produits dans ma vie.

L’Aide sociale à l’enfance est héritière de l’assistance publique et de l’ancienne DDASS. Des difficultés traversent les époques. Ces difficultés sont celles qui font échouer l’insertion sociale pleine et entière de centaines de jeunes en France et cela n’est pas acceptable au XXIe siècle.

Les jeunes sont l’avenir et le présent, donc pourquoi ne pas leur donner toutes les chances de réussir à s’en sortir après avoir rencontré des difficultés d’ordre social, économique, scolaire, culturel ou bien d’autres encore ?

Nous avons collectivement l’obligation de changer les choses aujourd’hui durablement. Nous avons collectivement l’obligation de ne pas laisser au bord de la route celles et ceux qui ont connu une enfance difficile et une jeunesse volée, tronquée ou, comme pour moi, sans l’insouciance normale qui doit être celle d’un jeune.

Je présenterai quelques constats sur la situation des enfants accueillis.

Un suivi de la scolarité très faible ou inexistant.

Des structures maltraitantes qui continuent d’accueillir des enfants, que ce soient des foyers ou des familles d’accueil...

L’existence du michetonnage dans certains départements et de pratiques à risque chez les jeunes, filles et garçons, mineurs ou jeunes majeurs.

La situation des enfants et des jeunes atteints des troubles psychiques, de handicaps, de dépression, mal accompagnés, faute de places en nombre suffisant ou de professionnels qualifiés dans les structures ou autour des structures.

Une solitude ou un sentiment de solitude. On sait que la jeunesse est un temps où elle a besoin d’avoir accès à des activités récréatives, sportives, culturelles... Le fait d’être placé peut avoir des effets bénéfiques sur l’aspect culturel et social, mais pour un nombre non négligeable de cas, ce n’est pas le même horizon qui se présente aux accueillis.

L’association a essayé de rompre cette solitude et cette inégalité vis-à-vis des enfants et des jeunes en proposant des activités dans des domaines variés pour faire découvrir, « faire goûter » à tout et désacraliser certaines choses. Je pense en particulier au ciné-club, aux ateliers créatifs, au local de l’association à Créteil, aux « pair’iples » que nous organisons, aux sorties au théâtre, à la boxe anglaise en club, à la salsa avec une passionnée expérimentée qui nous propose cette activité, prochainement aux ateliers d’éloquence visant à renforcer la confiance en soi, l’expression et la prise de conscience.

Le modèle des pouponnières est en danger en raison de décisions qui n’ont pas de lien avec le secteur social mais qui l’impactent et produisent des effets sur les enfants et les personnels en termes de temps de travail, de rythme d’activité, du nombre de personnes qualifiées, de moyens financiers accordés aux structures.

Étant donné les nouvelles organisations familiales et le temps de travail, nous proposons une chose simple et qui par ailleurs aurait des effets bénéfiques pour un autre corps de professionnels que sont les assistants familiaux. Nous proposons que pendant la journée ils confient les bébés aux pouponnières, ce qui leur permettrait alors de travailler et d’apporter un revenu supplémentaire concourant à une situation financière plus stable pour le bien du foyer d’accueil et de l’enfant confié. Dans cette hypothèse, les pouponnières seraient des accueils de jour dotés d’un plateau technique hautement qualitatif consacré au développement et au bien-être de l’enfant ainsi qu’à son épanouissement cognitif qui, en amont de l’inscription à l’école, n’est pas un facteur négligeable.

Les pouponnières pourraient également être, dans cette organisation, des espaces ressource pour les assistants familiaux et les crèches environnantes souhaitant prendre conseil. Mes petites sœurs ont été en pouponnière au foyer de Sucy-en-Brie, où cela s’est très bien passé.

S’agissant des observatoires départementaux de la protection de l’enfance, encore trop de départements ne l’ont pas encore mis en place aujourd’hui, malgré le temps passé depuis les différentes lois.

Je dresse là un tableau noir mais tout n’est pas à jeter ! Il y a de belles réussites à l’ASE lorsque la volonté politique est ambitieuse, de bons dispositifs aussi, il suffit de visiter les villages de SOS Villages d’Enfants, le dispositif Haut-parleur dans le Finistère, le foyer départemental de l’enfance de Sucy-en-Brie qui a été mon premier placement, certains foyers à taille humaine, des familles d’accueil dévouées... Tout cela existe aussi.

Pour un accompagnement efficace, il faudrait :

Un meilleur contrôle des structures sur la qualité effective de la prise en charge : tenir compte de la parole des accueillis, contrôler effectivement la qualité relationnelle et la qualité d’accompagnement vers les objectifs fixés, notamment par le pouvoir judiciaire.

Des sanctions fermes et sans complaisance en cas de maltraitance d’une structure accueillante, qu’elles soient psychiques, physiques ou morales. Je vise le retrait de l’agrément ou de l’habilitation à accueillir des enfants. Il y va de l’intérêt supérieur de l’enfant, car trop de structures continuent aujourd’hui à exercer et à accueillir lorsque des maltraitances sont avérées et même connues des institutions départementales.

Des éducateurs scolaires ou du moins un suivi scolaire de qualité afin d’améliorer la continuité de la scolarité et les relations entre les services de l’ASE et le milieu scolaire, Il conviendrait de clarifier, d’entretenir, d’appuyer la mise en place de réseaux de travail commun et de suivi des accueillis pour lisser leur intégration et leur bonne scolarité – associations, Éducation nationale, mairie, département.

Une transition entre les modes d’accueil ou lieux de placement : il faut que nous nous engagions pour qu’il n’y ait pas de mise en danger de la qualité d’une prise en charge et du moral d’un enfant ou d’un jeune accueilli, d’autant plus pour celles et ceux en bas âge. Pour y parvenir, il faut systématiser les périodes transitoires entre les modes d’accompagnement ou le lieu d’accueil, en proposant à l’enfant, par exemple, des temps progressifs sur le futur lieu de vie, avec la possibilité de faire en sorte que les éducateurs et éducatrices du précédent lieu d’accueil puissent faire quelques visites à l’enfant. C’est souvent une demande des enfants qui n’est pas prise en compte. Les enfants sont souvent ballottés d’une structure à l’autre. Du jour au lendemain, leurs liens avec la structure dans laquelle ils étaient placés sont coupés.

Un engagement pour le développement de dispositifs et structures adaptés. Je vise ici les troubles psychiques, la délinquance juvénile, dans le respect des principes fondateurs de l’ordonnance de 1945. Le « repérage des jeunes les plus en risque de rupture » constitue un véritable enjeu et un préalable essentiel à la démarche de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes. Nous affirmons dans le même propos l’absolue nécessité de ne pas exclure celles et ceux qui ne seraient – entendons-nous souvent – « pas assez en difficulté » et qui sont rejetés des dispositifs sur ce fondement. Ce fut mon cas ; cela s’est traduit par le retrait d’une bourse complémentaire d’étude qui existait dans mon département, que j’aurais dû toucher jusqu’à mes vingt-cinq ans. Or, à mes vingt et un ans, on m’a fait comprendre que je n’étais pas assez dans la merde, excusez-moi du terme, pour bénéficier de ce dispositif qui n’était que de 160 euros par mois, mais qui, à l’âge que j’avais, représentait énormément.

Il conviendrait de :

Renforcer la formation des assistants familiaux.

Si la situation physique et psychique de l’enfant le permet, il conviendrait de leur laisser la possibilité d’avoir un emploi en parallèle de « l’activité » d’assistant familial.

Valoriser leur travail et enrichir leur travail.

Favoriser la constitution de plateaux techniques.

Éviter les séparations de fratrie.

Introduire du collectif dans la prise en charge personnalisée : des espaces de dialogue et de rencontre pour les enfants et les jeunes pour pallier le fort isolement des jeunes qui sont placés en famille d’accueil familial.

Au titre des points de vigilance, je dirai qu’il ne faut pas privilégier un mode d’accueil par rapport à un autre : chaque enfant, chaque situation réclame un mode de placement spécifique. Le panel existant doit être ouvert en considération des besoins et de la volonté des enfants.

Les difficultés des jeunes majeurs de l’ASE sont affectives et financières. Ils ont des difficultés à avoir un accès à un logement stable et à financer leurs études, à accéder à l’information et au droit. Gabrielle parlait de la présence d’un avocat. On ne sait pas forcément que l’on a droit à un avocat.

Je vous livre quelques éléments chiffrés.

Plus de 340 000 enfants et jeunes sont placés à l’ASE. Ils ont cinq fois moins de chance de préparer un baccalauréat général, selon l’INED en 2016.

Près d’un quart des SDF déclare être passé un jour par l’ASE.

Environ 30 % des moins de 30 ans utilisateurs de services d’hébergement temporaire et de restauration gratuite sont des anciens et anciennes de l’ASE, selon l’INSEE en 2016).

L’âge du premier emploi significatif se situe autour de vingt-trois ans. L’âge moyen de décohabitation de la population générale se situe à vingt-six ans.

Pourquoi demander plus à ceux qui ont moins ? Les jeunes ont des difficultés à accéder à des dispositifs tels que la CMU et la CMU-C, et un manque de continuité touche l’accès à ces dispositifs pour les jeunes qui deviennent majeurs.

Collectivement, nous devons enrayer l’engrenage qui, pour des raisons budgétaires court-termistes, conduit des jeunes à ne pas achever leur formation ou à en suivre une par défaut. Ils sont orientés vers des formations courtes avec une injonction à l’autonomie le plus rapidement possible, qui est la raison d’échecs scolaires, alors que l’on investit presque un million d’euros pour un jeune placé dès sa petite enfance jusqu’à sa majorité, et ce pour économiser quelques milliers d’euros à la fin, mettant à mal l’ensemble du parcours d’accompagnement.

Pour conclure, ensemble, institutions publiques et associations, accueillis et anciens accueillis de l’ASE, notre responsabilité est que chacune et chacun puisse se réaliser pleinement et durablement pour accéder à l’autonomie réelle. Des solutions sont possibles. Je vous livrerai quelques éléments en répondant à vos questions. Je vous remercie d’avoir permis de m’exprimer.

M. Joao Bateka. Merci de me concéder la parole.

Je m’appelle Joao Bateka, j’ai bientôt vingt-trois ans. J’ai été placé à l’aide sociale à l’enfance à l’âge de quatorze ans avec ma petite sœur, qui avait douze ans à l’époque. Je fais partie de cette minorité que l’on essaye aujourd’hui de considérer comme majoritaire. Je suis un ancien mineur non accompagné (MNA). J’ai été placé en foyer d’urgence, en internat et dans des familles d’accueil.

Je suis originaire de Luanda, je viens d’Angola. Aujourd’hui, je suis administrateur de DI France, membre de Repairs 94, administrateur de Repairs 75, membre du collectif École pour tous, animateur socio-éducatif, président d’un club de sport.

Aujourd’hui, je ne porte pas simplement le parcours qui est le mien, mais celui de plusieurs autres. Je m’excuse par avance si je déborde sur le temps qui m’est imparti, mais je pense que cela vaut le coup. J’ai avec moi deux lettres ouvertes de plusieurs jeunes, que je vais vous lire sans omettre un seul mot.

« Mesdames, messieurs, je cherche par ce moyen à capter votre regard pendant quelques instants. Je m’appelle Joao, comme le camarade de classe de votre enfant, je m’appelle Saïf, comme le serveur du restaurant où vous déjeunez tous les mardis, je m’appelle Sarah, comme la chanteuse que votre fille écoute sans cesse sur son iPhone, je m’appelle Moussa, Abdel, Hamady, Moustapha, Cédric, Mahamadou, Mahmedi, Sayed, Mohamed, comme l’enfant des voisins d’en face. Vous savez comment je m’appelle et croyez-moi cela me fait plaisir. Cependant, je trouve indispensable de vous dire qui je suis.

« Je suis l’enfant qui, à l’âge de deux ans, a été placé en foyer, pour des raisons que jusqu’à aujourd’hui je ne comprends pas. J’étais très jeune.

« Je suis le jeune adolescent qui, lors de sa crise, a causé énormément de dégâts au sein de la famille qui a décidé de me confier aux soins de l’ASE, dans l’espoir que je puisse grandir avec un accompagnement éducatif de qualité, qui me permettrait de devenir un adulte responsable.

« Je suis le jeune homme qui, à seize ans, a quitté le foyer de sa mère. J’ai séjourné au Burkina, au Niger, en Libye, parmi des centaines de jeunes de mon âge, d’autres encore plus jeunes. Il m’a fallu bien plus que de l’innocence pour traverser cette mer, où plusieurs se sont échoués.

« Motivé par mes rêves et poussé par l’espoir d’une vie meilleure, après six mois de voyage, je me trouve aujourd’hui avec vous. Donc je suis là.

« Je n’ai pas que le passé à vous raconter. Je suis aussi étudiant, apprenti, sportif, artiste. Je joue au football dans le club de ma ville, je chante à la chorale de l’église, je fais du théâtre avec un collectif culturel, je suis animateur au centre de loisir du village d’à-côté. J’aime aller au cinéma le samedi après-midi avec mes amis, écouter de la musique dans les transports et lire un livre quand je m’ennuie.

« Je fais aussi partie de cette génération qui rêve. Il m’arrive de dire aux gens qu’un jour je serai docteur, pompier, infirmière, éducatrice, astronaute, restaurateur, vétérinaire, professeur, footballeur, ingénieur, maçon, menuisier, fleuriste, coiffeuse, etc...

« J’ai certainement un passé différent de celui des autres enfants de mon âge, mais j’aimerais beaucoup que mon présent et mon futur puissent être conjugués avec les mêmes verbes que les autres : vivre, aimer, rêver, jouer, chanter, rire, essayer, échouer, apprendre et réessayer.

« Je suis un enfant de dix ans, quinze ans, dix-sept ans, dix-huit ans, vingt ans. Veillez à ne pas oublier que je suis un enfant, peut-être pas le vôtre, mais celui de quelqu’un, tout comme le vôtre.

« Messieurs, mesdames, le regard que je cherche à capter durant ce court instant n’est pas un regard de pitié, mais d’humanité. Regardez-moi, s’il vous plaît, comme vous avez regardé celui pour qui vous avez été le premier regard humain. Regardez-moi, s’il vous plaît, car si vous ne le faites pas, je meurs, je meurs de honte de ne pas avoir été à la hauteur de votre regard de père, de mère. Si vous ne le faites pas, mon destin sera voué à l’échec. Sans vous mes chances sont moindres.

« Je vous prie de bien vouloir me donner le droit d’avoir le droit. Le droit d’avoir le droit de vivre, comme mon camarade de classe qu’est votre enfant, le droit d’avoir le droit d’être vu par tous comme étant comme tout le monde, le droit d’avoir le droit de rêver, mais avant tout donnez-moi le droit, s’il vous plaît, d’avoir le droit à des nuits de sommeil paisibles, même après mes dix-huit ans. »

Mesdames, messieurs, si je prends ce ton solennel pour vous dire ces quelques mots, c’est que j’espère de tout mon cœur qu’ils toucheront le vôtre, vous, représentants du peuple, vous pères, vous mères, vous êtres humains dotés de toutes les qualités qui nous distinguent dans l’immensité de l’univers.

J’aurais aimé vous parler d’amour, vous raconter une belle histoire à la belle étoile, une nuit de pleine lune. Cependant, contre tout désir, je suis forcé de vous parler, des ruines des nuits sombres, des nuits de faim, de froid, de cauchemars, de désespoir, de peur. Oui, j’ai peur.

J’ai peur de ne plus t’aimer, de vouloir la mort de mes rêves, de ne plus jamais voir l’arc-en-ciel de ma vie, de ne plus attendre car je ne suis plus celui sur qui vous portez l’espoir, je ne suis plus celui sur qui un regard de respect sera posé, à qui une phrase de courtoisie sera adressée. Je deviens celui à qui la dignité a été confisquée.

Combattant de mon parcours, j’ai usé de toutes mes forces pour mériter votre considération, l’empathie, le respect de mes semblables, tout simplement en tant qu’être humain. Je pensais avoir un jour conquis votre humanité et sollicité ces qualités qui sont vous sont nobles. Mais, aujourd’hui, une fois de plus, l’histoire nous rappelle que nos différences sont autant d’obstacles à notre quête d’humanité.

Si je viens aujourd’hui verser sur votre épaule cette première larme, c’est parce que je vous ai trouvé rempli de valeurs, combattant pour une cause à laquelle vous croyez, luttant contre les injustices.

Je n’ai jamais douté, mesdames, messieurs, de votre foi mais aujourd’hui votre foi a besoin d’être prouvée, car une foi sans action est une fois morte.

Je suis un enfant tout comme le vôtre, peut-être pas le vôtre, mais celui de quelqu’un d’autre. Tout comme votre enfant, qui pourrait se retrouver malgré lui dans une situation comme la mienne, peut-être pas aujourd’hui mais demain, peut-être pas ici, mais ailleurs, je vous prie de pas fermer les yeux face à l’injustice, car il existe des lois injustes comme des hommes injustes et nul ne doit de se soumettre à une loi injuste. Et même si nous sommes une majorité d’un seul homme, la vérité c’est la vérité.

Se positionner aujourd’hui, ce ne pas seulement défendre une minorité d’hommes et de femmes affaiblis et martyrisés mais aussi défendre votre foi, vos valeurs, votre dignité en tant que représentants du peuple, de parents et d’êtres humains tout simplement. Ce n’est pas simplement sauver quelques hommes, femmes et enfants, c’est sauver l’humanité.

Je ne cherche en rien à vous flatter avec mes mots de courage ou mes utopies, mais je pense qu’en tant qu’enfant, j’avais besoin de vous rappeler ce que vous représentez pour nous. Vous êtes un modèle, un exemple, une vie, vous êtes un idéal pour nous, et si aujourd’hui le sentiment de lâcheté vous porte, n’oubliez pas que cela aura des impacts sur nous et les générations à venir.

Pour cela, mesdames, messieurs, je vous prie de tout mon cœur d’agir et en aucun cas de ne vous résigner face à l’injustice. Nul ne vaut plus cher que la dignité d’un homme, aucun argent au monde ne peut acheter votre humanité. Aucun patron, homme ou céleste, ne peut vous soumettre à commettre des actes ignobles envers vos semblables.

Aujourd’hui, démuni de tous mes moyens de survie, je me trouve rejeté, abandonné, tel un animal de compagnie, vieux, encombrant et inutile au bord de la route à 18 ans, vous trouvez cela injuste et je vous garantis que votre sentiment d’empathie me touche énormément.

Une belle chanson française dit : « On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille. On choisit pas non plus les trottoirs de Manille, de Paris ou d’Alger pour apprendre à marcher. » Je suis né quelque part, laissez-moi ce repère ou je perds la mémoire.

Laissez-moi ma chance d’apprendre à marcher, ne laissez pas les dix grands et puissants marcher sur ma tête au prétexte qu’elle est trop foncée ou que mon accent est trop corsé. Je ne vous demande pas de m’aimer mais j’exige que vous m’acceptiez car, tout comme moi, vous êtes aussi un étranger quelque part.

Tous les hommes naissent libres et égaux en droit. Si nous ne naissons pas égaux à vos enfants en droit, nous ne sommes pas des hommes. Qui sommes-nous, alors, à vos yeux ? Qu’avons-nous fait pour ne pas mériter juste un peu de dignité ? Merci.

Pour les questions concernant mon parcours, je répondrai à vos questions.

M. le président Alain Ramadier. Je vous remercie beaucoup de vos témoignages.

Mme Perrine Goulet, rapporteure. Merci à vous. Il est difficile d’intervenir après avoir entendu tous ces témoignages. Nous allons toutefois essayer de le faire.

Je vous remercie de vous être livrés. Je sais que ce n’est pas toujours simple. Nous avons ressenti l’émotion dans la voix de certains et surtout de certaines d’entre vous. Je vous remercie vraiment de vous être livrés à nous aujourd’hui sur ce sujet si important.

À travers vos parcours, on voit ceux qui ont pu être tirés par un éducateur ou une famille d’accueil et ceux qui n’ont pas trouvé cet écho. Il est important pour nous d’entendre des personnes pour qui l’ASE a été profitable et d’autres pour qui cela ne l’a pas été. J’aimerais que ceux qui s’en sont sortis plus facilement nous disent l’impact que représente d’avoir un attachement. Pour les autres, n’avez-vous jamais rencontré d’éducateur ou quelqu’un à qui vous raccrocher ?

Mme Maëlle Bouvier. Entendre ces témoignages m’a grandement émue et je me suis rendu compte en creux de la chance que j’ai pu avoir.

J’ai été assez étonnée d’entendre les nombreux témoignages où les enfants ont dû retourner dans leur famille alors que ces dernières étaient violentes ou maltraitantes.

Pour ce qui me concerne, ma mère est décédée de la maladie de Charcot quand j’avais six ans, mais mon père était toujours présent. Il est décédé il y a quelques années. Il a gardé l’autorité parentale mais je n’ai jamais eu à retourner chez lui, je n’ai jamais eu à subir ses décisions et ses actes un peu délirants. Son droit de visite était très limité parce que j’étais placée dans le Gers, et lui habitait à Tours. Avec mon frère, nous le voyions une fois par trimestre pendant quelques heures à Bordeaux en présence d’un éducateur. C’est tout. Je crois que cette stratégie a été très bénéfique pour moi et mon frère. Par ailleurs, nous savons d’où nous venons et nous avons créé des liens affectifs et familiaux avec nos grands-parents, avec nos oncles et tantes, avec nos petits frères et sœurs qui sont nés après, avec nos cousins. Je sais qui je suis, je sais d’où je viens, j’ai cet ancrage sans avoir à subir des liens réguliers avec les éléments perturbateurs de ma famille biologique.

Il est vrai que mon frère et moi-même n’avons pas très bien vécu le temps où nous avons été placés en foyer, mais nous étions petits. Nous n’y sommes pas restés très longtemps mais j’ai quand même souvenir de cette violence symbolique et institutionnelle forte. Le passage en famille d’accueil a évidemment été pour nous une chance, on est tombé sur une famille d’accueil formidable que j’aime très fort, qui est ma deuxième famille aujourd’hui. Je suis la marraine de la première fille de mon frère d’accueil, mon frère est le parrain du fils de mon frère d’accueil. Nous formons aujourd’hui une famille, c’est ma deuxième famille, ce ne sont pas mes parents, je ne les appelle pas « maman, papa » mais Henriette et Jean-Jacques. C’est mon ancrage et cela l’a été pendant de très nombreuses années.

On parle souvent à l’ASE du lien que les travailleurs sociaux et les familles d’accueil doivent avoir avec l’enfant, notamment le fait de mettre une forme de distance. Je le conçois. J’ai travaillé sur les schémas départementaux de l’ASE. J’entends très bien cet argument. Cela dit, protéger un enfant est une chose, mais qu’il se sente lui-même protégé est encore autre chose. Si je n’avais pas eu la tendresse de ma famille d’accueil, sa patience infinie face à deux enfants très en colère, je n’en serais certainement pas là aujourd’hui. Ils ont été aidants à bien des égards. Ils ont perdu leur fille pendant le placement suite à un accident, ils nous ont gardés. Cela a été pour nous une marque d’amour très forte, cela nous a beaucoup aidés à nous construire. Évidemment, ce fut un moment très douloureux pour tout le monde. Je sais que le fait que nous ayons été placés chez eux les a aidés, eux, à tenir et nous à nous construire.

J’étais sur les bons rails, j’avais cette famille d’accueil, j’étais une bonne élève, mon frère aussi, je voulais faire de grandes études, j’avais beaucoup d’ambition. Je ne me suis jamais posé la question de mes dix-huit ans, jamais. Le contrat jeune majeur nous a été donné, sans que nous n’ayons eu à nous battre, même si j’ai dit que je voulais faire des études de droit et être juge. L’ASE m’a fait passer quelques petites auditions avec des psys pour s’assurer de la pertinence du projet. Ce petit moment ne fut pas très agréable !

Le contrat jeune majeur m’a grandement aidée. Quand je me suis rendue à l’ASE à Tours à vingt ans, un peu fanfaronne, pour dire que tout allait bien, que je m’en sortais bien, que je venais d’être reçue à Sciences Po, que je faisais des petits boulots, que j’avais réussi à m’acheter une petite voiture, l’ASE m’a dit que je n’avais donc plus besoin de ma famille d’accueil. J’avais dix-neuf ans, je n’ai pas compris ce qui m’arrivait. Ma famille d’accueil était à un an de la retraite et a refusé la décision. Henriette s’est mise au chômage pendant un an, ce qui nous a permis de garder nos chambres.

À cet âge-là, il faut tout apprendre : on doit se trouver, on doit chercher, on doit gérer un budget, on doit apprendre à cuisiner, à réussir ses examens, on ne sait pas trop où on va. Savoir que je pouvais rentrer le week-end dans cette famille, qu’elle me donne un petit bocal de pâté, une petite salade du jardin, que je pouvais raconter ma semaine et avoir un câlin avant de repartir, cela a tout changé, alors même que j’étais vraiment sur les bons rails. Mais je pense que si je n’avais pas eu ce contrat jeune majeur, d’une part, cette décision de ma famille d’accueil, d’autre part, je n’en serais pas là. Je pense que j’aurais vrillé et que j’aurais perdu l’ancrage et la stabilité qu’on avait eu du mal à construire pendant plusieurs années,

Dernier point, je pense qu’il faut vraiment travailler sur l’accompagnement psychologique des enfants, les engager dans un parcours de résilience, prendre soin d’eux, entendre leur colère, leur donner la parole. Je suis allée voir des psychologues quand j’étais adolescente, j’ai continué à en voir quand j’étais adulte. Je suis en train de terminer une psychothérapie, c’est un long chemin. C’est un socle, un outil, une respiration fondamentale que l’on devrait activer dès le plus jeune âge avec bienveillance et adresse, parce que cela reste encore un sujet un peu tabou en France alors que dans ces cas-là, notamment pour des enfants placés, cela me semble fondamental.

Mme Sonya Nour. Maëlle a tout dit. Ce qui m’a manqué, c’est de la stabilité et de l’amour. Je ne comprends pas comment on a pu … J’étais un numéro de dossier. On ne savait pas toujours exactement ce qu’on allait faire de moi ou de mes sœurs. On me ballottait alors qu’on savait pertinemment que ma mère était gravement malade, qu’elle était incapable de soins parce qu’elle ne reconnaissait pas qu’elle était malade. Pourtant, ça faisait le forcing pour que nous restions chez elle. J’ai vu le juge à plusieurs reprises. Il nous demandait ce que nous voulions. Mais la première chose que dit un enfant, c’est : « Je veux ma maman. » Au vu du passif, comment le juge et les éducateurs peuvent-ils décider d’arrêter le placement et de renvoyer les enfants chez eux ? Comment est-il possible que j’aie été placée dans sept foyers et huit familles d’accueil ? Et que l’on m’ait reproché à l’adolescence de ne pas avoir de stabilité émotionnelle. Comment est-il possible que l’on ait pu me dire : « Tu n’auras pas de contrat jeune majeur parce que tu es instable. » Mon seul destin était : « Tu survivras à la rue. » Et c’est tout.

Cela pose plusieurs questions. Sommes-nous capables de dire stop à la famille ? Est-on en mesure de dire à un parent qu’il n’est pas en capacité de s’occuper de ses enfants et de mettre fin à l’autorité parentale ? C’est fondamental. Alors que j’étais dans une situation de détresse émotionnelle, que j’avais vécu des événements extrêmement lourds et très violents, parce que vivre avec une psychotique qui ne se soigne pas c’est très dur, comment ma mère a-t-elle pu avoir un impact à l’intérieur des structures ? Comment a-t-il été possible qu’elle ait encore du pouvoir ? Ça me mettait dans une situation telle que je ne pouvais jamais accepter le placement. On me disait que ma mère était capable, alors que, dans le même temps, j’ai été placée. Un enfant ne peut pas supporter cela. C’est psychiquement intenable.

Il faut revoir cette question de la famille. Ce ne sera pas facile dans une société où l’on affirme que les liens du sang sont un élément fondamental et qu’il faut revenir à la famille. Tu as tout dit, Maëlle : stabilité et amour, même quand il n’y a pas les liens du sang.

M. Lyes Louffok. Je partage évidemment tout ce qui a été dit et pour le coup, on le voit à travers les différents récits. En fonction de la durée des placements, la question de la stabilité des parcours et de l’attachement est différente. Il faut, je pense, prendre un tournant et admettre qu’il n’est plus tolérable de placer un enfant de sa naissance à sa majorité. Pour moi, c’est un échec de se dire qu’un enfant peut rester placé pendant dix-huit ans ou dix-sept ans. Il faut sortir des débats passionnés sur les questions d’autorité parentale et d’adoption.

Je reviens à mon cas personnel. La première famille d’accueil où j’ai été placé était prête à m’adopter, elle avait ce désir et en a fait la demande, sauf que ma mère biologique qui, ne l’oublions pas, était sous tutelle, et donc incapable au regard de la société d’être responsable d’elle-même, avait l’autorité parentale et donc pouvait être responsable d’un enfant. Il convient de sortir de ces débats un peu idéologiques sur la question des liens du sang, de la filiation, et de se dire que le dispositif de l’adoption simple doit être intégré comme un dispositif de protection de l’enfance. Si l’on avait retiré l’autorité parentale à ma mère biologique et que l’on avait permis à ma première famille d’accueil de m’adopter selon les modalités d’une adoption simple, je n’aurais pas vécu pendant dix-huit ans placé, je n’aurais pas vécu des ruptures. J’aurais pu avoir une plus grande stabilité à l’âge adulte car un placement long entraîne aussi un risque de rupture plus important. Ce sont des éléments qui ne sont pas négligeables. Le plus vieil ami que j’ai aujourd’hui dans mon entourage est une personne que j’ai rencontrée quand j’avais seize ans. Je n’ai pas d’amis d’enfance, de l’école, du collège ou autres. En raison de mes placements dans différentes structures en différents lieux, j’ai perdu la trace des personnes que j’ai pu côtoyer et je n’ai pas pu construire des relations au-delà d’un temps court.

La loi du 14 mars 2016 a réglé certains points, en tout cas sur le papier. Elle a instauré la commission des statuts et décidé que la situation des enfants placés, identifiés comme potentiellement en situation de délaissement parental devait être évaluée une fois – c’est fixé par décret – avant les un an, etc. Cette commission des statuts doit être mise en place dans tous les départements car ce n’est pas le cas aujourd’hui. C’est ainsi que des enfants passent entre les mailles du filet. C’est là un point d’attention sur lequel votre mission devrait se concentrer. L’application de la loi de 2016, notamment sur la question du délaissement parental, est très importante, en ce sens qu’elle pourrait éviter le placement.

Mme Perrine Goulet, rapporteure. Lyes, Sonya, Gabrielle, n’avez-vous jamais pu vous accrocher à un éducateur ou à quelqu’un ?

Mme Gabrielle Scherrer. J’ai rencontré des éducateurs que j’aimais bien, en qui j’avais confiance. Mais là où j’étais placée, les éducateurs changeaient tous les ans. C’est ainsi que j’ai eu cinq éducateurs. Dès le second, je n’ai pas donné ma confiance. J’ai dû me confronter à moi-même et je me suis dit qu’il fallait que j’essaye de faire comprendre aux gens que je me donnais à fond dans mes études et ne pas avoir des tentatives de meurtre… pardon, de suicide. J’ai fait plusieurs tentatives de suicide. Elles ont échoué. J’étais transportée toutes les semaines à l’hôpital. « Même pas mal ! » Maintenant, j’essaye de me construire. J’ai dix-sept ans, il me reste encore beaucoup de temps à vivre. J’essaye de nouer des liens sans penser à ce que j’ai vécu.

Mme Sonya Nour. C’est sur la fin, quand j’ai eu seize ans, que j’ai été hospitalisée, après ce que j’avais vécu de terrible dans mon ancienne structure : le test de virginité, toutes ces choses monstrueuses. À ce moment-là, un groupe d’éducateurs s’est battu pour que je ne parte pas à Marseille. Ils m’ont dit que j’allais rester, qu’ils allaient m’aider, que j’avais raison d’être en colère. Ils ont fait l’inverse de ce qu’avaient fait les éducateurs précédents. Ils m’ont donné un logement à seize ans, de l’argent. Ils ont construit quelque chose avec moi afin de recréer chez moi de la confiance, un lien.

Pour finir, le juge a décidé que ma mère ayant l’autorité parentale, je partais à Marseille.

M. Lyes Louffok. J’ai eu beaucoup de chance de rencontrer ma première famille d’accueil. Même si j’étais petit et que je n’ai pas nécessairement de souvenirs de cette époque, je pense que j’ai été suffisamment aimé à ce moment-là et au cours de ces années-là pour m’autoriser à m’attacher de nouveau à quelqu’un. Mais c’est finalement assez superficiel. Si la question est de savoir si j’ai maintenu ces liens dans ma vie d’adulte, la réponse est non. Je n’ai plus de contacts avec mes familles d’accueil ni mes éducateurs.

S’agissant des éducateurs, je rejoins Sonya. Les personnes qui m’ont le plus marqué et avec lesquelles j’ai eu le plus de liens, ce sont les personnes qui ont transgressé les règles et qui se sont permis de faire plus que leur autorisait le cadre. Ce sont ces personnes qui m’ont le plus aidé au quotidien.

Mme Elsa Faucillon. Je vais essayer de ne pas revenir sur les émotions que vous nous avez fait partager aujourd’hui, parce qu’elles risqueraient de me déborder à nouveau. Surtout, ne nous jugez pas sur nos larmes mais sur les actes que nous produirons. C’est ce qui comptera.

Vous avez avancé des propositions pour passer d’un placement à un accueil, car c’est ce qui en jeu, afin que chaque enfant se sente accueilli et non placé, même si, dans un premier temps, je conçois que ce soit le premier sentiment qu’éprouve un enfant. Il s’agit de propositions très concrètes de formation, de suivi psychologique, de suivi de la scolarité, des choses extrêmement précises. Nos débats finiront par acter ou non ces mesures concrètes que chacun défendra différemment.

Un concept reste beaucoup plus flou. J’aimerais que vous puissiez réagir à la question portant sur la parole de l’enfant. On sait à quel point le sujet est compliqué. Vous dites qu’il est nécessaire de mieux écouter les enfants. On ne peut que partager cette appréciation, sauf que, dans vos différents parcours, on voit bien à quel point il y a de l’imperceptible et à quel point c’est compliqué. Sonya a indiqué qu’on lui avait demandé si elle voulait rester avec sa mère. Elle a ajouté : « On ne peut pas demander ça à un enfant. » De la même façon, si on demande à une mère schizophrène si elle veut rester avec son enfant, elle répondra qu’elle veut rester avec lui alors même qu’elle ne parvient pas à s’en occuper. Il est très compliqué de poser cette question.

Par ailleurs, vous dites : « Quand j’étais bien dans une famille d’accueil, on ne m’écoutait pas. » Je me dis qu’il faut entendre cette parole. Les situations sont diverses. Quand cela vaut-il d’écouter la parole de l’enfant ? Comment la construire ? Certainement à travers plusieurs voix, à travers un suivi psychologique, une écoute collégiale. Mais quels sont les éléments qui peuvent permettre à celles et ceux qui vous écoutent de se dire que cette parole de l’enfant doit être respectée à tout prix ?

M. Mamédi Diarra. Merci de votre question qui me permet de revenir sur une partie de ma vie.

Pendant une grande partie de ma vie à l’ASE, on ne m’entendait pas. Comme je le dis souvent, on écoute les enfants, mais on ne les entend pas. Ça entre par une oreille, ça sort de l’autre. À chaque fois que l’on ne m’a pas écouté, cela a mené à des difficultés monstrueuses.

J’ai été placé une première fois dans un établissement à Sucy-en-Brie. Cela se passait très bien. Au bout de trois ans, s’est posée une nouvelle fois la question de savoir s’il fallait que je retourne chez mes parents. J’avais été placé parce que mon père ne sortait pas, ne nous inscrivait pas à l’école alors que j’avais atteint l’âge de sept ans. De multiples difficultés de ce type s’additionnaient. On avait repéré également qu’il avait une pathologie psychiatrique sans savoir ce que c’était. Lui ne s’estimait pas malade, il ne voulait donc pas être soigné, mais il n’était pas suffisamment malade pour qu’on fasse une injonction de soins. Lui était donc malade, nous, nous étions en foyer, nous subissions la situation.

On nous a demandé si nous voulions rentrer à la maison. Moi qui étais un enfant plutôt très lucide et très mature pour mon âge – je n’avais que onze ans, mais cela n’empêchait pas –, j’ai refusé. La juge a, quant à elle, décidé que nous allions rentrer chez nous et qu’elle allait mettre en place une action éducative en milieu ouvert. On ne m’a donc pas écouté. Première fois que l’on ne m’a pas écouté. Je dis souvent qu’elle a voulu faire une bonne action avant de partir à la retraite le mois suivant. Si ce n’est qu’il s’agissait d’une très mauvaise décision. En effet, pendant un an et demi, la situation a été très compliquée à la maison. Faute de soins, je me suis retrouvé à l’hôpital et, à ce moment-là, c’est moi qui ai demandé à être placé. Cette fois-là, on m’a écouté et j’ai été placé en foyer d’urgence, où l’on peut rester trois mois avant la réorientation.

Nous avons visité plusieurs structures dont une qui me semblait un peu louche à la visite. Un certain nombre de points m’ont paru bizarres. J’ai dit que je ne sentais pas cet endroit et que je ne voulais pas y aller. Mon père, lui, il aimait bien Paris. Il a vu la structure, cela lui a paru pas trop mal. Il a dit : « Ça peut être bien. » Et dans la mesure où l’ASE avait toujours eu du mal à travailler avec mon père, ils se sont dit qu’ils allaient suivre l’avis du père – pour une fois qu’il était d’accord ! On m’a donc placé dans cette structure contre mon avis.

Le jour même où j’ai été placé, les sévices ont commencé : sévices psychologiques, psychiatriques. Je suis entré en dépression progressivement. Je subissais des maltraitances verbales, des moqueries de la part du personnel, que ce soit du personnel de direction ou du personnel éducatif que je n’appelle pas « éducateurs » parce que des gens comme ça ne méritent pas d’avoir le titre d’éducateurs.

Je me suis battu pendant un an pour partir de cet établissement. Au bout d’un an, mes frères devaient également être placés. Mon référent ASE qui a vu que quelque chose n’allait pas a pris mon parti et a commencé à étudier d’autres endroits où nous aurions pu aller. Il a cherché, il a été un soutien. Mon référent a été en soutien – vraiment. Mais la structure mentait dans les rapports qu’elle produisait, affirmant : « Mamédi se sent très bien, on ne comprend pas pourquoi il dit qu’il ne se sent pas bien avec nous, on travaille bien avec lui, le père ne vient plus. » Ils oubliaient de préciser que c’était à cause d’eux !

Le juge a alors décidé de me placer à nouveau dans cette structure avec mes deux frères, au lieu de me changer d’établissement et de nous placer, malgré les difficultés, malgré les rapports de mon éducateur. Une nouvelle fois, on ne m’a pas écouté.

La deuxième année, j’avais baissé les bras, je m’enfonçais, je ne mangeais plus, je dormais mal, la seule chose qui me permettait de tenir, c’était d’aller à l’école – et j’ai toujours tenu une scolarité qui était plutôt bonne, voire très bonne.

Mes frères ont commencé à expliquer qu’ils voulaient partir, qu’ils ne supportaient pas la rupture ni les maltraitances. Les rapports affirmaient que je manipulais mes frères pour qu’ils inventent et demandent à partir de la structure, que je prenais le parti de mon père, alors que je n’ai jamais pris son parti, à un quelconque moment de mon placement. Depuis petit jusqu’à ma majorité, j’ai toujours été en opposition à mon père, non pas pour le plaisir d’être en opposition, mais parce que, comme je l’ai dit, j’étais plutôt mature, je comprenais les raisons de mon placement ; j’estimais même que le placement était bénéfique pour moi.

L’usage du mensonge est symptomatique du système qui, au bien-être moral et psychique de l’enfant, préfère se fier aux rapports des adultes. À ce moment-là, j’étais en détresse, en dépression profonde, je ne mangeais plus, j’étais en état de sous-nutrition, j’étais fatigué.

Mes frères n’avaient pas le même tempérament. Il y en a un qui faisait des crises, plutôt de colère, et l’autre qui se renfermait sur lui-même. Lors de l’audience, le juge a donc décidé que nous restions dans cette structure alors que mon référent ASE avait trouvé une autre structure qui était prête à nous accueillir tous les trois. À la sortie de l’audience, j’étais sonné, j’ai fait un malaise, je suis tombé en sortant du tribunal. Je ne me souviens plus trop de ce qui s’est passé. Les pompiers m’ont récupéré après que des étudiants de la fac de Créteil m’ont emmené à leur infirmerie. Ma tension était excessivement basse. Mes frères m’ont raconté qu’à ce moment-là, le directeur adjoint qui était venu assister à l’audience a demandé où j’étais. Dans ces cas-là, ils envoyaient des poids lourds pour nous garder ; ils voulaient tellement qu’on reste que c’est le directeur ou le directeur adjoint qui venait à l’audience plaider en faveur de notre maintien dans la structure. J’étais dans la rue, j’étais tombé et j’avais perdu connaissance. À ce moment-là, mes frères m’ont dit que le directeur a répondu de me laisser. J’avais treize ans.

À l’hôpital, j’ai raconté mon histoire, mes placements, tout ce que me faisait subir cet établissement. L’hôpital m’a dit que l’on ne me laisserait pas retourner là-bas, qu’il ferait tout pour me garder. Ils m’ont même gardé une fois que j’étais rétabli. Ils ont fait des rapports, mon psychiatre a refait des rapports, mon référent ASE a refait des rapports, moi j’ai redit que je voulais partir. Et au milieu de l’été, le juge a décidé que mes frères et moi allions quitter la structure.

M. Dylan Legrand. Je vais essayer de répondre à deux de vos questions.

S’agissant des liens avec les éducateurs dont je n’ai pas parlé, je vais approfondir plus en détail ce que j’ai vécu en foyer.

J’ai vu beaucoup de violences diverses. Je vais commencer par l’aspect médical, parce que c’est le côté le plus sympa.

Quand je suis arrivé au CDE, une jeune fille de quatorze ans était enceinte. C’était un problème à gérer.

Pendant deux ou trois ans, je me suis plaint de maux de dos. On m’avait dit que c’était parce que je grandissais, alors que je n’ai pas pris un seul centimètre depuis ma sixième. Je précise que je suis arrivé en foyer en cinquième. En fait, j’avais une vertèbre déplacée. Un éducateur nous a emmenés faire un jogging. Ce jour-là, je me suis fait légèrement percuter par une voiture, mais cela a suffi pour me faire affreusement mal à la jambe. J’en ai parlé à l’infirmière qui n’a pas pris en compte ma plainte.

J’ai connu des jeunes hyperactifs qu’on bourrait de médicaments. Je pense aujourd’hui avec le recul qu’il s’agissait de neuroleptiques.

Pour conclure sur l’aspect médical, Le Républicain Lorrain a annoncé qu’un jeune était décédé d’une grippe, faute d’avoir été pris en charge.

Quant aux violences, il s’agissait de violences physiques. Je me souviens d’un jeune qui avait à peu près mon âge qui faisait souvent des crises et devenait violent. Pour le calmer, les éducateurs s’asseyaient sur lui ou alors trouvaient des stratagèmes pour qu’un autre jeune le frappe.

Un garçon fuguait pour se prostituer. Il a attrapé le sida. Les éducateurs le savaient puisque c’était même un sujet de moquerie. Je me souviens d’un éducateur qui disait : « Il part à Borny, il va se faire péter le cul, il revient avec 50 euros et de nouveaux vêtements. »

Il y a eu également des histoires de viol – énormément.

Un éducateur qui faisait de la boxe thaïlandaise a frappé un enfant de douze ans pendant qu’on jouait au foot. Sans faire exprès, ce jeune a tapé dans le tibia de l’éducateur, ce qui peut arriver. L’éducateur l’a frappé à terre, lui a mis des coups de genou. À côté de ça, des éducateurs en foyer sortaient du lot. Mais dans mon groupe, il y en avait très peu. Je me souviens surtout d’une femme qui avait un côté plus maternel. Cela ne veut rien dire d’avoir un côté maternel, cela n’existe pas. Pour tout dire, j’ai eu mon premier câlin à quatorze ans en foyer par cette éducatrice. Lorsque j’étais en SERAD, c’était totalement différent. J’ai découvert des éducateurs qui s’intéressaient vraiment à l’enfant et qui m’ont vraiment aidé.

En seconde, j’étais dans un lycée élitiste. Je suis plutôt issu des milieux populaires, j’ai vu la différence de niveau social. On avait plutôt tendance à briser l’élève psychologiquement pour qu’il aille mieux, non, pardon : pour qu’il travaille plus ! Je me souviens notamment d’un professeur de maths qui m’avait dit un jour que je n’étais bon à rien, que je n’aurais jamais mon bac, que je ne passerais même pas en première, que je finirais chez McDo. Il a ajouté « Et encore, pour être chez McDo, il faut avoir des compétences ! » Alors, oui, j’ai travaillé chez McDo, mais j’ai eu mon bac !

Quand les éducateurs du SERAD sont partis – il fallait bien qu’à un moment ça s’arrête – cela a été assez difficile pour moi. J’avais dix-huit ans et demi. Quand ils sont partis, je me suis retrouvé dans des situations très bizarres. Je me suis retrouvé à vivre chez un homme qui était un sociopathe. Je l’ai rencontré dans mon club de judo. Cette personne s’est présentée comme une famille. Après avoir fait un malaise pendant une compétition, il m’a accueilli chez lui, il a abusé de moi psychologiquement. Mon père m’avait alors mis à la porte. Il avait fait venir des amis à moi chez lui, il avait fait des vidéos sur YouTube pour nous dénigrer, il nous avait menacés de mort. J’ai coupé les ponts.

L’année suivante, je suis parti en Allemagne où j’ai commencé ma licence. Je me suis retrouvé à nouveau en contact avec cet homme. Je pensais qu’il avait changé, mais pas du tout ! Un lundi soir, très tard, je me suis rendu au poste de police de Metz où j’ai été très bien accueilli. J’ai raconté toute l’histoire. La supérieure de la personne qui a pris la déposition avait demandé de retirer plusieurs passages car elle craignait que le procureur se demande pourquoi « on n’était pas intervenus ». Assez énervé, je suis parti. Je suis tombé sur des jeunes de mon lycée. Nous avons discuté. Il a commencé à pleuvoir, je me suis abrité sous une sorte d’arc de triomphe miniature. Je suis tombé sur un jeune de seize ans assez alcoolisé qui m’a proposé de partir avec lui en Auvergne, sans argent. Comme toute personne normale, j’ai accepté ! Nous sommes partis, nous avons dormi au Puy de Côme, nous sommes partis à l’aventure. Ensuite, je suis retourné à Metz, j’ai travaillé chez KFC en même temps que je faisais mes études.

Mon père avait fait un AVC entre-temps. Je devais en même temps me rendre en vélo à l’hôpital situé à l’autre bout de la ville, à l’opposé du KFC, plus la fac en centre-ville, ce qui me prenait énormément de temps. J’ai donc choisi de ne faire que mes études parce que ça me rendait malade.

Cet été, j’ai essayé de trouver un job. J’avais commencé d’en trouver un à Metz d’où je me suis fait gentiment virer. On m’a alors proposé un emploi à Saint-Jean-de-Luz, au Pays basque. J’y suis allé. Arrivé là-bas, on m’a dit que finalement ils n’avaient besoin de personne pour la saison.

Metz-Saint-Jean-de-Luz, cela représente environ 1 200 kilomètres. Du coup, on m’a donné un peu d’argent pour aller à Dax où j’ai trouvé un job dans un camping qui m’a fait travailler sans sécurité sociale ni rien. J’avais trouvé le travail à Dax, mais le job était près de Lannemezan, une ville perdue dans les Pyrénées. Là, les personnes qui m’embauchaient m’ont dit qu’ils allaient faire travailler leur fille. Ils ne m’avaient pas payé. Ils m’ont menacé d’appeler la gendarmerie si je ne partais pas sur-le-champ. Je n’avais pas du tout d’argent. Je me suis retrouvé à travers champs. Un paysan en voiture, à qui j’ai raconté mon histoire, m’a emmené à Lannemezan. À Lannemezan, il était vingt-deux heures quand nous sommes arrivés. J’ai décidé d’aller à la gare. Un homme est sorti avec un fusil qu’il a pointé sur moi dix secondes. Ça été une éternité. Il pensait que j’étais un cambrioleur. Il a vu que je m’installais. Quand il l’a compris, il m’a demandé si je voulais des chocolatines et de la bière.

Je suis parti à Toulouse parce que j’avais vraiment besoin d’aide. Je suis parti dans d’autres galères. J’ai dû faire appel à une association qui m’a aidé, si ce n’est que je n’avais pas d’argent. Autant j’ai adoré cette ville et j’aimerais y retourner, autant j’ai eu plein de patrons qui m’ont fait travailler sans payer. J’ai galéré pour revenir à Metz. Je pense que si j’avais eu le SERAD et d’autres éducateurs, peut-être que je n’aurais pas fait toutes ces bêtises, même si elles ont été enrichissantes. Mais je me serais passé de cette période où j’ai cru que j’allais mourir en Midi-Pyrénées.

Mme Gisèle Biémouret. Il est un peu difficile de vous questionner après vos témoignages si émouvants et très durs à entendre.

Je suis députée du Gers. Je suis également élue au conseil départemental du Gers où j’ai présidé la commission « solidarité ». J’ai siégé pendant de nombreuses années au conseil de famille, l’instance de l’adoption, qui suit à la fois les pupilles de l’État et les enfants placés.

Vous avez très peu parlé de la justice. Les départements ne font qu’appliquer les décisions de justice. Au sein du conseil de famille, je soutenais ma collectivité et les travailleurs sociaux de l’ASE. Bien sûr, cela dépendait du juge aux affaires familiales, mais nous avons souvent eu des difficultés à nous faire entendre quant à la reconnaissance du travail effectué par les travailleurs sociaux du département, et eux à se faire entendre au sujet de décisions qu’ils n’approuvaient pas.

Je ne veux pas minimiser vos propos. Vous avez eu des expériences différentes. Mais les départements appliquent les décisions de justice. Vous avez dû vous retrouver à plusieurs reprises devant le juge. Comment avez-vous vécu cette expérience ?

Mme Gabrielle Scherrer. J’ai été très souvent confrontée au juge suite aux maltraitances et aux viols que j’ai subis. Tant qu’il n’y avait pas une personne responsable, en l’occurrence ma mère, pour décider si je restais ou non dans l’établissement et dans la mesure où elle ne voulait absolument pas venir, du coup, je ne pouvais ouvrir ma gueule, pardon pour le terme, devant le juge. De mes quatre ans à mes huit ans, il en a été ainsi. Un jour, on m’a dit : « À huit ans, tu peux prendre la parole ; donc, on t’écoute. » Sympa ! Avant, on doit fermer sa gueule.

M. Joao Bateka. Peut-être n’ai-je pas eu la chance de voir souvent le juge. La seule fois où j’ai rencontré le juge des enfants, l’expérience a été assez marquante. Mon placement avait été, d’une certaine façon, souhaité. Un matin, suite à des conflits au sein de la famille de ma tante qui était censée nous garder, je me suis levé, j’ai pris ma sœur par la main et nous sommes partis. Nous nous sommes présentés devant le Conseil général un matin de décembre en plein hiver. Nous avons attendu que le Conseil général s’ouvre et nous avons demandé à être placés. Cela s’est passé deux semaines après notre arrivée en France. Nous ne parlions pas un seul mot de français. Le Conseil général s’est démené, a trouvé un Portugais qui a traduit. Nous avons été placés après avoir attendu de huit heures à vingt heures, le temps de trouver un établissement.

Nous avons été placés, nous ne sommes jamais passés par les structures d’évaluation. Il fallait rencontrer un juge pour enfants pour prendre une décision. Le jour où nous avons rencontré la juge, il n’y avait pas de traducteur parce qu’elle n’avait pas vraiment envie de nous entendre. Elle n’avait pas pris la peine de demander un traducteur. La référente ASE a tout pris pour elle. La juge a estimé que : « Premièrement, ces enfants n’ont rien à faire là ; deuxièmement, ce ne sont pas les nôtres. Pourquoi devons-nous nous en occuper ? » Elle a indiqué qu’elle n’allait pas autoriser un placement. Dommage, on était déjà placés. Mais surtout c’était pour savoir ce que nous allions devenir. Ce jour-là, elle a dit tout cela et d’autres choses que ma mémoire n’a pas pu enregistrer. Nous avons compris que nous n’avions pas notre place devant un juge pour enfants. Elle avait face à elle un enfant de quatorze ans et une enfant de douze ans qui pensaient qu’ils se sentiraient peut-être mieux entre d’autres mains que celles auxquelles ils avaient été confiés.

Lorsque je parle du public MNA aujourd’hui, je ne sais si on peut trouver concrètement la notion de justice. Les jeunes qui arrivent ont un récit, ils doivent raconter leur parcours et tout doit être cohérent. S’il ne l’est pas suffisamment, on estime que le jeune ment et qu’il n’est donc pas mineur. Et quand il est trop cohérent, il ment aussi : il n’est pas mineur. Au bout d’un moment, on ne sait plus où se placer, on ne sait pas si l’on doit dire la vérité. Si on dit la vérité, elle est trop cohérente. On estime donc que l’on ment. Et si l’on ment, le discours n’est pas cohérent et l’on décrète que l’on ment.

Mme Sonya Nour. J’ai été à plusieurs reprises placée par la justice et j’ai toujours été choquée de n’avoir pas eu d’audition seule. J’étais toujours avec mon bourreau. Ma mère était à côté de moi et disait des choses terribles. J’avais envie de hurler au juge : « Elle est en train de délirer ! » Quand il m’interrogeait, je ne pouvais pas lui dire, ma mère à mes côtés, qu’elle mentait, parce que cela aurait eu des conséquences terribles pour moi.

Je suis persuadée que la justice essaye de faire du bon travail mais, faute de temps, il n’y a pas de réel travail d’investigation. Elle traite des dossiers. J’ai entendu le juge dire, en regardant le dossier : « Ah, on en est là. Et alors ? … » Et c’était plié.

Mme Perrine Goulet, rapporteure. Parmi vous, lesquels ont été accompagnés par un administrateur ad hoc ou par un avocat devant le juge ? Levez la main si vous le souhaitez. Je vois. C’est clair…

Je rassure d’un mot mes collègues. Nous devons voter en séance d’ici une vingtaine de minutes. Nous suspendrons la séance et reprendrons ensuite les travaux de la mission.

Mme Sandrine Mörch. Ma question rejoint celle de Mme Faucillon sur la parole. Au plus loin que vous remontez dans votre mémoire d’enfant, à quel moment cela ne fonctionne pas ? Vous l’avez très bien expliqué, Sonya : quand la mère, « le bourreau », est à côté, que peut-on dire quand on est enfant ? On entre dans une spirale de mensonges, de contrefaçons ? Je pose la question pour essayer de trouver des solutions à cette parole que l’on n’entend pas. Je dis « au plus loin de votre mémoire », car plus tôt ce sera, mieux ce sera. Que faudrait-il pour que la parole de l’enfant soit entendue, ou celle, éventuellement, d’un référent en lequel vous auriez confiance, mais qui, s’il ne fait pas partie du circuit juridique ou d’autorité parentale, n’est rien, n’est pas considéré, voire est suspect ? Je voudrais que nous trouvions des passerelles à activer.

Qu’est-ce qui permet de gérer sa colère – colère qui, de toute façon, est inéluctable ? Quand on est petit, il s’agit plus de souffrance que d’une marche, même si cela peut devenir une marche.

Quelles sont les étapes où votre vie se joue sans vous alors qu’elle pourrait se jouer avec vous ?

Pourquoi l’affectif est-il si tabou ? Dans vos vies, vous êtes confrontés à un affectif qui est tabou, que l’on ne veut pas vous apporter, que l’on ne veut pas reconnaître en tant que demande.

M. Mamédi Diarra. Pour revenir à ce qui a été dit sur le juge, contrairement à Sonya, j’ai eu l’occasion de voir le juge seul. Il me le proposait et prenait le temps. Pour autant, cela ne l’empêchait pas de ne pas m’entendre, il ne prenait pas en compte mes suggestions.

Nombre d’éducateurs que j’ai côtoyés ont transgressé le dogme de ne pas s’attacher, de ne pas manifester d’affect, de ne pas me donner d’affection, ce qui m’a permis d’avancer. Cela s’est produit dans mon premier et mon dernier foyer. Les deux structures qui ont été les plus efficaces à mon égard sont celles qui ont réussi à transgresser quelques règles qu’on leur imposait.

Enfin, je n’ai jamais vraiment été en colère avant d’être placé dans la structure maltraitante. À ce moment-là, je la gérais en l’intériorisant. J’intériorisais beaucoup. Je ne suis pas une personne très explosive, je gardais les choses pour moi. Ou alors je l’écrivais, soit pour moi, soit pour l’envoyer au juge. Je ne savais pas qu’il existait un défenseur des enfants, je ne savais pas que j’avais le droit à un avocat, mais je savais que j’avais le droit d’envoyer des courriers au juge, parce que la structure où j’avais été placé auparavant m’avait dit que, s’il se passait quoi que ce soit à un moment donné, j’avais le droit de redemander à être placé, de faire des courriers au juge pour lui expliquer. Je savais donc que j’avais cette possibilité. Ma colère, je la posais par écrit en même temps que j’expliquais les faits. Cela me permettait d’une certaine façon d’extérioriser. Et puis il y avait la thérapie. Chez moi, c’était plus de la souffrance que de la colère.

M. Gilles Salmon. Vous nous avez demandé comment et par qui notre parole pourrait être entendue.

Dans mon parcours, le fait d’avoir été quasi intégralement pris en charge par le service de placement familial spécialisé a permis la mise en place d’un suivi psychologique. J’avais également des rendez-vous avec une psy en dehors du contexte du SPFS. Je dis cela parce que, à un moment donné, j’ai pu m’exprimer avec la psychologue du SPFS. Tous les ans, une synthèse du SPFS récapitule l’évolution de l’enfant ainsi que les demandes et les ressentis. J’ai l’impression que, par moments, cette parole a été entendue dans ce bureau-là, dans le secret. Cette psychologue, qui s’appelle Sonia Évrard, a écouté très attentivement ce que j’ai dit et a retranscrit sans trahir ma confiance mes besoins et mes ambitions.

Qu’est-ce qui a permis de gérer ma colère ? Je ferai un petit flash-back. J’ai été placé la première fois dans une famille de Cocheren en Moselle. La première question que l’on m’a posée, je dis bien la première, a été : « Quelle équipe de football supportes-tu ? » A ce moment-là, je ne suivais pas le football. J’ai choisi une équipe. À partir de ce jour-là, j’avais le pilier de ma vie. Ce qui allait toujours bien se passer, c’était le football. C’était là où j’extériorisais tous mes malheurs. Je ne veux pas m’étendre sur le football, mais expliquer en quoi le football m’a aidé.

On m’a donné une passion, on m’a permis d’aimer quelque chose et d’aimer quelque chose tout au long de ma vie. Je n’ai pas pu dire « je t’aime » à ma mère, je n’ai pas pu le dire à mon père, mais j’ai pu regarder le football et l’aimer tous les jours. Le sport, ou d’autres moyens, permet l’intégration dans un groupe. Le sport permet de s’intégrer quand on fait de la compétition, quand on regarde en groupe un match de foot.

Mme Maëlle Bouvier. La parole de l’enfant doit être entendue, c’est évident, et ce à tout âge, mais il faut aussi qu’elle soit démêlée. Si on demande à un enfant de cinq ans s’il veut rester avec ses parents, il dit « oui ». Je suis contente que l’on ne m’ait pas posé la question !

Je m’en mordrai toujours les doigts : le jour où l’on m’a posé une question qui comptait – on m’a demandé si je voulais être placée en famille d’accueil avec mon frère –, j’ai dit « non », parce que nous étions en foyer, parce qu’il était un peu le souffre-douleur et que j’avais développé un très fort instinct de survie à l’époque. Donc, j’ai dit « non », en me disant que cela m’éviterait bien des problèmes. On ne m’a pas écoutée. J’ai été placée avec lui et je suis reconnaissante que l’on ne m’ait pas écoutée, parce que c’est mon frère et que je l’aime très fort.

Cela a été dit, l’ouverture sur l’extérieur est fondamentale : pouvoir développer des loisirs mais aussi avoir des moments d’insouciance, pouvoir aller dormir chez sa meilleure copine, faire une soirée pyjamas. J’ai fait de la danse, j’écrivais des poèmes, j’avais une vie normale en famille d’accueil. Cela m’a beaucoup aidé à gérer ma colère parce qu’elle prenait beaucoup de place, mais comme le reste était stable, normal, et que j’avais des moments d’insouciance, cela m’a aidée à me préserver.

L’accompagnement psychologique est fondamental, mais dans la durée. On ne peut pas se contenter d’aller voir un psy deux ou trois fois en se disant qu’on a compris le problème. Non, il faut pouvoir s’inscrire dans un accompagnement psychologique de long terme, d’autant qu’au début on n’a pas toujours envie de parler. La fois d’après, on va peut-être faire un dessin, et la fois suivante on va pleurer. Cela prend du temps avant d’arriver à s’exprimer. Pour cela, il faut de la stabilité.

Le fait d’enchaîner des placements et de changer de territoire n’aide pas. D’où la nécessité de la stabilité.

Sur le dernier point portant sur l’affectif, avec ma famille d’accueil nous avons créé des liens très forts. On entendait aux infos que des enfants étaient retirés à leur famille d’accueil parce qu’il y avait trop d’amour. Du coup, on avait peur, on avait tellement peur, c’était très dur. Ma famille d’accueil essayait de mettre un peu de distance. Nous, on se demandait comment gérer tout ça. On se disait « tout se passe bien, on s’aime ; du coup, on va nous enlever. » En fait, on ne le disait pas, mais on le pensait et on le ressentait.

Je pense qu’il faut briser ce tabou une fois pour toutes. Je rejoins ce que disait Lyes, et tous les autres d’ailleurs, sur l’idée de l’adoption. Je vous encourage à vous pencher sur ce qui passe en Allemagne notamment. En Allemagne, les familles d’accueil peuvent adopter beaucoup plus facilement qu’en France. Je l’ai appris dans un reportage que j’ai vu sur Arte. Cela m’avait profondément marquée à l’époque. Cela n’a jamais été mon cas, je n’ai jamais voulu être adoptée. Ma famille d’accueil c’est ma famille d’accueil, ma famille c’est ma famille. Cela me va comme ça. Mais dans certains cas, c’est tellement important, ce serait la clé.

M. Lyes Louffok. S’agissant du recueil de la parole, les audiences sont le premier lieu où cela se joue sans nous. J’ai été placé dans un grand département, celui des Yvelines. Je n’ai jamais revu le juge des enfants qui a commencé ma mesure de placement à ma naissance. J’ai changé de juge tous les deux ans. Je n’ai donc jamais vu le même juge aux audiences de renouvellement de mon placement. Cela a posé quelques petits problèmes. Le nouveau ou la nouvelle juge qui arrivait se fondait sur des rapports ou sur des écrits existants et sur lesquels je n’avais pas toujours eu mon mot à dire. C’est un point problématique.

La question des écrits professionnels est très importante, bien plus quand on arrive à un certain âge et que l’on peut, non pas donner son avis, mais lire. C’est extrêmement important de le faire avec les enfants. La loi le prévoit, mais la lecture du rapport avant l’envoi aux magistrats n’est pas toujours faite aux enfants. C’est dès cette étape qu’il faudrait recueillir notre parole. C’est aussi quand on doit faire un écrit professionnel : ils devraient collaborer avec nous.

Il y a un autre espace où cela se passe également sans nous : il s’agit de la représentation collective. La loi oblige aujourd’hui les structures d’accompagnement collectives, comme les centres d’hébergement et de réinsertion sociale, etc., donc pour les adultes, à mettre en place un conseil de la vie sociale pour permettre aux personnes de s’auto-organiser et de faire des propositions institutionnelles afin d’améliorer le dispositif dans lequel ils évoluent.

Dans le domaine de la protection de l’enfance, les conseils de la vie sociale sont très peu souvent mis en place. Il y a donc très peu d’espaces où la parole collective peut être recueillie. C’est un point essentiel, à la fois à l’intérieur des structures collectives où le rapport de forces peut s’inverser en raison d’une organisation collective, et pour des zones plus éloignées, notamment au niveau de l’accueil familial, parce que les familles d’accueil, qui sont souvent rattachées soit au département, soit à un service d’accueil familial, sont très isolées sur le territoire. Les enfants ne communiquent pas nécessairement entre eux, sauf quand ils se croisent là, par exemple, dans les bureaux du placement familial. Créer ces instances dans les départements me semble primordial.

Le département de la Gironde a fait un excellent travail sur les jeunes de l’Aide sociale à l’enfance. Le département de la Gironde est en train de créer – c’est le titre provisoire – un « conseil départemental des jeunes de la protection de l’enfance », fondé sur le même modèle que celui du Conseil national de la protection de l’enfance où je siège. On laisse la parole au premier concerné mais, surtout, il est destiné à mener des débats et à participer à l’évolution de la politique publique. Les enfants participeront à des structures avec des élections ; par exemple, telle association aura tel représentant. Cela doit s’inscrire dans le dispositif de protection de l’enfance.

Mme Florence Provendier. Merci pour vos témoignages, merci pour votre courage et de vos éclairages.

Les questions se bousculent dans ma tête, j’aurais envie de vous en poser beaucoup. Les premières qui me viennent seraient : quelles possibilités avez-vous eues de parler à vos professeurs ? Vous avez peu évoqué le lien avec l’école, même si l’un d’entre vous l’a fait. Je m’interroge sur la possibilité que vous aviez de vous appuyer ou d’être entendus au sein de l’école, et aussi par rapport au corps médical. Vous avez parlé de psychologues, de suivi, mais peu des médecins, alors que l’école compte des médecins scolaires. Lorsqu’on est enfant, on consulte régulièrement un médecin. Avez-vous pu partager, être entendus, et quels ont été les relais et les actions, le cas échéant ?

M. Joao Bateka. Cette question me touche personnellement, parce que l’école a été pour moi le centre de ma stabilité, contrairement, peut-être, à mes camarades.

Je n’avais pas cette rage ou cette douleur qui vivait en moi, parce que j’avais choisi d’être placé, mais j’avais un certain vide lorsque je réussissais ; je n’avais personne avec qui partager. Rentrer de l’école, avoir une bonne note, non, il n’y avait ni maman ou papa avec qui partager ce moment.

Mes professeurs ont appris dès le départ que j’étais placé. J’avais déménagé, j’étais en classe de seconde, je suis arrivé dans une ville, la veille de la rentrée. Je ne connaissais personne dans la ville, et encore moins dans l’école. J’étais dans un foyer qui ressemblait à un château. Quand quelqu’un habitait là-bas, on savait tout de suite qu’il était en foyer. Le bus s’arrêtait devant, et dès lors qu’un enfant descendait du bus scolaire et rentrait dans le château, on savait que c’était un enfant du foyer. Du coup, l’école a été un pilier. Mes professeurs m’ont permis d’abord d’accepter mon histoire et de la porter. Aujourd’hui encore, j’interviens parfois dans le lycée où j’ai été. Je raconte mon parcours.

J’ai la chance que mon prof de philo et ma prof d’espagnol viennent déjeuner chez moi. Cela arrive. Je me suis constitué une famille à travers l’école, et au moment où je bataillais pour ma régularisation, tous les professeurs de mon lycée ont fait une lettre de recommandation. Je tiens à remercier ces personnes pour ce geste.

M. Dylan Legrand. S’agissant de la question du médical, j’ai répondu tout à l’heure par rapport au foyer.

Je me suis retrouvé en foyer parce que j’ai été voir un psy. J’apprenais à jouer de la guitare chez des éducateurs du CNSEA. Ils avaient remarqué que j’étais fatigué. Du coup, je suis allé voir un psy. J’ai expliqué que, chez moi, mon père me frappait. C’est comme ça que je me suis retrouvé en foyer. L’accompagnement est resté.

Pour ce qui est du scolaire, j’ai eu la chance au départ de rester dans mon collège d’origine. L’éducatrice a informé directement la conseillère principale d’éducation (CPE). Les autres professeurs en ont donc été informés, mais pas tous. Parfois, c’était assez gênant quand j’avais quelque chose à faire signer par mes parents. Il m’arrivait d’être puni à cause de cela.

En troisième, j’étais en sport études et donc en internat. La CPE l’a pris en compte. Grâce à mon parcours et à mes notes, j’ai pu être cadet de la République. J’ai été deuxième du concours dans ma région, à un point près. J’ai été aussi élève le plus méritant de Moselle, parce que mon parcours était plutôt atypique. J’ai ainsi été suivi jusqu’au collège. Au lycée pas vraiment, c’est même tout le contraire qui s’est produit. Aujourd’hui, à la fac, je m’épanouis vraiment. J’ai toujours été très en avance sur les autres. À la fac, je le reste ; il existe toujours un décalage. Cela m’arrive parfois d’avoir des correspondances avec mes profs parce que je prépare les semestres longtemps à l’avance et que je suis toujours en avance. On s’envoie des mails, je leur demande des bibliographies.

Sur le plan scolaire, j’ai donc été plutôt aidé, sauf malheureusement au lycée.

Mme Gabrielle Scherrer. Ma seule envie dans la vie c’était d’aller à l’école. Cela me donnait un pouvoir, celui de réussir et d’arriver à quelque chose. Petite, j’étais très isolée, beaucoup trop. Il n’était pas facile de dire aux professeurs que j’étais en famille d’accueil, qu’il m’était arrivé plein de trucs en foyer.

J’ai très souvent été à l’hôpital. Je n’ai jamais pu vraiment en parler. Quand j’ai eu mes viols, j’ai dû expliquer, j’ai dû faire plein de choses et cela a été plus que traumatisant de réexpliquer la chose, de rouvrir une plaie dont je veux qu’elle se ferme, et bien profondément.

Je pense que beaucoup de gens ont du mal à s’exprimer auprès de leurs professeurs, médicalement. Il est compliqué de devoir tout réexpliquer. J’ai rencontré des tas de psychologues. Ça a été l’enfer, à chaque fois le même truc, à chaque fois il fallait expliquer. L’objectif de la psychologie, c’était de crever l’abcès sur les viols ou sur le foyer. De base, il ne faut pas ressasser le passé, même si quelquefois il faut en reparler. Mais le faire alors que l’on est petit, que l’on ne veut pas être bousculé, je trouve cela un peu dégueulasse de leur part.

M. le président Alain Ramadier. Je vous propose de suspendre la séance afin que nous allions voter. Nous vous retrouverons dès le vote terminé.

M. Paul Christophe. Le temps du vote nous aura peut-être permis d’évacuer la charge émotionnelle en nous défoulant sur le bouton de vote ! Je ne sais si cela a modifié le sens du scrutin… (Sourires.) Vos témoignages étaient très percutants et nous avons, nous aussi, pris une bonne claque.

Le sujet est très sérieux. Je préside actuellement une mission d’évaluation et d’information sur la politique de l’aide sociale en France, à l’échelle du département du Nord, très concerné par la politique de l’ASE.

Au travers des différentes auditions, on touche ces mêmes problématiques liées à l’autorité parentale en particulier, aux accueillants familiaux, à la décision s’agissant des actes usuels et non usuels sur lesquels pèsent des enjeux, et sur les conséquences déstructurantes d’un retour à domicile qui pose de gros problèmes lorsque le jeune rejoint la famille d’accueil.

Vous avez déjà soulevé le problème de l’adoption. Je n’y reviens donc pas.

L’accompagnement psychiatrique et pédopsychiatrique nous renvoie aux travaux que nous devons mener aujourd’hui au regard de la carence des effectifs, malheureusement criante sur le territoire national.

Je vais me concentrer sur les structures d’accueil sur le fonctionnement desquels vous avez apporté un premier éclairage. On constate que des structures fonctionnent très bien – je pense qu’il faut savoir capitaliser à partir de ces expériences – alors que cela ne se passe pas bien du tout dans d’autres, pour ne pas dire plus.

Pensez-vous que nous devrions mettre en place des contrôles indépendants, des sortes d’audits où la parole de l’enfant serait mieux perçue ? Nous disposerions ainsi d’une forme d’évaluation ou d’alerte qui pourrait être dispensée à partir de ses audits.

Mme Mathilde Panot. Merci beaucoup pour vos témoignages. Nous les garderons à l’esprit au cours de nos prochaines auditions. Il est très important d’avoir commencé par entendre votre parole.

Je suis frappée par la manière forte dont revient la violence institutionnelle dans de nombreux témoignages. À un moment, a été évoquée la question des sanctions et des contrôles. Durant votre placement, des contrôles ont-ils été faits sur ce qui s’est passé ? Lyes, tu as parlé d’une famille chez qui tu as vécu deux ans et qui t’obligeait à dormir sur un matelas en polyester. Comment se fait-il que cela ait duré deux ans ?

Des mesures préventives sont-elles intervenues au cours de votre placement pour prévenir la violence institutionnelle et quelles en ont été les sanctions ? Par exemple, vous avez parlé d’agrément. Quelles sont les sanctions qui ont été mises en place pour que pour que cette violence institutionnelle ne puisse être reproduite par ceux qui l’ont pratiquée ?

M. Lyes Louffok. Merci de cette question qui va me permettre de vous faire des propositions très concrètes. Peut-être envie d’une prochaine proposition de loi ? Je ne sais pas.

Lors de mes placements, le peu de fois où j’ai vu des éducateurs et des professionnels me rendre visite dans mes familles d’accueil, c’était toujours en leur présence, ce qui n’était pas propice à la libération de la parole et à la possibilité de faire des révélations. Quand on est un enfant, et un enfant victime, on sait que l’encadrement de l’écoute et de la prise de parole des enfants victimes est très particulier. Elle nécessite un certain cadre et une certaine préparation. En l’occurrence, ce n’était pas le cas.

Je pense que la protection de l’enfance, notamment sur cet aspect de la maltraitance et de la violence institutionnelle, doit être pensée de façon beaucoup plus globale. Le problème touche évidemment à la violence qu’on peut subir en structure ou en famille d’accueil, mais aussi au défaut de formation et au manque de contrôles.

Mes propositions sont très simples. Elles sont tirées de différents constats.

Le premier porte sur les incohérences de l’accueil familial. Aujourd’hui, on a pris la position dans notre pays de professionnaliser ce métier. Nous avons décidé que ce serait un métier avec des compétences, des savoir-faire et un diplôme d’État. Le problème c’est que pour être famille d’accueil, l’agrément est demandé au département. Ce sont souvent les services de PMI qui le délivrent. Or, il n’est pas soumis à l’obtention du diplôme d’État d’assistants familiaux qu’on a créé pourtant afin d’apporter des compétences solides aux familles d’accueil. Dès lors, pourquoi a-t-on créé un diplôme d’État si on ne l’exige pas pour obtenir l’agrément ? Cela pose quand même de petites questions de cohérence.

Il y a une autre problématique qu’on pourrait envisager autrement que sous la forme d’une mesure coercitive – ce pourrait être une vraie mesure de prévention. Il s’agit du métier d’éducateur spécialisé. Les branches du secteur social sont quand même très peu réglementées. Aujourd’hui, pour être médecin dans notre pays, il faut avoir fait des études et il faut s’inscrire à un ordre professionnel. On dépend d’un ordre professionnel qui va régir la profession, qui va délivrer des autorisations de travail et qui va même parfois prononcer des interdictions d’exercice. J’aimerais que l’on arrive à ce stade et que le travail social, le métier, d’éducateur spécialisé, d’assistant de service social, de conseiller ou conseillère en économie sociale et familiale, de moniteur-éducateur, d’animateur socio-éducatif, soit suffisamment considéré pour être régi par un ordre professionnel qui serait le garant du respect de nos droits, mais aussi des conditions d’exercice de cette profession. C’est primordial aujourd’hui. Quand on a été victime de violences, vers qui se retourne-t-on pour demander l’interdiction d’exercer d’un professionnel qui aurait franchi la ligne rouge ? Eh bien, vers personne ! Dans la réalité des faits, quand on a été victime de violences, ces affaires sont très peu judiciarisées et il n’y a que très peu d’interdictions de travailler, décidées, ordonnées par une cour.

Voilà pour les professionnels. Mais la question de la violence institutionnelle se pose aussi dans les tribunaux. Quand on est un enfant, on n’a pas toujours connaissance de ses droits. Et un citoyen ou un humain qui n’a pas connaissance de ses droits ne peut pas les défendre correctement. Perrine, tout à l’heure, tu as nous a demandé si, au cours des procédures judiciaires qui concernaient nos placements, nous avions été accompagnés par un administrateur ad hoc ou un avocat. Un seul d’entre nous a pu bénéficier de cette aide, qui est quand même première – et j’ai envie de dire : fondamentale. Dans ces cas-là, il faudrait vraiment, ce qui nécessiterait des moyens financiers – mais ce serait garantir le respect des droits de chacun et des enfants par rapport aux institutions –, rendre obligatoire, dès qu’une procédure en assistance éducative est ouverte, qu’il y ait un avocat gratuit pour les enfants. Les enfants ne savent pas qu’ils peuvent faire appel à un avocat gratuitement, et ce dans n’importe quelle procédure judiciaire. Il faudrait donc qu’un avocat soit désigné systématiquement ou, à défaut, un administrateur ad hoc pour tout le monde. On se rend bien compte que la parole des enfants dans une cour de tribunal et face à un juge des enfants, qui parfois peut être assez intimidant, n’est pas toujours simple. Il n’est pas toujours facile pour nous de nous exprimer et de faire part de ce que nous pouvons subir.

S’agissant des agréments, je fais une proposition très simple, qui ne nécessiterait pas des moyens considérables. C’est une mesure pragmatique qui va dans le sens de l’intérêt des enfants et de l’intérêt public. Que se passe-t-il pour une famille d’accueil à qui on retire l’agrément pour des faits de violence ? Je prends un exemple à Paris, non pour stigmatiser tel département en particulier mais pour illustrer mon propos. Imaginons une famille d’accueil qui a violenté un enfant, dont les services d’aide sociale à l’enfance ont été avertis. Ces derniers vont quand même un peu tiquer, vont mener une enquête et vont se dire qu’ils vont retirer l’agrément de Mme ou de M. Machin et décider qu’on ne lui confiera plus jamais d’enfants. Sauf qu’il s’agit d’une profession très particulière, extrêmement dérogatoire au code du travail et qui permet à ces personnes d’avoir jusqu’à trois employeurs différents.

Je pense qu’il faut créer un fichier national des agréments pour avoir une traçabilité, à la fois du retrait et de la suspension des agréments dans les départements, pour que les employeurs, publics comme privés, puissent disposer de cette information avant de délivrer un nouvel agrément dans un autre département. On a retiré à Mme ou à M. Machin son agrément à Paris, mais rien ne l’empêche d’aller en demander un autre en Seine-Saint-Denis, tout en continuant d’habiter à Paris et d’accueillir des enfants de Seine-Saint-Denis à Paris. Il y a là un vrai vide juridique et un vrai flou sur le contrôle de cette profession. J’aurais d’autres choses à dire, mais je vais m’arrêter là.

M. Mamédi Diarra. J’abonde dans le sens de ce que vient de dénoncer Lyes sur le contrôle des agréments. Ce fichier national est une bonne idée parce qu’il y a de gros dysfonctionnements.

Pendant longtemps, je me suis posé beaucoup de questions. J’ai nourri ma réflexion sur le contrôle des établissements d’accueil que sont les foyers, les maisons d’enfants à caractère social, etc. Notamment quand j’étais dans la structure qui était maltraitante à mon égard, j’ai essayé de comprendre comment il était possible qu’elle puisse l’être et ne pas m’écouter, comment elle pouvait être maltraitante et être toujours autorisée à accueillir des enfants et des jeunes. La chose est simple : les contrôles existent, mais ce ne sont pas de bons contrôles. On vérifie, au titre du contrôle qualité ou du contrôle évaluation, si les extincteurs sont bien placés, si les enfants ont à manger. « Ah ! ils ont des lits, c’est super ! » Et on laisse la structure accueillir des enfants. Pour moi, ce n’est pas un contrôle de la qualité de la prise en charge ou de l’accompagnement, et ce n’est certainement pas un contrôle dans lequel la parole de l’enfant est prise en compte, même si, en théorie, on peut écouter les enfants accueillis dans le cadre de ces contrôles. C’est en théorie. Au surplus, c’est un « on peut », ce n’est pas un « on est obligé ». Il y a une chose qui est assez simple : aujourd’hui, il manque un contrôle de la qualité de l’accompagnement, un contrôle de l’effectivité de la réussite de l’accompagnement social, que ce soit auprès de l’enfant ou auprès de la famille.

Pendant longtemps placé dans une structure maltraitante, je voyais passer des gens qui regardaient, mais qui ne prenaient pas la peine de nous demander notre avis ni si nous nous sentions bien. Il y a là un gros vide et un gros flou.

Mme Maëlle Bouvier. Je partage tout ce qui a été dit, toutes les propositions et préconisations.

Je dirai quelques mots sur l’évaluation externe des établissements médico-sociaux. J’en ai réalisé plusieurs, plutôt sur le volet des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. J’ai toujours refusé d’évaluer des MECS et des foyers de l’enfance, pour les raisons que vous imaginez.

Les évaluations sont très codifiées, des items sont à évaluer, on ne peut pas en sortir. Il faudrait très certainement mieux outiller ces évaluations externes, prendre le temps de les réaliser sur une durée satisfaisante. Aujourd’hui, on passe deux à trois jours dans un établissement. Pourquoi ne pas étendre la durée à une semaine, donner plus sa place à la parole des usagers qui sont accompagnés et à leurs familles, éventuellement à des partenaires extérieurs à la structure ? Un des enjeux forts, c’est de décider de l’utilisation ultérieure du rapport d’évaluation externe. La réglementation dit : « Il faut que vous ayez une évaluation externe, et le livrable, c’est le rapport. » Mais que fait-on de ce rapport et quelles sont les suites à donner ? Il y a là un vrai travail à faire pour s’assurer que des suites, des conclusions et des actions sont bien mises en œuvre pour améliorer la situation.

M. Lyes Louffok. Le préfet joue un rôle. Si on indique au préfet une structure qui dysfonctionne gravement, il peut décider de la fermer, ce qu’il ne fait que très rarement, voire pas du tout. Je pense qu’il y a aussi matière ici à travailler sur le rôle des préfectures et des préfets dans la question des contrôles. C’est une compétence de l’État, qui a donc son mot à dire. J’espère que la mission sera amenée à se renseigner auprès des préfets dans certains départements pour voir comment ils agissent et s’ils ont vraiment mis en place ces cellules de contrôle, si des fonctionnaires sont attachés au service de l’aide sociale à l’enfance. Rien n’est moins sûr.

Autre point : le 119, le service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger (SNATED). Une obligation s’impose à tous les établissements qui accueillent du public mineur d’afficher le numéro national pour l’enfance en danger. Mais, dans les foyers de l’Aide sociale à l’enfance, ce qui est quand même un comble, le 119 n’est que rarement affiché. Ce sont là encore des mesures qui ne coûtent pas d’argent et qui nécessiteraient que l’on s’y penche, voire qu’on les mette en œuvre le plus rapidement possible.

J’en viens à l’ouverture des structures sur l’extérieur. Là où la maltraitance se propage le plus rapidement, c’est dans des structures qui ne sont pas ouvertes vers l’extérieur et qui ne laissent pas l’extérieur entrer. Des associations comme Pair-aidance ou Repairs réalisent un travail formidable à Paris. Elles accompagnent d’anciens enfants de l’Aide sociale à l’enfance quand ils n’ont pas de contrat jeune majeur à l’extérieur. Peut-être faudrait-il commencer à faire entrer ces associations dans ces établissements et leur permettre, en tant qu’associations représentantes d’usagers, d’avoir des facilités d’accès aux établissements pour pouvoir parler aux jeunes. Le fait que ce soit des pairs qui aillent à la rencontre des enfants placés, je pense que c’est aussi une solution et un garde-fou supplémentaire.

Je me sens maintenant obligé de vous donner une information, parce que vous l’aurez senti, sur la question des contrôles. Je suis un peu à vif. Je reprends toujours ce rapport de la Cour des comptes. Je me dis que les animaux de la SPA sont beaucoup plus contrôlés que les structures de la protection de l’enfance. Ce rapport de la Cour des comptes de 2009 nous apprend que les structures ne sont contrôlées sur le plan budgétaire qu’une fois en moyenne tous les vingt-six ans. C’est grave.

M. Guillaume Chiche. À mon tour de vous adresser tous mes remerciements pour vos témoignages.

Je commencerai par prendre une petite précaution. Je n’ai pas, dans mon parcours personnel ou professionnel, fréquenté les dispositifs de l’ASE. Si j’avais des mots maladroits ou blessants, je vous prie par avance de bien vouloir m’en excuser.

Pour avoir travaillé un petit peu sur la politique familiale, une question m’intéresse tout particulièrement, qui porte sur l’autorité parentale. Parmi les sujets, les orientations politiques qui touchent à la famille, on a tendance à privilégier le modèle familial et donc la reconnaissance et la protection de cette autorité parentale par rapport à l’intérêt premier de l’enfant, qui, à mon sens, doit l’emporter sur tout le reste.

Vous avez été quelques-uns à faire état de problématiques sur ce sujet. Notamment, le parcours d’enfants que vous étiez a été brisé pour donner la primauté à cette autorité parentale. Selon vous, y a-t-il un moyen de modéliser ou d’améliorer la possibilité de lever l’autorité parentale ? A quel moment et comment, étant entendu qu’il s’agit de parcours humains et donc nécessairement de parcours individuels ?

M. Lyes Louffok. La loi de 2016 y répond partiellement, mais elle y a bien répondu quand même. Auparavant, pour retirer l’autorité parentale à un parent, il fallait prouver qu’il était vraiment absent, qu’on n’en entendait plus parler et même dans ce genre de situation ce n’était pas toujours fait.

La loi 2016 est simple. L’autorité parentale est régie par la loi. Un parent est amené à respecter un certain nombre d’obligations qui touchent aux « méta-besoins » des enfants, aux besoins primaires et aux besoins fondamentaux des enfants. Ces besoins sont tout aussi importants que les autres. Ils doivent tous être respectés par la personne qui détient l’autorité parentale. Si un parent n’est pas en capacité de répondre aux besoins primaires de son enfant, le département a la possibilité de soumettre la situation du mineur à une commission qui a été prévue par la loi du 14 mars 2016, que j’appelle la « commission de révision des statuts ». Cette commission est chargée d’évaluer la situation de délaissement de l’enfant en fonction du respect de ses méta-besoins et donc d’avertir ensuite l’autorité judiciaire en faisant « une déclaration de délaissement parental ». À l’issue d’une année, si le parent ne s’est pas remobilisé, si le parent n’est pas de nouveau présent auprès de son enfant, s’il ne fait pas preuve d’un investissement sur tous les plans, et pas seulement sur un plan – le coup de la carte postale une fois par an, c’est fini –, l’autorité parentale est retirée. Ces procédures ont été simplifiées et prendront beaucoup de temps à s’appliquer parce qu’il s’agit aussi d’un combat idéologique avant d’être un combat législatif. C’est dans la pratique professionnelle que les choses doivent être changées.

Mme Sonya Nour. C’est une bataille politique et idéologique dans le sens où on est encore dans une société qui considère que l’enfant est une propriété – malheureusement. D’ailleurs, on a ces phrases : « on donne la vie ». Non, on ne donne pas la vie, on la transmet, elle n’appartient pas aux parents. On considère que, même si l’enfant a été maltraité, le parent, même s’il n’en a pas les capacités, reste son parent, peu importent les faits.

Dans mon histoire, et cela se produit encore aujourd’hui parce que j’ai quitté l’ASE il n’y a pas si longtemps, cela se reproduit encore. On considère qu’un parent déficient qui peut être maltraitant et destructeur au niveau cognitif et émotionnel, ce qui aura des conséquences très lourdes sur l’enfant et sur l’ensemble de sa vie, est sacré.

Quand l’autorité parentale sera retirée, on sera confronté à une période difficile. Peut-être entendra-t-on hurler, mais je pense nécessaire de dire que l’enfant a des droits. Mais vraiment ! Qu’il y ait une vraie justice pour l’enfant. Aujourd’hui, au nom du lien du sang, l’enfant peut continuer à être maltraité. Un effort idéologique est à faire pour que l’enfant ait de véritables droits.

M. Mamédi Diarra. Je ne reviens pas sur le retrait de l’autorité parentale. Tout a été dit par mes camarades. J’interviendrai sur la délégation partielle d’autorité parentale et la délégation d’autorité parentale qui existe aussi dans la loi, qui n’est pas forcément mise en œuvre pour tous les enfants et qui bloque le développement normal des enfants. L’exemple a été pris de faire des pyjama parties, ce genre de choses. Cela peut paraître anodin, sauf que quand on est à l’ASE, on n’a pas le droit à tout cela parce qu’il faut l’autorisation des parents, qui, dans certains cas, est très compliquée à obtenir. Parfois, les parents ne peuvent la donner parce qu’ils ont des déficiences telles que cela leur est impossible. Mon père n’acceptait jamais qu’on sorte de l’appartement, donc encore moins qu’on aille voir des potes pour aller à leur anniversaire.

En l’absence de délégation d’autorité parentale donnée préalablement, il faut présenter une demande spécifique au juge qui peut décider d’outrepasser l’autorité parentale. Le temps que le juge prenne sa décision, l’anniversaire est déjà passé ! Donc, on n’a pas le droit d’y aller. Peut-être faudrait-il travailler à la facilitation de délégation d’autorité parentale aux éducateurs et aux familles d’accueil afin qu’ils soient autorisés à signer des documents de la vie courante, ce qui est normal, mais aussi à prendre des décisions qui permettent le développement normal d’un enfant en famille ou en institution.

Mme Maëlle Bouvier. Je souriais parce que c’est exactement ainsi que cela se passe dans les faits.

Ma famille d’accueil pouvait signer les documents de la vie courante facilement mais, par exemple, pour aller dormir chez ma meilleure amie et faire une pyjama party, il fallait envoyer un fax à la structure employeur de ma famille d’accueil. Je ne connais pas très bien les circuits de décision mais, en tout cas, il fallait l’envoyer, ce fax. Je me souviendrai toujours de ce fax qui était devenu mon ennemi numéro un ! Quand ma meilleure amie me proposait le vendredi midi de dormir chez elle le soir, je mettais une pression d’enfer à ma famille d’accueil pour que ce fax parte à l’heure et que la réponse revienne à l’heure. On m’a très souvent reproché ces demandes un peu impertinentes et non essentielles sur lesquelles l’ASE devait se positionner. Ce n’était pas évident.

S’agissant de l’autorité parentale de manière plus générale, je partage tout ce qui a été dit. Je voulais ajouter une idée mais je l’ai perdue. Cela ne devait pas être si important que cela… Je vais donc m’arrêter là.

M. Dylan Legrand. Dans la mesure où il y a eu beaucoup d’interventions sur l’aspect juridique, mon regard sera plutôt anthropologique.

Le concept de famille est quelque chose d’assez récent. On a commencé à vraiment s’intéresser à l’enfant et au rôle de la famille avec John Locke et au siècle des Lumières avec Jean-Jacques Rousseau.

Au XIXe siècle, avec la révolution industrielle, le rôle de l’enfant a changé. Peut-être accorde-t-on une place trop importante à la famille. D’après Durkheim, c’est la toute première société, mais si la première société dysfonctionne, comment les autres sociétés peuvent-elles fonctionner ? Peut-être faut-il tuer le rôle de la famille et revoir tout ça. Peut-être que dans certaines situations, on devrait la laisser de côté. L’État ou d’autres instances seraient peut-être plus compétentes. L’enfant ou l’adolescent se construiraient plus facilement.

On parle beaucoup de l’enfant, mais on ne parle pas de ce qui se passe après. C’est bien beau, on est aidé jusqu’à dix-huit ans, et à dix-huit ans, plongé dans le bain, on apprend à nager. Il faut également s’attacher à cette période après dix-huit ans.

M. Joao Bateka. Oui, moi, dans mon cas, et pour certains qui ont un parcours comme le mien, l’autorité parentale est confiée à un juge ou à un inspecteur. Donc, toutes les décisions ont été prises par une personne qui me voyait très peu ou presque jamais.

Quand je suis devenu majeur, il s’agissait d’une personne qui ne m’a jamais vu. Pour mon inscription à la fac, c’est une personne je ne connaissais pas qui a signé.

Quand je devais aller au cinéma avec les camarades de classe, il fallait qu’on s’organise deux semaines à l’avance. Le courrier passait d’abord à la référente ASE qui le transférait à l’inspectrice, celle-ci le repassait à la référente ASE qui le transmettait à la famille d’accueil. Parfois, la famille d’accueil se disait : « Mais franchement, parfois, on se demande à quoi on sert. Nous, on vit avec vous tous les jours, on sait qui vous êtes, on partage les repas avec vous, la vie de tous les jours, mais pour aller au cinéma, nous, on ne peut pas décider. On ne peut pas non plus décider quand vous êtes invités chez un copain, que nous on connaît mais que, par contre, l’inspectrice ou la référente ASE ne connaît pas. Mais ce sont eux qui décident. Nous, on est jute là pour vous nourrir, vous voir pousser, et demain, salut ! Tout ce qui est vraiment important pour vous, on n’a aucun pouvoir dessus. »

M. Lyes Louffok. Une précision sur cette question des actes usuels et non usuels. La loi du 14 mars 2016 a réglé en partie le problème puisque, aux termes de la loi, la question des actes usuels et non usuels doit être inscrite dans le projet pour l’enfant. C’est un document officiel qui régit le projet de l’enfant, les prérogatives des services de l’ASE, tout ce qui doit être mis en place pour l’enfant. Selon la loi, tout ce qui ne doit pas être réalisé par le service « gardien », donc la famille d’accueil ou l’ASE, doit être inscrit, ce qui laisse la possibilité de prendre des décisions sur tout le reste. Le problème c’est que le projet pour l’enfant n’est appliqué qu’à 15 % sur le territoire national. Donc si on appliquait le projet pour l’enfant, peut-être que nous ne connaîtrions plus cette problématique des actes usuels et non usuels.

Mme Bénédicte Pételle. Je voulais vous interroger sur ce qu’il fallait faire pour modifier la loi. Vous avez d’ores et déjà répondu.

Je vous remercie de vos témoignages.

Mme Elsa Faucillon. Je copréside à l’Assemblée un groupe d’étude sur les mineurs non accompagnés (MNA), dont le parcours a peu été décrit ici. Peut-être celui de Joao n’est pas tout à fait typique de ce qui se passe aujourd’hui, s’agissant, par exemple du parcours avant évaluation de mise à l’abri, puisque vous vous êtes présenté directement avec votre sœur. Dans la mesure où la minorité était très claire, avec une petite de huit ans, votre parcours d’évaluation n’est pas typique de ce qui se pratique aujourd’hui. Quand je me rends dans les départements et à l’Aide sociale à l’enfance dans le cadre du groupe d’études, le discours c’est que les MNA impactent l’Aide sociale à l’enfance comme s’ils venaient mettre en difficulté une ASE qui, très certainement, l’est déjà.

J’ai envie de retourner le problème et de regarder comment aujourd’hui l’ASE impacte les enfants en général et donc également les mineurs non accompagnés. Je vois bien qu’une distinction est faite. Cela n’enlève en rien les grandes difficultés que vivent celles et ceux, et on le voit aujourd’hui, qui n’ont pas eu ce parcours, parce qu’ils viennent de l’étranger ou qui ont des papiers français directement.

Tout au long de votre parcours ou de ceux avec qui vous avez échangé, percevez-vous une discrimination entre l’accompagnement des MNA et celui des autres enfants qui ont des papiers français à la naissance ?

M. Joao Bateka. Je réponds affirmativement à cette question. Il existe une discrimination. Un exemple tout bête : après avoir quitté la famille d’accueil, j’ai été placé dans une MECS. J’avais demandé à partir, je pensais avoir atteint un niveau d’autonomie, je voulais passer en appartement, passer en paix en semi-autonomie. J’ai donc été placé dans un groupe où on mélangeait, à l’époque, tous les enfants. Aujourd’hui, il existe des catégories d’enfants, et quand ces catégories d’enfants ont commencé à être créées, ma sœur sortait de sa famille d’accueil. Elle a donc été placée dans une structure MNA.

Je touchais une allocation de 360 euros pour subvenir à mes besoins. L’appartement appartenait à la structure qui payait les loyers. Ma sœur touchait une allocation de 210 euros parce qu’elle faisait partie d’une structure MNA. Les moyens étaient différents. Notre structure comprenait dix éducateurs qui travaillaient vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ils faisaient les nuits. Dans la structure de ma sœur, quatre éducateurs travaillaient jusqu’à dix-neuf heures. L’établissement était fermé le week-end.

Nous avions 40 euros d’argent de poche, les MNA n’en avaient pas. Face à ces situations, j’étais souvent gêné parce que c’était ma sœur. Moi, j’avais tout bien, on peut dire ; par contre, elle n’avait rien du tout. Le plus moche dans l’histoire c’est quand le département dont ma ville dépend a décidé d’interdire les contrats Jeune majeur aux MNA, de couper et de ne plus le renouveler à ceux qui l’avaient. Le mien n’a pas été renouvelé et ma sœur n’a jamais eu de contrat Jeune majeur à ses dix-huit ans.

Après dix-huit ans on devait se préparer à quitter la structure et les autres jeunes qui vivaient avec nous, qui étaient nos colocataires dans les mêmes appartements, pouvaient rester jusqu’à vingt et un ans ; ils n’avaient pas à s’inquiéter.

Ensuite, le département a envoyé une lettre aux directions des structures expliquant que les contrats jeune majeur, c’était écrit noir sur blanc, seraient coupés à tous les jeunes MNA parce que s’il fallait faire des économies, il fallait les faire sur les MNA, non sur les autres jeunes.

Je suis parti parce que je ne pouvais plus mendier de contrat Jeune majeur. La dernière fois que j’ai réussi à renouveler un contrat Jeune majeur c’était parce que je venais de me faire opérer du genou. Il me fallait une deuxième blessure pour continuer à être pris en charge.

Les dix-huit ans de ma sœur approchaient. Elle avait déjà fait ses valises et n’avait pas encore les papiers. Elle avait déjà reçu une lettre de refus à sa demande l’informant qu’elle ne pouvait accéder à un contrat Jeune majeur. Elle a obtenu sa naturalisation trois jours avant ses dix-huit ans. On lui a donné six mois de contrat Jeune majeur parce qu’elle était devenue française. Elle n’a pas accepté de rester, elle est partie parce qu’elle avait pris ses précautions pour aller de l’avant. Donc, à son dix-huitième anniversaire, elle a pris ses valises et elle a quitté l’ASE.

J’ai vu ces situations. J’ai été témoin d’une scène révoltante, de plus quand aujourd’hui je suis professionnel de la protection de l’enfance. J’ai été révolté de voir un jeune être arraché d’une structure ASE par les forces de l’ordre pour le mettre à la rue.

La mission s’est inversée. Avant, les forces de l’ordre prenaient les jeunes de la rue pour les placer dans les structures ASE. Aujourd’hui, une direction de la protection de l’enfance se permet d’appeler la police parce qu’un jeune ne veut pas sortir de l’appartement, tout simplement parce qu’il ne sait pas où aller. Du coup, la police, le prend, lui et ses affaires, et le dépose à la gare la plus proche.

C’est une situation que des jeunes vivent quasiment tous les jours.

Il existe des dispositifs d’évaluation fantômes que certains départements créent pour essayer de répondre, ou de ne pas répondre, à leurs obligations.

Sur ces questions-là, moi je vais peut-être passer pour ne pas entrer en conflit avec mon département qui ne m’a pas encore régularisé. Donc je vais rester discret !

M. Mamédi Diarra. Je ne suis pas un ancien MNA. Par contre, dans l’association Repairs 94 et Repairs 75, nous avons l’occasion d’en rencontrer beaucoup. Par ailleurs, dans nos fonctions statutaires et légales, nous siégeons dans certaines instances, dont les commissions de sélection et de validation d’appel à projets pour la création d’établissements sociaux et médico-sociaux. Dans ces commissions, je peux observer ce qui se passe au niveau des différents départements de France. Depuis quelques années, nous repérons quelque chose qui se met en place doucement, dans le silence un peu général, à savoir des appels à projets ciblés MNA. Sur le papier, cela peut être séduisant. On se dit qu’ils ont des difficultés particulières pour accéder à la nationalité, au séjour, etc, et qu’il faut peut-être trouver des structures à même de les accompagner sur plein de choses. Voilà, sur le papier, ça peut être séduisant. Sauf que, dans les faits, on propose des dispositifs d’accompagnement low cost. Je ne mâche pas mes mots en disant low cost. Les prix de journée battent toute concurrence. Des prix de journée qui permettent, la plupart du temps, de les mettre dans des hôtels sociaux plutôt délabrés, et donc sans accompagnement éducatif effectif. Et surtout sans l’équité et l’égalité vis-à-vis des autres enfants de l’aide sociale à l’enfance qui sont également des mineurs. Qu’il soit MNA ou pas, il est avant tout un enfant en situation de danger.

Ces dernières années, nous avons vu se développer dans les départements ces dispositifs spécifiques « MNA », dont Joao a un peu parlé, et qui ne répondent pas aux difficultés des MNA. Au sortir de ces dispositifs, ils n’ont toujours pas de situation administrative stable. Ils viennent nous voir à l’association, qui se trouve démunie. Nous avons des contacts avec des partenaires, on essaie de débloquer les choses, mais c’est long. Là, se pose la question de la formation en amont des professionnels, parce que l’accès au séjour, c’est tout un cursus. Le nombre d’années passées à l’ASE peut influer, certaines demandes doivent être formulées avant la majorité et qui ne le sont pas. Parfois, des jeunes n’accèdent pas la nationalité parce que la demande n’a pas été faite avant leurs dix-huit ans. À dix-huit ans plus un jour, c’est trop tard. Toutes ces choses-là ne sont pas acquises par le système de la protection de l’enfance.

Mon dernier mot relève plus de l’anecdote mais je voudrais revenir à la question des juges. Les juges manquent de formation peut-être et d’informations concrètes. À une époque où j’avais commencé à faire du droit et que je me demandais encore si j’allais être juge pour enfants ou pas, je me disais qu’un juge ne rencontre jamais les jeunes en foyer, il ne va jamais dans les familles d’accueil alors qu’il en a le pouvoir. S’il le veut, il peut le faire, mais il n’en a pas le temps.

Il faudrait qu’ils aient des stages en structure, sur le terrain afin qu’ils puissent aller à la rencontre des foyers, à la rencontre des familles d’accueil, qu’ils puissent y passer du temps, qu’ils puissent voir comment cela fonctionne pour savoir tout simplement où placer les enfants. Ce serait la base.

Pour anecdote, dans mon cursus de droit, je me souviens en première et en deuxième année, lorsque je discutais avec mes camarades, certains disaient : « Moi, je voudrais être juge pour enfants. » parce que, dans la tête, c’est super, on va défendre les enfants, on va les sauver, etc. C’est sympa, mais moi je leur ai expliqué la réalité de l’ASE, ce que j’ai vécu, ce que d’autres vivent. À ce moment-là, ils m’ont répondu : « Ah bon, ah, ah bon, ah… » Ils sont tombés des nues. Malheureusement, ce sont des gens comme ça qui deviennent juges, sans avoir vu, à un moment donné, l’ASE en vrai. La question de formation des professionnels du monde judiciaire se pose.

Mme Perrine Goulet, rapporteure. Je vais finir le bal des questions.

Notre collègue Delphine Bagarry est partie ; elle aurait aimé évoquer avec vous le tiers « digne de confiance » qui est prévu dans la future proposition de loi de Brigitte Bourguignon visant à renforcer l’accompagnement des jeunes majeurs vulnérables vers l’autonomie. S’agit-il d’une bonne idée, qu’en pensez-vous ?

Personne autour de vous n’aurait-il pu vous accueillir dans la famille ou cette solution n’a-t-elle pas été recherchée et proposée ? Gabrielle tout à l’heure a évoqué sa grand-mère. Si je comprends bien Gabrielle, sa grand-mère l’a beaucoup aidée mais pas gardée. Merci de bien vouloir répondre à ces deux petites questions.

Mme Gabrielle Scherrer. Lorsque je suis arrivée à l’ASE, je ne connaissais pas ma famille. Ma mère avait beaucoup bloqué sur cela, sauf ma grand-mère et mon grand-père. Personne ne savait que j’étais à l’ASE. Quand j’avais mes plaintes et tout, j’avais demandé que l’on me vienne en aide et personne n’est venu me chercher ou quoi que ce soit, alors que mon grand-père, Jean-Louis Scherrer, qui était un grand couturier à l’époque, avait assez d’argent pour me trouver quelque chose de mieux dans tout ce qu’il était possible de faire. En fait, au départ, je ne devais pas rester aussi longtemps à l’ASE ; je ne devais y rester qu’un an ou deux. Mais personne n’a voulu de moi à cause de mon handicap qui posait trop de problèmes financièrement à ma famille. Personne n’est donc venu me chercher.

L’année dernière, quand ils ont reçu une lettre disant : « Qu’est-ce qu’on fait de Gabrielle qui aura bientôt dix-huit ans ? Pouvez-vous la garder ? » Ma famille a dit non. Même ma grand-mère, mais elle avait de gros problèmes de santé, encore maintenant.

Mme Sonya Nour. Dans mon parcours, avoir une personne de confiance aurait été une merveilleuse idée. Cela aurait changé ma trajectoire. Je n’avais pas de famille, en dehors de ma mère, pas de père, personne pour nous venir en aide. J’avais la mère d’une amie à moi, qui était, et qui est toujours certainement, une femme merveilleuse qui voulait que je vienne chez elle. Elle est allée voir l’ASE. C’est une démarche. Elle a expliqué que cela se passait très mal, que j’étais très mal, qu’il fallait trouver une autre solution. Ils lui ont juste expliqué que j’étais une fille à problèmes, que cela allait être difficile pour eux, que c’était ingérable et que cela ne se passait comme cela. Mais rien que cet amour, je pense que l’amour change les trajectoires.

M. Dylan Legrand. Je me suis retrouvé en foyer parce que je n’y suis pas allé de moi-même ! Mon père me battait. On peut se poser la question de ma mère. Elle est partie quand j’avais trois ans. Si jamais je veux m’amuser à aller voir ma mère, il faut que j’aille près de la cathédrale quand elle mendie. Elle est dans un sale état.

J’ai trois frères et plusieurs sœurs. Mon plus grand frère, mon demi-frère, a 38 ans. Je ne l’ai vraiment rencontré qu’à mes dix ans. Je ne peux pas vraiment dire qu’il y a un lien et quand on se parle, cela me fait bizarre de penser que c’est mon frère. Je pense qu’il aurait pu m’aider, mais cela aurait été trop compliqué pour moi.

Mon deuxième frère, âgé de vingt-trois ans, a un handicap mental suite à un accident. Même s’il était dans l’impossibilité de me prendre, il y a eu un problème, quand j’étais petit, il a eu des histoires d’attouchement dans son institut médico-éducatif. Aller au tribunal de grande instance quand on a huit ans, avec des gendarmes partout… Le cadre a fait que je savais qu’il s’était passé quelque chose de bizarre et qu’il avait essayé de faire des attouchements sur moi. Le lien s’est brisé.

Je sais que j’ai un demi-petit frère mais je ne l’ai jamais vu.

J’ai des sœurs. Il y en a une qui a essayé de prendre contact avec moi alors que j’avais dix-neuf ans. Elle m’envoie des messages sur Messenger me disant : « Oui je suis ta sœur, je t’aime. » Je ne peux pas t’aimer, je ne te connais pas ! Ce n’est pas parce qu’on est de la même famille que ça crée forcément des liens.

Pour reprendre Victor Hugo, je me dis que je me suis un peu fait une famille avec ceux qui n’en ont pas. J’ai impression d’être une sorte de Gavroche, d’être un peu un sans famille sauf avec ceux qui en ont besoin ou de chercher là où il y aurait une famille potentielle mais ce ne sont pas des liens du sang.

Le premier « je t’aime » que j’ai reçu, j’avais seize, dix-sept ans, et c’était en faisant de l’animation chez des scouts laïques où je m’étais retrouvé par hasard. Là, cela faisait vraiment mal. Je ne sais pas si cela faisait du bien ou du mal. Quand j’étais petit et qu’on prenait des repas avec mon père et mon frère, des fois, je me disais : « Mais qu’est-ce que je fais avec cette bande de cons ? » Avec le temps, j’ai un peu pris du recul et je leur pardonne un peu. Maintenant, je suis un peu devenu le père de mon père. Je m’occupe vraiment de lui. Ce n’est pas vraiment normal et je n’arrive pas vraiment à avoir de liens. C’est très spécial, indescriptible.

Mme Maëlle Bouvier. L’idée du tiers digne de confiance est une très bonne idée. Elle offre un compromis intéressant entre un placement traditionnel et les cas d’adoption que nous avons évoqués tout à l’heure. Mais il faut que cela réussisse. Je n’ose imaginer que l’on place un enfant en situation de souffrance auprès d’un proche digne de confiance et que, faute de l’accompagnement nécessaire, du projet de l’enfant, le projet échoue.

On est dans des situations difficiles à gérer. Un enfant qui est placé à l’ASE est en colère, il est en révolte. Il peut avoir des difficultés à s’exprimer sereinement. Si le proche se sent démuni et abandonne au bout de quelques mois ou de quelques années, je n’ose imaginer les impacts négatifs que cela pourrait avoir sur l’enfant.

C’est une très bonne idée s’il y a un accompagnement de ce proche. Ce ne serait pas si évident que ça dans le cas des fratries. J’étais avec mon frère. Je crois savoir que des personnes de ma famille se sont posé la question, mais ces oncles et tantes ou ma grand-mère avaient leur propre vie, leurs propres difficultés, parfois leurs propres enfants. Accueillir deux enfants supplémentaires, c’est compliqué. Dans notre cas, cela ne s’est pas fait et je ne le regrette pas, mais dans le cas des fratries, à mon avis, ce sera assez compliqué.

Mme Perrine Goulet, rapporteure. Combien parmi vous ont fait l’objet d’un suivi psychologique pendant votre période de placement ?

Vous en avez donc tous bénéficié. C’est intéressant. On dit souvent que les enfants n’ont pas forcément eu un suivi psychologique.

Mme Sonya Nour. J’ai eu un rendez-vous !

Mme Perrine Goulet, rapporteure. Je parle d’un vrai suivi psychologique avec une thérapie au long terme. Du coup, vous êtes beaucoup moins à en avoir bénéficié.

Je vous remercie pour ces presque quatre heures d’audition. Vous vous êtes livrés à nu. Comme l’ont souligné mes collègues, nous ne pouvions pas ne pas commencer par vous auditionner. Ces témoignages nous guideront au cours de nos prochaines auditions. Avant de laisser la parole au président, je voulais vous remercier chaleureusement.

M. le président Alain Ramadier. Il me reste à vous remercier, à renouveler les remerciements de la rapporteure pour la richesse des échanges et la sincérité dont vous avez fait preuve. Je crois me faire le porte-parole de mes collègues députés et même de l’ensemble de l’administration.

Cette audition nous a marqués et nous suivra au cours de cette mission. Vous avez ici des parlementaires, des élus qui étaient déjà sensibilisés, mais qui le sont davantage encore grâce au dialogue de ce matin. Merci. Merci, vraiment.

J’informe mes collègues que nous nous retrouverons jeudi 18 avril pour une audition à caractère plus institutionnel, puisque nous recevrons des représentants de l’Observatoire national de l’action sociale (ODAS) et du Conseil national de la protection de l’enfance (CESE).

Merci à l’ensemble de mes collègues et à l’administration. Nous essayons de faire du bon travail.

Je vous rappelle, mes chers collègues, qu’un compte rendu intégral de la réunion sera réalisé. Certains collègues n’ont pu venir, dites-leur de regarder la vidéo ou de lire le compte rendu qui sera diffusé dans les jours à venir.

La réunion s’achève à douze heures quarante-cinq. »

Compte rendu disponible ici.