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Assemblée nationale - Mission d’information de la Conférence des présidents sur l’aide sociale à l’enfance, jeudi 27 juin 2019

Publié le : vendredi 28 juin 2019

Voir en ligne : http://videos.assemblee-nationale.f...

Source : Assemblée Nationale

Date : 27 juin 2019

Présentation :

Audition de M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des Solidarités et de la santé

  • M. Alain Ramadier, président
  • M. Adrien Taquet, secrétaire d’Etat
  • Mme Perrine Goulet, rapporteure
  • M. Adrien Taquet, secrétaire d’Etat

Questions des députés

  • Mme Florence Provendier
  • Mme Sandrine Mörch
  • Mme Bénédicte Pételle
  • M. Adrien Taquet, secrétaire d’Etat

Compte rendu :

La séance est ouverte à onze heures.

(Présidence de M. Alain Ramadier, président de la mission d’information
de la Conférence des présidents)


M. le président Alain Ramadier. Notre mission d’information, créée à la fin du mois de mars par décision de la Conférence des présidents, achève son cycle d’auditions avec la venue de M. Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de la mise en place de la stratégie pour la protection de l’enfance, que nous remercions pour sa très grande disponibilité.

Monsieur le secrétaire d’État, notre mission d’information parlementaire s’inscrit dans un ensemble de réflexions entreprises concomitamment et visant à s’interroger sur l’efficacité de notre dispositif d’aide et de protection des enfants en danger ou en souffrance, dans leur milieu familial ou en l’absence de tout milieu familial. Ce travail passionnant n’en est pas moins délicat. En effet, en contrepoint de l’analyse rationnelle des mécanismes institutionnels et de leurs imperfections, il y a, sur le terrain, des travailleurs sociaux et des familles d’accueil dont le métier et l’engagement mériteraient d’être mieux pris en considération. Surtout – et même avant tout –, il y a les enfants, avec leur ressenti, leurs manques et leurs émotions ; ils nous ont montré que tout ne passe pas nécessairement par de grands projets, mais qu’il faut encourager la généralisation de bonnes pratiques qui peuvent améliorer leur vie quotidienne. C’est pourquoi notre mission ne s’est pas contentée de s’interroger sur la pertinence de la décentralisation de la politique d’aide sociale à l’enfance : nous nous sommes également penchés sur la continuité des parcours, la déjudiciarisation ou encore sur la coordination entre tous les acteurs qui concourent globalement au développement de l’enfant et à son bien-être. Nous avons par ailleurs cherché, notamment à partir des multiples déplacements et visites effectués par les membres de la mission dans nombre de départements, à identifier les bonnes pratiques.

Notre mission, qui a délibérément laissé la question de la sortie du dispositif des jeunes majeurs à la réflexion de la présidente Brigitte Bourguignon, va conclure ses travaux la semaine prochaine et établira un certain nombre de recommandations. Nous avons souhaité, en vous conviant ce matin, monsieur le secrétaire d’État, recueillir votre analyse de la situation et avoir votre sentiment sur un certain nombre de sujets. Je vous donne la parole. Nous engagerons ensuite la discussion avec Mme la rapporteure, moi-même et les membres de la mission d’information.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Je suis évidemment très heureux d’être avec vous ce matin et d’intervenir devant votre mission d’information : merci pour votre invitation. Ce sera l’occasion pour moi de vous présenter la réflexion et l’action que mène le Gouvernement en matière de protection de l’enfance. Une étape importante a été franchie hier – un certain nombre d’entre vous y a assisté – avec la restitution des conclusions des six groupes de travail organisés dans le cadre de la grande concertation nationale sur la protection de l’enfance que j’avais lancée. Cela occupera une partie de mon propos.

Je me réjouis évidemment – je le dis depuis le début de vos travaux – que l’Assemblée nationale se soit emparée de la question de l’aide sociale à l’enfance, au travers de cette mission d’information, mais pas seulement : je pense aussi à la proposition de loi de Brigitte Bourguignon sur l’accès à l’autonomie, à laquelle vous avez fait référence, monsieur le président. J’ai toujours considéré que, dans notre pays, la question de l’enfance en général – et pas seulement de l’aide sociale à l’enfance –, au regard de la situation, devrait être à la une de l’actualité médiatique et en tête des priorités politiques. Tel n’est pas le cas. Je ne peux donc que me réjouir de toute initiative tendant à s’emparer de la question pour la mettre sur le devant de l’actualité.

En effet, pour les enfants en général, et ceux de l’aide sociale à l’enfance en particulier, qui vont occuper l’essentiel de nos discussions ce matin, nous devons faire plus et mieux : c’est le sens du mandat que m’ont confié le Président de la République et le Premier ministre en créant le secrétariat d’État à la protection de l’enfance il y a maintenant cinq mois – ce qui était d’ailleurs une première sous la Ve République. Depuis ma nomination, j’ai beaucoup écouté les enfants, évidemment, où qu’ils se trouvent. J’ai effectué environ vingt-cinq déplacements pour rencontrer, dans les différents lieux d’accueil, non seulement des enfants, mais aussi, bien entendu, les professionnels de la protection de l’enfance, à commencer par les travailleurs sociaux, et le secteur associatif. Je profite de l’occasion pour vous dire aussi que j’ai été impressionné par le nombre et la qualité des auditions que vous avez menées au sein de cette mission d’information.

De tous ces échanges, j’ai tiré une conviction forte, que j’ai eu l’occasion de rappeler hier : il est inutile d’aller chercher dans une supposée imprécision de la loi la source des maux qui frappent le secteur de la protection de l’enfance. Je pense que nous bénéficions, grâce à l’avancée décisive que constitue la loi du 14 mars 2016, née du travail acharné de deux parlementaires – les sénatrices Michelle Meunier et Muguette Dini –, d’un cadre légal solide, fiable et qui va assez loin, car – ce n’est pas à des parlementaires que je vais l’apprendre – la loi n’a pas vocation à entrer dans le détail : elle est générale. La loi n’est pas non plus en mesure de faire évoluer à elle seule les esprits et la société, même si elle y contribue fortement. Le code de l’action sociale et des familles a même tendance à être un peu bavard. Il ne faudrait pas que nous passions collectivement plus de temps à élaborer le cadre normatif qu’à nous soucier de la manière dont nous pouvons faire la différence dans la vie des enfants.

Je tire de ces réflexions la conclusion suivante : changer la vie de ces enfants relève pour une grande part, j’en suis convaincu, de l’art de l’exécution – c’est ce dernier kilomètre dont parle souvent le Président de la République, de façon à toucher dans leur quotidien les gens, les Français et, en l’espèce, les enfants. Cet art de l’exécution est ingrat, en réalité, car il requiert davantage l’humilité que la flamboyance et il s’impose dans un combat trop important pour supporter les effets de manche ou les effets d’annonce.

Le cap est ainsi fixé : dans les années qui viennent, ce sont les pratiques, davantage que la loi elle-même, qu’il faudra changer, ainsi que le regard que porte la société sur la condition infantile. Je souhaite que l’intérêt supérieur de l’enfant devienne le principe cardinal de toute politique publique en matière de protection de l’enfance. Pour cela, évidemment, une mobilisation de tous les acteurs est de mise – les départements, qui assurent localement la position de chef de file en matière de protection de l’enfance, mais aussi les communes, qui mènent une action sociale importante, les associations qui accompagnent continuellement les enfants et leur famille, mais aussi les parlementaires – pour que nous changions de paradigme.

Vous le savez, la refondation de l’aide sociale à l’enfance constitue le troisième pilier du pacte pour l’enfance que j’ai annoncé il y a quelques mois. Le premier pilier a trait à la prévention : il englobe tout ce qui concerne l’accompagnement à la parentalité, autour du concept des « mille premiers jours » de l’enfant, sur lequel nous sommes en train de travailler et qui donnera lieu à des annonces à la rentrée. Le deuxième pilier consiste dans la lutte contre les violences, en tout lieu et à tout moment, qu’il s’agisse de violences psychiques, physiques ou sexuelles. Le troisième pilier du pacte, celui qui nous occupe plus particulièrement ce matin, est donc la refondation de l’aide sociale à l’enfance.

Peu de temps après à ma nomination, j’ai décidé de lancer une large concertation avec l’ensemble des parties prenantes, articulée autour de six groupes de travail. Le premier avait trait à la sécurisation des parcours de l’enfant. Comme vous le savez, la vie des enfants pris en charge par l’aide sociale à l’enfance est marquée, la plupart du temps, par une rupture souvent dramatique, et une fois qu’ils sont dans le système, six à sept autres ruptures interviennent. Le premier groupe de travail avait donc pour objectif de réfléchir sur la manière de sécuriser le parcours de ces enfants.

Le deuxième groupe de travail était centré sur le mode d’accueil de type familial, autrement dit les familles d’accueil, dans chacun des départements. Tous les déplacements que j’ai effectués, et je pense que vous avez eu le même son de cloche, m’ont amené à constater que la démographie était plutôt défavorable et qu’il y avait un problème d’attractivité de cette profession.

Le troisième groupe de travail portait sur une question dont vous savez peut-être qu’elle m’est particulièrement chère : celle des enfants en situation de handicap. En effet, 20 % à 25 % des enfants de l’aide sociale à l’enfance ont une reconnaissance de la part des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Les causes de cette situation sont variées. Le Gouvernement s’y attelle par ailleurs – je pense notamment au forfait d’intervention précoce, dans le cadre de la stratégie nationale pour l’autisme, qui permettra de repérer les enfants plus tôt et, ce faisant, d’atténuer les symptômes et les troubles du comportement qui font parfois exploser les familles et peuvent conduire à des placements. Les enfants en situation de handicap sont au croisement du social et du médico-social. Or, dans un pays comme le nôtre, qui a parfois tendance à fonctionner en silos, quand on est au croisement de deux institutions, on n’est en réalité nulle part. Nous devons donc inventer de nouvelles façons d’accompagner ces enfants.

Le quatrième groupe de travail avait trait à l’ambition scolaire : comment promouvoir l’ambition scolaire des enfants relevant de la protection de l’enfance ? Leur niveau global de scolarisation est moindre par rapport au reste des enfants de leur âge. Cela est dû aux multiples ruptures qu’ils ont subies dans leur parcours de vie. La déscolarisation est une rupture supplémentaire : il nous faut la faire disparaître.

Le cinquième groupe de travail était consacré à la qualité et à la transparence des lieux d’accueil : comment, d’une part, garantir la sécurité des enfants et, d’autre part, s’assurer que l’on est protégé à peu près de la même façon aux quatre coins de la France ?

Enfin, le dernier groupe de travail portait sur la question du pilotage de cette politique publique, dont vous savez qu’elle est décentralisée depuis 1983. Le département est donc chef de file, mais la compétence reste partagée. En effet, la justice intervient beaucoup dans le processus, même si celui-ci a été conçu pour être plutôt administratif que judiciaire. Force est ainsi de constater que 70 % des mesures d’aide à domicile sont prononcées par la justice, de même que 80 % des mesures de placement. La déjudiciarisation, que vous avez évoquée, monsieur le président, est donc certes importante, mais aussi complexe à réaliser, puisqu’elle repose notamment sur l’adhésion des parents aux mesures proposées. L’État est donc de facto partie prenante. Par ailleurs, même dans le cadre d’une politique décentralisée, l’État peut continuer – il doit même le faire, selon moi – à jouer un rôle, il est vrai différent de celui qu’il aurait si cette politique était menée de façon exclusive.

La question de la gouvernance inclut également une autre dimension qui m’est très chère et dont je parle dès que j’en ai l’occasion : la pleine participation des enfants, non seulement aux décisions qui les concernent, mais aussi à l’élaboration des politiques publiques, que ce soit au niveau local ou au niveau national. Je crois à la démocratie sociale et contributive, qui ne remet en rien en cause la démocratie représentative, que vous incarnez ici, mesdames et messieurs les députés : je trouve que ces deux approches sont complémentaires. La participation des usagers aux politiques publiques qui les concernent doit être développée ; cela se fait beaucoup dans le secteur sanitaire, cela se développe dans le médico-social et la pratique a toute sa place dans le social.

Chaque groupe de travail était coprésidé par un président de conseil départemental et un spécialiste de la question – un recteur s’agissant du groupe sur l’éducation, le directeur général de la cohésion sociale (DGCS) s’agissant du groupe de travail sur la gouvernance, mais aussi un magistrat et des responsables d’associations. Chacun des groupes réunissait l’ensemble des parties prenantes, notamment les associations – y compris celles qui regroupent d’anciens enfants protégés, ou des enfants qui le sont encore – et les administrations.

Les groupes de travail m’ont donc remis leurs conclusions hier. Je n’entrerai pas dans le détail des propositions : j’y reviendrai plus tard si vous le souhaitez, et en réponse aux questions que vous me poserez. Tout le monde, me semble-t-il, a salué la méthode et la dynamique qui sont à l’œuvre, c’est-à-dire le fait d’avoir mené cette concertation, l’importance de se mettre autour de la table et d’élaborer ensemble les politiques publiques. Nous avons en effet invité des gens qui n’étaient pas forcément habitués à participer aux discussions et aux concertations, qu’elles soient institutionnelles ou plus informelles, au niveau national ou au niveau local. Ces personnes, qui ne sont pas toutes membres du Conseil national de la protection de l’enfance, ont apporté un regard différent, un point de vue neuf. Nous avions, comme toujours, l’ambition de croiser les approches, car c’est particulièrement important.

Tout le monde a également noté et salué la présence, hier, de quatre ministres – sachant que deux autres étaient également représentés. J’y tenais beaucoup et, en réalité, c’est une dynamique assez naturelle, mais je ne suis pas sûr que, sous la Ve République, la restitution d’une concertation ait jamais mobilisé de la sorte six ministres. Il convient de le souligner. Mon poste, je l’ai toujours dit, est par nature très interministériel. Je suis un assembleur, un catalyseur mais, avec moi, c’est bien l’ensemble du Gouvernement qui est mobilisé. Agnès Buzyn a prononcé le discours d’ouverture. Étaient représentés, et c’est particulièrement important étant donné le rôle qu’ils jouent dans le système, Nicole Belloubet – j’évoquais tout à l’heure l’importance de la justice – et Jean-Michel Blanquer. Sophie Cluzel était présente, en raison du lien avec la question du handicap, qu’elle suit évidemment de près, vu son importance. Roxana Maracineanu assistait elle aussi à la réunion : l’accès au sport et aux loisirs est, sinon un angle mort, tout au moins un aspect qu’on évoque assez peu concernant les enfants de l’ASE, peut-être parce que d’autres aspects sont plus importants, ou sont considérés comme tels. J’ai toujours estimé, pour ma part, y compris quand je travaillais sur la question du handicap, que l’accès au sport, à la culture et aux loisirs, de même que le fait d’avoir une vie affective et sexuelle, étaient en réalité des composantes de l’exercice d’une citoyenneté pleine et entière. Les enfants de l’ASE doivent accès à tout cela. Or on en parle assez peu. Je voulais donc insister sur ce point.

À cet égard, en ouverture de la restitution, hier, nous avons partagé une initiative que nous avons prise et dont on avait peu parlé, ce qui fait que de nombreuses personnes l’ont découverte à cette occasion : nous avons mené une consultation avec OpinionWay auprès des enfants protégés, qu’ils se trouvent en famille d’accueil, dans un foyer ou dans une maison d’enfant à caractère social (MECS). L’objectif était de les interroger, d’une part, sur leur perception du bonheur et leurs perspectives d’avenir et, d’autre part, sur ce que leur apportent les sports et les loisirs. On constate d’ailleurs, en général, que ceux qui ont des activités sont aussi plus heureux, ont davantage confiance en l’avenir. Le sport et la culture sont de véritables vecteurs d’émancipation, à la fois individuelle – cela permet de retrouver l’estime de soi, ce qui est souvent difficile, on le sait, pour les enfants protégés en raison des violences qu’ils ont subies – et collective : ce sont des instuments de sociabilisation importants. J’étais assez inquiet à ce sujet : je me demandais si les enfants faisant du sport ou ayant d’autres activités restaient au sein du foyer ou bien pratiquaient dans un cadre ouvert sur l’environnement extérieur, sur l’écosystème associatif. En l’occurrence, l’étude que j’évoquais, conduite auprès de 1 500 enfants – elle est donc relativement représentative –, nous a montré que plus de 75 % des enfants pratiquent bien dans un club : l’activité est donc assez ouverte et intégrée dans le tissu local, et c’est une très bonne chose.

Avant de vous laisser la parole, mesdames, messieurs les députés, je souhaiterais, si vous me le permettez, préciser les autres actions que nous menons par ailleurs – car il n’y a pas seulement la concertation dont j’ai parlé. Nous avons ouvert un certain nombre d’autres chantiers, dont il me semble important que vous ayez connaissance.

Dans le cadre de la concertation, mais sur un tempo un peu différent, parce qu’il s’agit d’une démarche scientifique, qui nécessite donc un peu plus de temps que les trois mois de la concertation, nous avons lancé une démarche de consensus. Comme vous le savez probablement, une première démarche de consensus avait été engagée en 2017 par le docteur Martin-Blachais, relative aux besoins fondamentaux de l’enfant dans le cadre de la protection de l’enfance. C’est alors qu’avait été formalisée, notamment, l’idée du « méta-besoin » que constitue pour les enfants la sécurité, à la fois matérielle et affective. Si ce méta-besoin n’est pas satisfait, rien d’autre n’est possible, rien d’autre ne peut être construit : c’est un socle qui est donné à ces enfants. La sécurité matérielle, physique et affective est le préalable à toute autre action qui pourrait être menée en leur faveur. Nous avons prolongé cette démarche et l’avons centrée sur l’adaptation des modes d’intervention et de prise en charge à domicile. Il faut en effet s’interroger collectivement sur la pertinence du placement et réfléchir au développement d’un certain nombre de solutions alternatives. Vous avez peut-être observé, lors de vos déplacements, des dispositifs innovants qui existent dans un certain nombre de départements.

Cette démarche scientifique sera clôturée – probablement fin septembre – par un débat public. Les conclusions seront rendues en novembre et viendront compléter notre réflexion et les mesures que je vais annoncer.

Vous le savez, même si ce n’est pas dans le périmètre de votre mission, il y a trois mois, le Premier ministre et moi-même avons confié une mission à Mme Brigitte Bourguignon, présidente de la commission des affaires sociales, sur l’accès à l’autonomie des jeunes. Cette mission fait suite à la proposition de loi qu’elle avait déposée l’an passé et qui avait été débattue à l’Assemblée nationale. Elle lui a permis d’approfondir son travail, de se déplacer sur le terrain au contact des différents services de l’État – logement, missions locales, etc. – afin d’évaluer comment mobiliser les dispositifs de droit commun en faveur de l’accès à l’autonomie des jeunes et d’analyser les dispositifs innovants. Elle rendra ses conclusions au cours du mois de juillet. Ces dernières viendront alimenter notre réflexion, ainsi que les débats sur sa proposition de loi.

Concernant la santé des enfants protégés, je suis plutôt bien placé pour vous en parler. C’est vraiment le domaine du régalien. Que constate-t-on ? La santé – tant psychique que somatique – des enfants protégés est généralement moins bonne que celle des autres enfants de leur âge. En outre, ils sont moins bien suivis que les enfants de leur âge. Enfin, les dispositions de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant ne sont pas toujours appliquées… C’est toute la difficulté de l’exécution que j’évoquais précédemment.

Au cours de chacun de mes déplacements, on m’a parlé de la pédopsychiatrie et de ses manques – le terme est faible. Vous parlez de pénurie ; je pourrai reprendre l’expression… Nous manquons cruellement de pédopsychiatres : selon les territoires, les délais d’attente vont de six mois à un an dans les centres médico-psychologiques.

Certaines évolutions structurelles, par définition, vont prendre du temps. La ministre, Agnès Buzyn, l’a dit dès l’année dernière : la psychiatrie en général – et donc la pédopsychiatrie – a été le parent pauvre de notre système de santé pendant une vingtaine d’années. Nous en payons les conséquences… Il faut donc constituer une filière en psychiatrie. Avant même ma nomination, en 2018, Agnès Buzyn a annoncé la création de vingt postes de chefs de clinique en pédopsychiatrie. Elle a annoncé la nomination de six praticiens hospitalo-universitaires en pédopsychiatrie cette année. Nous avons augmenté les capacités d’accueil en hôpital de jour pédopsychiatrique – tant en termes de lits que de places – et 100 millions d’euros ont été débloqués en début d’année en faveur de la psychiatrie.

Le professeur Frank Bellivier a été nommé délégué interministériel à la psychiatrie. Il sera chargé d’animer ces politiques – psychiatrie de l’adulte et de l’enfant, santé mentale en prison, etc. Les enjeux et les défis sont nombreux. Ces mesures étaient nécessaires, mais il va falloir du temps pour qu’elles portent leurs fruits.

En parallèle, pour faire face aux besoins somatiques et psychiques de ces enfants, nous avons mis en place deux expérimentations dans le cadre de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018. La première a été mise en place par le docteur Nathalie Vabres, pédiatre au centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes, conjointement avec l’Agence régionale de santé des Pays de la Loire et vise à structurer un parcours de soins coordonné et gratuit au bénéfice des enfants protégés. Un bilan de santé somatique et psychique va être systématiquement effectué à l’entrée dans le dispositif de l’aide sociale à l’enfance, puis réactualisé chaque année ou autant que nécessaire. Comment peut-on le garantir ? Par la mobilisation de tous les professionnels de santé sur le territoire et en « embarquant » les praticiens libéraux – ils seront remboursés à 100 % sur la base d’actes complexes ou très complexes, afin que le complément de rémunération soit suffisamment incitatif.

L’expérimentation est menée dans trois départements : Loire-Atlantique, Haute-Vienne et Pyrénées-Atlantiques. Nous souhaitons que dix départements supplémentaires les rejoignent l’an prochain. Si l’expérimentation est pertinente, le plan de déploiement s’étalera jusqu’en 2022 ou 2023 – j’aimerais l’accélérer.

Nous avons évoqué la question du handicap et de l’autisme. Avec Claire Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles neuro-développementaux, et avec Sophie Cluzel, nous avons mis sur pied un groupe de travail sur l’autisme et l’aide sociale à l’enfance. Nous avons eu connaissance de placements d’enfants qui pourraient s’avérer non justifiés. J’emploie le conditionnel car il s’agit malgré tout de décisions judiciaires. Ceux qui connaissent les troubles du spectre autistique le savent, certains symptômes peuvent s’apparenter à ce que les travailleurs sociaux identifient comme des symptômes de délaissement parental – enfant replié sur lui-même, isolé, problèmes relationnels avec ses deux parents, etc. Cela a conduit à des placements d’enfants, alors qu’il s’agissait en réalité de troubles du spectre de l’autisme non diagnostiqués…

En France, pour des raisons sur lesquelles je ne reviendrai pas, nous diagnostiquons très tardivement l’autisme, autour de cinq à six ans – quand d’autres pays le font vers deux ans. C’est pourquoi ce Gouvernement et Sophie Cluzel se sont mobilisés pour le forfait « interventions précoces, autisme – troubles neuro-développementaux (TND) ». Ce groupe de travail s’assurera de la mise en œuvre des mesures prévues dans la Stratégie nationale pour l’autisme et de la formation croisée des travailleurs sociaux qui connaissent mal l’autisme, afin de développer des mécanismes permettant d’éviter les placements inappropriés. Les associations participent au groupe de travail ; Danièle Langlois, d’Autisme France – que vous avez dû auditionner – est très active, mais également Marie Rabatel, de l’Association francophone de femmes autistes (AFFA). Nous devons y porter la plus grande attention pour que la confiance revienne.

J’ai confié une mission sur l’adoption à deux parlementaires – Monique Limon, députée, et Corinne Imbert, sénatrice et ancienne vice-présidente du conseil départemental de Charente-Maritime. Depuis la loi de 2016 précitée, l’adoption est une composante à part entière de la protection de l’enfance. D’ailleurs, les associations siègent au Conseil national de la protection de l’enfance. La proportion d’enfants protégés adoptés est infinitésimale en France, alors que l’adoption concerne jusqu’à 5 % des enfants protégés aux États-Unis. L’adoption y est considérée comme une véritable proposition dans le parcours de l’enfant – si tant est que ce soit positif pour lui.

En théorie, la loi de 2016 avait simplifié l’adoption – grâce à l’adoption simple. Mais, en pratique, ce n’est pas le cas : 13 000 parents ont un agrément ; les adoptions internationales sont en baisse depuis l’entrée en vigueur de la convention de La Haye et ne concernent plus que 600 enfants par an ; 2 500 enfants sont en attente d’adoption mais seule la moitié est adoptable. Il faut donc rendre l’adoption plus simple. Il faut également opérer un changement culturel concernant l’adoption des enfants à besoins spécifiques – enfants en situation de handicap ou enfants plus âgés, auxquels on ne pourra donc pas donner le biberon ou changer les couches – stéréotypes, fort légitimes, de l’adoption.

Si vous en avez l’occasion, allez rendre visite à la psychologue du service « adoption » du Pas-de-Calais. Elle y travaille depuis quelques années et a réussi à convaincre le département de concentrer ses efforts sur les enfants à besoins spécifiques. Elle a développé une méthode et une pédagogie d’accompagnement des parents afin de faciliter l’adoption d’enfants plus âgés ou handicapés. Cela fonctionne ! Les parents que j’ai rencontrés étaient les plus heureux des parents.

Cette mission sur l’adoption fera des propositions à la rentrée, incluant également des propositions relatives à la non-discrimination ou la gouvernance.

L’outre-mer n’est pas incluse dans les concertations, à dessein. Le sujet y est pourtant majeur, mais je l’assume une fois encore publiquement : je fais preuve d’une très grande humilité face aux situations éminemment complexes et spécifiques auxquelles doivent faire face ces territoires. Mayotte doit ainsi gérer des mineurs abandonnés puisque les parents comoriens traversent en « kwassa-kwassa » – la barque locale –, accostent sur le rivage, laissent leurs enfants et repartent. La démographie y est galopante… La Guyane rencontre des violences particulières, notamment sexuelles, et nous devons travailler de concert avec les élus locaux sur le système d’aide sociale à l’enfance. Vous avez probablement également entendu parler des phénomènes de mules, dont certains enfants sont victimes, ou du suicide des jeunes Amérindiens.

Je devais aller en Guyane la semaine dernière, mais j’ai malheureusement dû reporter mon déplacement et je m’en excuse auprès des élus qui nous écoutent – je leur ai aussi dit de vive voix. J’irai en septembre mais je travaille déjà avec Annie Girardin et tous les parlementaires des outre-mer.

Enfin, vous aurez peut-être des questions sur les mineurs non accompagnés. J’y répondrai volontiers.

En parallèle de toutes les actions que je viens de vous présenter, nous avons également réalisé un important travail de prévention des violences : accompagnement à la parentalité et plan de lutte contre les violences – il sera annoncé au dernier trimestre 2019.

La semaine prochaine se tiendra une plénière du Conseil national de la protection de l’enfance et les 4 et 5 juillet, les Assises de la protection de l’enfance à Marseille. J’ouvrirai ces Assises : ce sera l’occasion d’annoncer des décisions qui devraient nous permettre de rebâtir ensemble un système de protection de l’enfance à hauteur d’enfants, qui remette l’enfant au centre et offre à ces enfants une enfance comme les autres.

Mme Perrine Goulet, rapporteure. Je vous remercie pour ce propos introductif. J’espère que notre rapport alimentera également votre réflexion !

Concernant l’outre-mer, nous souhaitions l’évoquer, mais nous nous sommes heurtés à des difficultés de mobilisation des acteurs… Je partage votre constat, les problèmes y sont particulièrement importants.

La thématique de la gouvernance est aussi souvent revenue dans nos auditions : bien loin de nous l’idée de remettre en cause la place des départements, mais les acteurs s’accordent pour constater le manque d’État. Les départements souhaiteraient bénéficier d’interlocuteurs à même de coordonner les politiques. Quelle est vraiment la position de l’État ? Comment comptez-vous mettre en place une « pratique commune » État-départements sur le territoire ?

Vous avez effleuré le sujet en évoquant le cas de l’autisme et vous avez été interpellé sur 500 dossiers en souffrance. La ministre a répondu au Sénat cette semaine en soulignant le manque de greffiers. Plus globalement, les juges pour enfants sont surchargés de dossiers et la justice étouffe sous les dossiers de l’aide sociale à l’enfance. Quels moyens comptez-vous lui affecter pour assurer un suivi normal de ces dossiers ?

Il convient également de mettre les enfants au cœur du dispositif et de leur permettre d’être acteurs de leur protection. Quels moyens et quelles méthodes mettre en lien pour qu’ils puissent avoir une meilleure connaissance de leurs droits ?

Tout le monde nous a parlé de la crise des assistantes familiales qui est une réalité. Les professionnels des associations et des départements que nous avons auditionnés ont évoqué la crise de vocation des éducateurs. C’est tout l’encadrement de la protection de l’enfance qui est en difficulté ou qui va le devenir. Qu’avez-vous envisagé pour y remédier ?

Vous n’avez pas abordé la question des mineurs non accompagnés (MNA), mais vous vous doutez bien que nous allons vous interroger sur ce point car nous en avons beaucoup entendu parler. Il ne faut pas montrer ces jeunes du doigt. Les MNA ne sont pas la cause des difficultés de l’aide sociale en France, mais ils en sont un révélateur. On s’est aperçu que ces jeunes n’étaient pas gérés de la même façon d’un territoire à l’autre en matière d’évaluation et de prise en charge. À ce titre, certains départements demandent la reprise de l’évaluation par l’État. Quel est votre point de vue sur ce point ? En ce qui concerne l’évaluation, faut-il mettre en place un cursus spécifique de formation pour pouvoir bien détecter les situations de minorité ou de majorité ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Vous avez parlé d’un manque d’État. L’État est présent de jure puisque la justice a un rôle important, ce qui ne veut pas dire que la question de l’articulation entre l’État et le département ne se pose pas. Il conviendrait de se doter d’une instance de pilotage au niveau national pour mener cette politique publique. Quand une politique est décentralisée, elle est imbriquée entre des compétences de l’État et des départements, l’État étant le garant d’un certain nombre de principes, dont les droits de l’enfant. Mais je suis convaincu que les départements ont aussi ce principe en tête. De la même façon, assurer une certaine équité territoriale est, me semble-t-il, une prérogative de l’État.

Dans le cadre d’une politique décentralisée, le rôle de l’État est forcément différent : l’État sera davantage stratège, davantage garant, c’est-à-dire qu’il définit les grandes orientations et s’assure que les droits sont respectés.

La question du handicap est également une politique partagée. Il existe un outil de pilotage, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), qui met autour de la table l’État, les départements et les associations. Elle produit des référentiels, fait converger les pratiques. Ce système n’existe pas en matière de protection de l’enfance, mais je ne sais pas si c’est ce modèle qu’il faut élaborer.

Le Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) a été institué en 2016, mais on ne lui a pas donné les moyens d’assurer cette mission. Il convient donc de renforcer le copilotage entre l’État, les départements, les associations et les jeunes et de produire, sur un certain nombre d’aspects, des référentiels nationaux, car il est difficile d’admettre qu’un enfant n’est pas en danger de la même façon s’il vit à Lille ou à Marseille. Il serait peut-être pertinent de faire converger les référentiels des informations préoccupantes. En réalité, une cinquantaine de départements utilisent déjà la même grille d’évaluation qui avait été développée en Rhône-Alpes. Mais on pourrait peut-être aller plus loin. Sachez que la Haute autorité de santé (HAS), qui a fusionné avec l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM), travaille à l’élaboration de référentiels sur l’évaluation des informations préoccupantes. C’est la HAS qui fait office d’autorité aux plans sanitaire, social et médico-social, et c’est très bien qu’on s’inspire du niveau sanitaire à cet égard.

Il convient aussi d’accroître le nombre de points de contact dans les territoires. Vous avez parlé de pratiques communes. Or il n’y a pas de culture commune entre les différents professionnels, c’est-à-dire entre les travailleurs sociaux, les juges, les personnels de l’éducation nationale, ni entre les départements. En réalité, lorsqu’il y a des instances de coordination, qu’on se met autour de la table, qu’on échange les informations, qu’on croise les regards, qu’on développe des pratiques, des formations communes, les choses vont souvent beaucoup mieux. Il existe un outil intéressant, les observatoires départementaux de la protection de l’enfance (ODPE) – je vois que cela fait réagir certains d’entre vous – qui ne sont pas mis en place partout alors qu’ils devraient l’être. On peut même réfléchir à la manière de renforcer leur rôle et peut-être aussi de mieux les articuler entre eux et avec l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE). Au niveau local, ce sont des lieux où tout le monde est autour de la table, et où l’on peut réfléchir à la politique de la protection de l’enfance menée sur le territoire. On peut peut-être également imaginer d’autres points de contact entre le préfet ou le recteur.

En réalité, on se heurte à un problème de connaissance puisque les données ne remontent pas alors que cela devrait être le cas. C’est la même chose pour le handicap où les systèmes informatiques sont différents, ou encore au niveau de la justice.

En résumé, il convient d’avoir une approche un peu nationale sur un certain nombre de sujets. Par ailleurs, la qualification des personnels d’encadrement doit être la même dans une maison d’enfants à caractère social (MECS). En effet, les enfants ne peuvent pas souffrir de notre organisation administrative. Bien entendu, cela doit se faire sans remettre en cause la libre administration des collectivités locales ni revenir sur la décentralisation. Hier, la plupart des acteurs ont dit qu’il ne fallait pas de big bang, et j’en ai pris bonne note. Toutefois, il convient d’améliorer un certain nombre de choses.

J’en viens à la question de la justice. Dans la Drôme, des associations se sont mises en grève parce qu’elles n’étaient plus payées. En fait, les décisions de justice ne sont pas transmises, faute de greffiers en nombre suffisant. Comme l’a indiqué Mme la ministre de la justice, la nomination d’un nouveau juge pour enfants a permis de traiter davantage d’affaires plus rapidement. Mais le bout de la chaîne, c’est-à-dire les greffiers, n’a pas suivi. Dès le moins de janvier, Mme la ministre a pris des dispositions permettant de recourir à des vacataires pour absorber rapidement les dossiers en souffrance, et un greffier supplémentaire avait été embauché dès le mois de juin. Bref, des moyens humains ont été affectés pour résoudre les problèmes le plus rapidement possible.

Avant cette affaire, les juges du tribunal de Bobigny, relayés par la plupart des juges pour enfants dans le pays, avaient lancé il y a un an et demi un appel au secours parce qu’un certain nombre de décisions de justice, essentiellement des mesures en milieu ouvert, n’étaient pas suivies d’effet, ou en tout cas dans un délai bien trop long, ce qui n’est évidemment pas acceptable.

Lorsque j’ai pris mes fonctions, l’une des premières mesures que j’ai prise – en réalité, elle avait déjà été décidée par Mme la garde des sceaux – a été de demander à l’Inspection générale de la justice de lancer une mission sur le sujet pour évaluer la situation sur l’ensemble du territoire et apporter des réponses structurelles globales. Cette mission rendra ses premières conclusions très prochainement. On s’est aperçu qu’on disposait de très peu d’informations objectives et qu’il y avait une absence d’articulation entre le département et la justice. Il y a probablement matière à ce que les tribunaux s’organisent sensiblement différemment, en tout cas que le poste de coordinateur des juges pour enfants ait un rôle véritable – il est différent d’un territoire à l’autre. Peut-être aussi faut-il mettre en place, mais je n’ai pas encore eu ce rapport …

Mme Perrine Goulet, rapporteure. C’est normal, puisqu’il est en cours de rédaction.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Cette mission rendra ses premières conclusions très prochainement. J’ai cru comprendre qu’elle proposait de créer une plateforme qui permette aux magistrats de connaître le nombre de places disponibles, ce qui n’est pas le cas actuellement. Il y a en effet des commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) qui notifient à des parents des décisions pour une place dans un établissement sans savoir si une place est disponible. Nous attendons la remise de ce rapport.

Comme vous l’avez indiqué, il est important que les enfants connaissent leurs droits pour pouvoir y accéder. Nous formulerons des propositions pour s’assurer que tous les enfants ont connaissance de leurs droits dans les établissements et faciliter leur accès à ces droits en cas de problème. C’est un des axes sur lesquels nous travaillons.

S’agissant des éducateurs, vous avez raison des souffrances s’expriment. Nous devons faire des efforts en matière de formation, les accompagner davantage. Peut-être faut-il instaurer une obligation de formation continue, ce qui constituerait aussi un gage pour les enfants. Cela permettrait d’éviter des dérapages d’éducateurs qui font montre de violences vis-à-vis des enfants, ce qui est inadmissible dans un lieu censé les protéger. De tels agissements doivent être dénoncés et il convient d’empêcher que cela se reproduise. Bien sûr, il y aura toujours des brebis galeuses. Aussi faut-il être vigilant et prévoir des mécanismes de contrôle. Il faut également mieux accompagner les professionnels, les former probablement davantage, et s’assurer des formations qu’ils ont reçues. Il faut éviter que des gens peu expérimentés soient confrontés aux enfants dont les comportements sont les plus difficiles.

Il existe deux conventions collectives, datant de 1951 et de 1966. Par ailleurs, un groupement d’employeurs s’est constitué – jusqu’à présent, il était difficile de nouer un dialogue – et j’ai cru comprendre que des négociations pourraient être ouvertes à la rentrée prochaine. La question du statut et de la rémunération pourrait peut-être faire l’objet de discussions. Mais je ne veux pas m’avancer.

J’en viens aux mineurs non accompagnés. Tout d’abord, je rappelle qu’il y a une unicité de la protection de l’enfance. Il n’y a aucune ambiguïté : avant d’être Guinéens, Ivoiriens ou Maliens, les jeunes mineurs sont avant tout mineurs. Lors de la concertation que nous avons menée, j’ai demandé aux départements, avec lesquels j’ai eu de nombreuses discussions, d’essayer de faire en sorte que ce sujet ne paralyse pas nos réflexions et nos décisions. Pour autant, il y a évidemment une imbrication des sujets dans certains territoires. Je leur ai indiqué que j’aborderai le sujet de façon volontariste, mais aussi humblement car c’est un sujet éminemment complexe, que je serai un interlocuteur avec lequel ils pourront travailler, et que j’aurai une approche globale c’est-à-dire à la fois en amont et en aval.

On m’a beaucoup parlé de la reprise par les services de l’État de l’évaluation. Je pense que le sujet est plus global. Quand bien même l’État reprendrait l’évaluation au motif que cette question est une compétence régalienne puisqu’elle relève de la politique migratoire et non de la protection de l’enfance, le problème entre les départements et l’État ne serait pas totalement épuisé dans six mois. J’ai indiqué aux départements que tous les sujets étaient sur la table, mais que j’avais l’impression que la question était plus large. C’est pour cela que j’ai une approche globale. Il faut savoir que plus de 60 % des enfants viennent de trois pays : la Guinée, la Côte-d’Ivoire et le Mali. Faut-il tout faire avec ces pays pour éviter que des gamins de quinze ans ne se jettent sur la route et traversent la Méditerranée ? En tout cas, il faut faire preuve d’une grande humilité parce que cela fait trente ans qu’on répète qu’en matière d’immigration il faut travailler avec les pays d’origine. Nous soutenons financièrement les enfants et nous sommes en train de bâtir un guide d’évaluation nationale afin que l’évaluation soit plus harmonisée qu’aujourd’hui sur l’ensemble du territoire. Nous avons un devoir d’équité envers ces enfants-là.

Comme vous le savez, l’évaluation est soit assurée par les départements, soit déléguée par eux. J’ai assisté à un certain nombre d’évaluations. Elles se passent bien lorsque les travailleurs sociaux sont assez formés, comme c’est le cas de nombre d’entre eux. J’ai rencontré des travailleurs sociaux qui, à côté d’une formation sociale, avaient aussi une formation à différentes cultures, ce qui constitue vraiment un apport supplémentaire. Comme vous le savez, il n’y a aucune méthode scientifique d’évaluation qui permette de connaître l’âge des enfants. Les tests osseux ne garantissent pas l’âge et lorsqu’ils sont utilisés ils ne constituent qu’un élément parmi un faisceau d’indices.

Il existe un fichier qui permet d’éviter le nomadisme administratif et de protéger les enfants. Cela évite par exemple de demander à des enfants, reconnus mineurs dans un département, de prouver à nouveau qu’ils sont bien mineurs lorsqu’ils sont envoyés dans un autre département. Nous travaillons aussi sur la clé de répartition et sur l’insertion de ces jeunes après l’âge de dix-huit ans.

Dans certains départements, le conseil départemental et la préfecture ont signé une convention qui prévoit qu’un bilan soit fait sur la situation du jeune et sur son degré d’intégration l’année de ses dix-sept ans. C’est une mesure de bon sens, et c’est le point de vue que j’ai défendu lors de l’examen de la proposition de loi de Mme Brigitte Bourguignon. Anticiper permet de mieux préparer l’avenir. Il me semble utile de se mettre autour de la table pour voir où en est le jeune et évaluer son degré d’acquisition du français et d’insertion professionnelle : cela permet de construire une trajectoire. De cette manière, le jeune a moins le sentiment d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Cela permet aussi d’éviter une rupture au moment de sa majorité : si on décide de lui donner des papiers, il n’est pas obligé d’attendre trois à six mois pour les obtenir. On les lui donne le jour de ses dix-huit ans.

Il faut prêter attention aussi à ce qui se passe en aval. Certaines entreprises n’osent pas prendre ces jeunes en apprentissage, parce qu’elles ont peur qu’ils n’aient pas leurs papiers à dix-huit ans et qu’ils soient obligés de partir. Nous réfléchissons à la manière de lever ce frein.

D’aucuns proposent de confier l’évaluation à l’État, mais qui est l’État ? Ce sont nos services, mais lesquels ? Ceux du ministère des solidarités et de la santé ? Ceux du ministère de l’intérieur ? Est-ce qu’on délègue aux associations, comme le font les départements ? Est-ce qu’on délègue à une association nationale ou à des associations locales ? Il faut bien réfléchir à toutes ces questions, car elles auront beaucoup d’implications opérationnelles.

Mme Florence Provendier. Monsieur le secrétaire d’État, je me réjouis que vous vouliez mettre l’intérêt supérieur de l’enfant et ses besoins au cœur de notre politique. La France, aujourd’hui, ne respecte pas tous les articles de la Convention internationale des droits de l’enfant, dont on célébrera le trentième anniversaire le 20 novembre prochain, mais nous constatons des progrès sur plusieurs points – de mémoire, les articles 3, 6 et 23. Ces indicateurs partagés et admis mettent au cœur du dispositif les besoins fondamentaux de l’enfant, que sont notamment la sécurité et l’éducation.

Je me réjouis aussi du pacte pour la protection de l’enfance que vous nous avez présenté. Vous y mettez l’accent sur la prévention, mais aussi sur la lutte contre les violences faites aux enfants, qui en constitue l’axe 2. Parmi les objectifs du millénaire pour le développement, l’objectif 16.2 vise à combattre toutes les formes de violence faites aux enfants. Dans notre pays, un enfant sur dix est victime de violences : c’est insupportable, et cela représente un coût épouvantable pour la société.

J’en viens à notre mission d’information et j’aimerais partager avec vous les six constats les plus marquants que j’ai faits au cours de nos auditions et de nos visites.

Le premier constat, et ce n’est une surprise pour personne, c’est la disparité des politiques départementales : les enfants n’ont pas les mêmes droits en fonction de l’endroit où ils sont pris en charge. Le deuxième, c’est la difficulté qu’il y a à recruter et à former des éducateurs et des professionnels du monde de l’enfance. Troisièmement, les enfants victimes de troubles posent des problèmes spécifiques, puisque nombre d’entre eux se retrouvent à l’ASE, non pas parce que leur environnement familial est instable, mais en raison de ces troubles. Un quatrième enjeu colossal est celui des ruptures de parcours de vie, qui privent l’enfant de ses repères et l’empêchent de se projeter. Or on sait qu’il est difficile de grandir quand on ne peut pas se projeter dans l’avenir. Cinquièmement, les sorties sèches de l’ASE représentent un danger évident, et cette question est en cours de traitement. Enfin, il convient de définir une politique adaptée pour les mineurs non accompagnés. Je sais que ce sujet est extrêmement délicat, mais on s’aperçoit que lorsque l’aide sociale à l’enfance prend en charge les MNA, cela crée d’autres déséquilibres vis-à-vis des enfants qui ont grandi sur notre territoire.

Monsieur le secrétaire d’État, j’en viens à mes deux questions. Comment entendez-vous, sur la base des consultations que vous avez lancées, des rapports qui vous ont été remis et des projets que vous développez au sein de votre ministère, clarifier et garantir les conditions d’un pilotage national de la protection de l’enfance ? Comment envisagez-vous, le cas échéant, de mettre en place concrètement des outils d’évaluation, afin de garantir à l’enfant le respect de ses droits ?

Mme Sandrine Mörch. J’aimerais revenir sur les annonces qui ont été faites hier par Mme Agnès Buzyn. Quelle forme va prendre l’accompagnement de la parentalité ? Cela fait partie de la prévention et c’est une chose que nous défendons mordicus, car nous savons que beaucoup de solutions en découleront. En matière de prévention, un autre élément important est la refonte des missions de la protection maternelle et infantile (PMI). Concrètement, l’idée est qu’elle ne se concentre pas seulement sur les agréments, mais qu’elle travaille profondément sur la petite enfance. Pouvez-vous nous donner des éléments précis à ce sujet ?

Vous avez dit que vous ne vouliez pas de big-bang mais, concrètement, comment va-t-on s’y prendre pour réaliser une chose qui, même si elle paraît assez basique, n’a jamais été faite jusqu’à présent ? Je veux parler du fait de mettre tous les acteurs autour d’une table. Concrètement, quel outil imaginez-vous pour arriver à la définition d’une pratique commune à l’État et aux départements, que tout le monde appelle de ses vœux ? Au cours de nos travaux, nous avons constaté que chacun restait enfermé dans sa culture sociologique et professionnelle. Ce n’est pourtant pas la mer à boire… Il faut que nous soyons capables de donner un coup de poing sur la table pour faire avancer les choses ! A Toulouse, après les assassinats par Mohammed Merah de jeunes enfants devant une école juive, tous les acteurs se sont mis autour de la table à la préfecture. On a enfin vu un éducateur parler à un policier, qui a parlé à un enseignant, qui a parlé à un psychiatre, le tout sous l’égide de la préfecture. C’est la peur qui nous a poussés à agir. Ne peut-on pas être aussi offensif et vindicatif pour l’enfance ? Ce n’est pas une question de moyens, mais de culture et de postures. Voilà un domaine où nous pouvons nous montrer plus féroces !

J’aimerais aussi évoquer la question financière. On ne parle jamais de gros sous, mais si les gens n’ont plus envie d’être éducateurs, si les assistantes sociales sont au bord du burn-out, c’est parce que les éducateurs de l’ASE doivent s’occuper de quarante enfants, alors qu’un parent serait incapable d’habiller ne serait-ce que cinq enfants le matin, avant de les emmener à l’école avec le sourire, comme dans les publicités. Tous les départements ont signalé qu’ils avaient des difficultés à recruter des éducateurs formés, et les jeunes ne sont pas attirés par ces professions. Cela se comprend quand on connaît leur salaire. En entrée de carrière, ils gagnent 1 300 euros, dans la Nièvre comme en Seine-Saint-Denis, où le coût de la vie est trois fois plus élevé, et ils terminent leur carrière à 2 600 euros. Et nous, nous ne parlons pas d’argent ! La voilà, la raison du désamour pour ces métiers. Quelles actions allez-vous entreprendre pour recréer de l’attractivité ? Je ne parle pas de formation, mais d’argent. Or personne n’a abordé cette question hier, quand il a été question de l’attractivité de ces métiers.

J’aime votre manière de poser les questions, monsieur le secrétaire d’État, parce que vous avez souvent une approche philosophique des choses. Vous avez justement fait remarquer que l’engagement ne paye pas : les métiers engagés sont généralement mal payés. C’est vrai aussi des aides-soignantes, qui sont les troisièmes filles de la maison, bien plus importantes que les enfants eux-mêmes, et qui sont toujours sous-payées. Vous avez parlé des médecins libéraux, que l’on va attirer par l’argent. Pourquoi ne fait-on pas la même chose pour les assistantes sociales et les éducateurs ? Il faut mettre les pieds dans le plat.

L’articulation entre l’ASE, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et l’agence régionale de santé (ARS) est primordiale : toutes les personnes que nous avons auditionnées nous l’ont dit. Mme Nicole Belloubet, à qui nous en avons parlé directement, est tout à fait d’accord là-dessus. Comment agir pour que cela fonctionne enfin et que les gens se parlent ?

Enfin, pouvez-vous nous dire qui travaille sur la question des mineurs non accompagnés et comment nous pouvons les aider ? À Toulouse, certains employeurs forment des mineurs non accompagnés, parce que ce sont les seuls jeunes qui ont envie de travailler : leur demande est très forte. La question de l’accès à l’école est elle aussi essentielle : les jeunes qui sont brutalement arrachés de l’école pendant six mois ou un an risquent de tomber dans la délinquance. À Toulouse, nous avons le dispositif départemental d’accueil, d’évaluation et d’orientation des mineurs isolés (DDAEOMI). Il existe aussi l’Association nationale de recherche et d’action solidaire (ANRAS), que vous allez rencontrer. Comment peut-on vous alimenter sur cette question, sur laquelle nous avons déjà beaucoup de réponses, et qui pourrait répondre à votre questionnement plus large sur ce que sont l’enfance et l’atout de l’enfance.

Mme Bénédicte Pételle. Puisque mes collègues ont déjà abordé de très nombreux sujets, je me contenterai de vous poser quelques questions précises au sujet des éducateurs. En Moselle, une campagne a été lancée, qui a bien fonctionné, pour pallier le manque d’assistants familiaux. Pensez-vous que le lancement d’une campagne nationale serait pertinent ? Les éducateurs que j’ai rencontrés m’ont fait part de leurs difficultés matérielles, notamment de la difficulté qu’ils ont à se loger dans un département comme les Hauts-de-Seine.

Enfin, je voudrais vous alerter sur un point. Les mineurs non accompagnés sont parfois accompagnés par l’ASE. Une rupture se produit vers dix-huit ou dix-neuf ans, parce que leurs papiers ne sont plus en règle. Ils doivent s’inscrire sur une plateforme pour les obtenir à la préfecture, mais il arrive souvent que la plateforme ne propose pas de rendez-vous.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Ce débat est passionnant et je regrette de devoir répondre à vos questions trop rapidement.

Vous avez raison de rappeler que nous fêterons en novembre les trente ans de la Convention internationale des droits de l’enfant. Nous organiserons un certain nombre d’actions autour de cet événement et je souhaite que le temps que nous consacrerons à sa préparation soit l’occasion d’aborder des sujets importants, sur lesquels la France est encore un peu en retrait. Je suis d’accord avec vos six remarques et je vais, si vous le permettez, en venir à vos questions.

S’agissant du pilotage national, vous m’avez demandé ce que j’envisageais concrètement. Un certain nombre de recommandations m’ont été faites. Il existe deux instances essentielles aujourd’hui : le Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) et le Groupement d’intérêt public Enfance en danger (GIPED), qui gère le 119 et l’ONPE. Peut-être serait-il pertinent, pour gagner en consistance et en force, de rapprocher ces deux instances, qui travaillent déjà beaucoup ensemble. Je préfère, avant de poser la question de son intérêt financier, poser celle du sens qu’aurait un tel rapprochement. Je crois que le groupe de travail qui s’est occupé de la question du pilotage a étudié cette hypothèse. Pour ma part, je pense qu’il faut créer une instance réunissant l’ensemble des parties prenantes – l’État, les départements et les associations – à qui l’on conférerait un rôle de pilotage et d’harmonisation des pratiques. Cela renvoie à la question de l’équité territoriale, que vous avez également évoquée. Sur un certain nombre de sujets, il faudrait amener les territoires à travailler de la même manière, selon une méthode qui pourrait être élaborée collectivement par l’État, les départements et les acteurs de terrain.

Je ne veux pas trop insister sur ce parallèle, parce que je ne sais pas s’il est pertinent, mais c’est un peu ce que fait la CNSA dans le domaine du handicap et de la dépendance. Celle-ci utilise certains outils dont on pourrait se saisir, comme les contrats d’objectifs et de moyens : on définit des objectifs, et des financements pour les atteindre. Sauf erreur, c’est ainsi que les choses se passent entre la CNSA et les MDPH. Cela pourrait se faire entre un département et les associations qui sont sur son territoire. Voilà des outils de pilotage que nous pourrions utiliser.

Par ailleurs, dans le cadre de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté, nous nous sommes dotés d’un nouvel outil dans la relation entre l’État et les collectivités locales : la contractualisation. Celle-ci prévoit qu’en dehors du pacte de Cahors, on fixe un certain nombre de critères, et que les collectivités qui les respectent obtiennent des financements supplémentaires. La contractualisation permettrait, elle aussi, de faire converger les pratiques. J’y reviendrai, car c’est un outil dont on envisage aussi l’utilisation pour la PMI, et qui permettrait d’atteindre des objectifs de santé publique que l’on aurait fixés par avance.

Vous m’avez également interrogé sur les outils d’évaluation et de respect des droits. La question du respect des droits est évidemment centrale dans le genre de relations que l’on doit instaurer. Il faut veiller à ce que les enfants soient mieux informés sur leurs propres droits et créer des mécanismes d’accès aux droits, notamment pour ceux qui sont en institution et dont les droits pourraient être menacés.

Les questions relatives à la parentalité et à la PMI sont également fondamentales. C’est le volet « prévention » de la politique que je mène. En France, nous sommes très bons sur le volet curatif, mais un peu moins sur le volet relatif à la prévention. Or vous savez que la prévention est au cœur de la politique d’Agnès Buzyn sur les questions de santé. Vous avez rappelé à juste titre, madame Provendier, que les violences subies par un enfant sont un facteur de risque dans bien des domaines : reproduction de la violence, obésité, risques cardiovasculaires, comportements addictifs, etc. Le coût social de ces violences est phénoménal. Il faut évidemment lutter contre ces violences pour protéger les enfants, mais aussi parce que c’est un investissement social.

Mme Sandrine Mörch. Il faudrait le chiffrer !

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Vous avez tout à fait raison ! En tant que parlementaires, vous avez une mission d’évaluation des politiques publiques : je sais que vous y êtes très attachés et je crois que c’est une question sur laquelle vous pouvez effectivement vous pencher.

Mme Florence Provendier. On pourrait travailler avec l’UNICEF.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Les associations peuvent effectivement nous aider. Réussir à objectiver la prévention et l’investissement social serait vraiment une bonne chose. Je ne peux donc que vous encourager à le faire et je serai ravi, avec les moyens dont je dispose, de vous y aider.

Il faut faire de la prévention et nous travaillons actuellement autour de l’idée des « mille premiers jours » de la vie. Il n’y a pas encore de consensus sur ce que sont ces mille premiers jours mais, à ce stade, je considère qu’il s’agit de la période qui va du quatrième mois de grossesse aux deux ans de l’enfant. Les neurosciences ont prouvé que c’est au cours de ces mille premiers jours que tout se joue : c’est là que se jouent la santé et le développement de l’enfant, et c’est là que peuvent se creuser les inégalités sociales. Boris Cyrulnik dit que les inégalités sociales sont dans le ventre de la mère – et il ne s’agit pas de culpabiliser cette dernière. Tout ne se joue certes pas là, mais beaucoup de choses se jouent là.

Je vous rappelle que le projet politique du Président de la République et de la majorité, à laquelle vous appartenez toutes trois, mesdames les députées, est de lutter contre les inégalités de destin, or beaucoup de choses se jouent au début de l’existence. De nombreuses choses se jouent aussi à l’école : c’est pourquoi M. Jean-Michel Blanquer a introduit le dédoublement des classes.

Nous voulons surinvestir sur les mille premiers jours de l’enfant et nous sommes en train de réfléchir à un parcours. Je me suis rendu en Finlande il y a peu, j’ai observé leur système et je souhaite m’en inspirer. Au quatrième mois de grossesse, les parents appellent l’équivalent de la PMI locale et ils entrent alors dans un parcours qui, jusqu’aux deux ans de l’enfant, les amène à rencontrer quinze professionnels différents. Au cours de ces rendez-vous, auxquels le père assiste parfois, il est question de la santé de l’enfant, mais pas seulement : il est également question de son développement, des questions éducatives et des relations familiales. On organise aussi des visites à domicile, parce qu’on sait que le développement de l’enfant dépend beaucoup de l’environnement dans lequel il grandit. Nous voulons nous inspirer de ce modèle.

Le Président de la République souhaite que ce projet repose sur des bases scientifiques solides, car cela provoquera un véritable changement de société. Nous réfléchissons à l’idée de créer un comité scientifique, réunissant des pédopsychiatres, des neurologues et des praticiens de terrain français et étrangers pour disposer d’un vrai soubassement scientifique et construire un vrai parcours pour les parents.

Ce projet fera intervenir de nombreux acteurs en contact avec la petite enfance : la PMI en fera partie, au côté des libéraux et des CAF… La PMI est un bel outil, même si elle rencontre des difficultés dans certains territoires et si elle est parfois remise en cause. L’une de vos collègues, Mme Michèle Peyron, nous a remis un rapport sur la PMI il y a une dizaine de jours. Je vous rappelle qu’il s’agit d’une compétence départementale. L’État a l’intention d’accompagner les départements pour faire de la PMI un acteur important de cette politique de prévention. Il est par exemple envisagé de dégager du temps médical par un système de délégation : certaines tâches pourraient être déléguées par les médecins aux infirmières puéricultrices. C’est ce qui vous sera proposé dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale dans quelques mois.

Mme Michèle Peyron suggère aussi de procéder au transfert des agréments : nous devons expertiser cette proposition et nous allons demander à l’Inspection générale des affaires sociales de nous dire dans quel cadre et selon quelles modalités cela pourrait se faire. Pour l’instant, nous n’avons pas de certitude, mais le fait est que, dans certains départements, les médecins consacrent 30 % à 40 % de leur temps à ces questions. Il faudrait également améliorer leur articulation sur le territoire avec les autres professionnels de santé, dans l’esprit des communautés professionnelles territoriales de santé, dont vous avez débattu lors de l’examen du projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé.

Vous m’avez interrogé sur les salaires : ce n’est pas moi, ce n’est pas l’État qui fixe les salaires que les associations ou les départements versent à leurs travailleurs sociaux.

Mme Bénédicte Pételle. Il y a la convention de 1966.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. J’ai effectivement évoqué la convention de 1966, et des négociations semblent devoir s’ouvrir à la rentrée.

Vous avez raison de dire qu’il faut mieux articuler l’ASE avec la PJJ et l’ARS. En Gironde, par exemple, un système de conventionnement a été établi entre les trois, qui fonctionne plutôt bien.

Vous m’avez demandé qui s’occupe des mineurs non accompagnés. C’est plutôt mon rôle, en lien avec d’autres ministères, notamment ceux de l’intérieur et des affaires étrangères, mais j’ai travaillé aussi avec la ministre du travail sur des questions d’insertion professionnelle. Je n’ai rien contre l’idée de lancer une campagne en faveur du recrutement d’assistants familiaux. En tout cas, il faut que nous ayons une réflexion sur le statut des assistants familiaux, afin de le rendre plus attractif. C’est un métier trop peu connu, et mal connu quand il l’est. Il s’agit d’un métier sublime, mais difficile, et c’est pourquoi il faut accompagner les assistants familiaux. Lorsqu’ils font face à une crise, on pourrait imaginer que des équipes mobiles en pédopsychiatrie puissent intervenir pour les soulager et les conseiller.

S’agissant, enfin, des difficultés que rencontrent les mineurs non accompagnés dans certaines préfectures, je pense qu’une harmonisation des pratiques serait une bonne chose, comme en matière d’évaluation. Je ne veux pas empiéter sur les compétences du ministère de l’intérieur, mais ce que j’ai constaté, c’est que lorsqu’un département signe une convention avec la préfecture, les choses se passent de façon plutôt fluide. C’est peut-être une solution dont il faut envisager la généralisation. Mais je répète que je ne veux pas aller au-delà de mes compétences.

Mme Bénédicte Pételle. Vous semblerait-il pertinent que nous rendions visite aux préfets ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Je ne veux pas vous dire comment vous devez exercer votre rôle de parlementaires, mais je ne peux que vous conseiller d’aller voir le préfet autant que nécessaire, sur ce sujet et sur d’autres. Échanger avec votre préfet sur un certain nombre de politiques publiques de l’État me semble faire partie de votre rôle.

M. le président Alain Ramadier. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, pour votre écoute et votre ouverture.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Je suis tout à fait disposé à prolonger ces échanges avec vous.

La réunion s’achève à douze heures trente.


Membres présents ou excusés

Mission d’information de la Conférence des présidents sur l’aide sociale à l’enfance

Réunion du jeudi 27 juin 2019 à 11 heures

Présents. – Mme Perrine Goulet, Mme Sandrine Mörch, Mme Bénédicte Pételle, Mme Florence Provendier, M. Alain Ramadier.

Excusés. – Mme Delphine Bagarry, M. Paul Christophe, Mme Jeanine Dubié, M. Franck Marlin.

Retrouvez la vidéo de la mission d’information du 27 juin 2019 ici.