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Le Droit fuit, les associations tiennent

Publié le : vendredi 3 juin 2016

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Source : https://blogs.mediapart.fr

Auteur : Juliette Bouchery

« « Il se passe des choses depuis 15 jours que je n’ai jamais vues en 12 ans. » Les associations tentent de rappeler le Droit mais le Droit est devenu un terrain mouvant. »

Des représentants du DAL, de la Cimade, Un Toit pour tous, RESF, et aussi des enseignants chargés de classes comptant de petits réfugiés menacés d’expulsion, se sont retrouvés l’autre soir pour réfléchir en premier lieu au sort de quatre familles qui, ayant perdu leur place au CADA, se retrouvent à la rue sans proposition de relogement. Des enfants scolarisés, certains depuis trois ans et demie, ce qui était pourtant un des critères de la circulaire de 2012 pour l’obtention d’un titre de séjour, voire du droit d’asile.

Au cours de cette réunion, on a beaucoup évoqué la mauvaise foi des autorités qui font pression sur les réfugiés pour qu’ils ne profitent pas de leur droits. Pour ne pas se faire mal voir, pour ne pas plomber leurs derniers recours. Le directeur de l’association chargée par la préfecture de gérer l’accueil sortant son portable en disant à une famille que s’ils ne quittaient pas le CADA de leur propre gré, il appelait la police. Alors qu’il n’a pas le droit de le faire – et ensuite, il est inscrit au dossier que la famille a quitté volontairement le CADA.

Pour envisager un relogement, il faut que la famille puisse prouver qu’elle est dans la détresse. Or si une asso s’occupe de cette famille, elle n’est pas dans la détresse. Donc pas de relogement.

La France est en train de vider ses CADA en contournant la loi qui dit qu’on ne peut pas expulser sans décision de justice. Avant, le tribunal d’instance statuait, maintenant, c’est l’OFII, donc le tribunal administratif. Si les réfugiés quittent le CADA « volontairement », il n’y a pas d’audience, donc leur cause n’est pas entendue. Le premier OQTF laisse (normalement) un certain délai de répit ; s’ils osent rester au CADA, refuser de partir, l’obligation leur est signifiée par un huissier et la question passe au tribunal administratif ; là, un avocat peut plaider leur cause. Mais face à la menace d’un OQTF « exécutoire »…

L’autre soir, il a beaucoup été question de « référés mesure utile » et de « référés liberté ». Du Droit, que la puissance publique piétine allègrement, et quand une association fait ce que l’État ne fait pas, cela permet d’autant mieux à l’État de se décharger de ses obligations. Et l’objectif de ces gens courageux et épuisés, c’est de rappeler, encore et toujours, le Droit.

« Les enfants ne sont jamais en situation irrégulière ; ce sont leurs parents qui sont sans papiers ». Le Conseil d’État a condamné le Conseil général pour non assistance. Il existe des structures responsables des enfants sur tout le territoire, qu’ils soient mineurs isolés ou avec leurs familles. Mais dans les faits…

La France est en train de vider ses CADA et d’expulser du territoire des gens déjà partiellement intégrés, des enfants scolarisés, parlant français, pour faire de la place aux « bons » réfugiés, les nouveaux, ceux qui sont chassés par DAECH. Parce que, comprenez-vous, l’été arrive, et les réfugiés actuellement hébergés dans les auberges de jeunesse ou centres de vacances doivent laisser la place aux vacanciers.

« En 12 ans, c’est la première fois que je vois quelqu’un qui a un titre de séjour expulsé du CADA. »

Et le préfet refuse l’accès à tout hébergement d’urgence aux familles expulsées du CADA, donc les familles déboutées sont à la rue. Il n’y a plus d’hébergement d’urgence pour les femmes dans la ville voisine depuis fin avril. Mais bon, on annonce une augmentation de places de CADA en 2016-17 (la promesse sera-t-elle tenue ?)

On passe aux actions concrètes à mener. Un communiqué sera fait et diffusés dans les écoles, auprès des parents d’élèves, dans les journaux ; un pique-nique organisé devant la sous-préfecture. Un rendez-vous demandé au Préfet. On va organiser un campement, où des volontaires desdits RESF, DAL, la Cimade, Un Toit pour tous, iront dormir solidairement sous la toile près des réfugiés, dans un endroit bien visible ; habituellement, cela déclenche assez vite une procédure de relogement. Attention aux rats, dès qu’il y a de la nourriture, ils rappliquent. Un Cercle du silence, aussi, devant la FNAC, pour sensibiliser les passants. On a toujours demandé l’application de la loi, aujourd’hui il est peut-être temps de dénoncer des procédures contraires à la Convention de Genève. On va demander qu’on accorde des papiers aux réfugiés, demander la suppression de la distinction entre migrants économiques et politiques, dénoncer les dysfonctionnements administratifs des services débordés, sans moyens, les dossiers perdus ou mal traités, tout en affirmant la solidarité avec les fonctionnaires qui font de leur mieux, et aussi la situation profondément perverse dans laquelle on les met, un jour assistant(e) social(e), le lendemain flic. (Les « merci » discrets de ces assistant(e)s social(e)s à ceux qui dénoncent cet état de fait !)

Il faut aussi souligner l’arnaque intellectuelle qu’on inflige aux enfants dans ces classes qui accueillent, puis rejettent un(e) jeune réfugié(e). On leur rebat les oreilles des Valeurs de la République, les Droits de l’homme, du vivre-ensemble et du respect mutuel… puis on expulse. On n’informe pas, ou peu, en fonction des établissements ; certains directeurs/trices invoquent un « devoir de réserve » auxquels les enseignants n’ont, en fait, aucune obligation de se plier. Tout cela est faux-cul au possible.

Voilà ce que nous avons fait, nous. Nous sommes partis d’un collectif, ou plutôt de deux groupes de deux communes voisines qui se sont rejoints. Une maison a été prêtée gratuitement par une communauté de sœurs (qui se fichaient royalement de savoir si les personnes accueillies seraient chrétiennes ou musulmanes). Nous avons meublé la maison (les offices HLM stockent des quantités de meubles qui ne sont jamais réclamés après des décès, par exemple). En lien avec l’association chargée par la préfecture de gérer l’accueil, nous avons mis la maison à disposition ; après un délai assez irritant, quand on sait combien de migrants sont à la rue, douze personne sont arrivées (la maison était grande). Uniquement des hommes jeunes, donc la commune a eu peur (il y avait eu Cologne). La mairie, après quelques… hésitations, s’est ralliée, a organisé des réunions publiques pour que tous puissent dire leurs inquiétudes, leur rejets ou leur accord – une initiative exemplaire. Le curé (qui avait, lui, nettement fait la distinction entre réfugiés chrétiens et musulmans), a fini par appeler en chaire aux dons. Qui ont été déposé en mairie et ont été très, très généreux. Nous nous étions organisés pour nous former, tant bien que mal, à l’enseignement du FLE (français langue étrangère). Nous avons organisé des cours, les réfugiés ont fait des progrès.

Nous avons senti tout au long que nos initiatives dérangeaient un peu, parfois même beaucoup. Les amis que nous avions accueillis sont maintenant relogés dans des communes voisines. On leur avait auparavant demandé de rallier des cours de FLE « officiels ». Mais attention, on demande des bénévoles ! Mais uniquement des bénévoles rattachés et liés par la charte des organismes officiels.

À la réunion de l’autre soir, les courageux et fatigués militants de la Cimade, du DAL, RESF, Un Toit pour tous, se désespéraient de ne pas rencontrer davantage de mobilisation citoyenne. Pourtant, les citoyens se sentent concernés, sont prêts à se mobiliser… la preuve. Ce que nous avons fait peut être dupliqué à l’infini (attention seulement à toujours être en lien avec des organismes qui peuvent encadrer la procédure administrative de demande d’asile, ça ne s’improvise pas et il ne faut pas risquer de saborder le dossier d’un réfugié). Il y a effectivement le risque de voir les pouvoirs publics se défausser de leurs obligations si les assos prennent leur place… mais ils se défaussent déjà et les réfugiés souffrent (à ce sujet, la parole atroce d’une responsable qui trouvait que nous les traitions trop bien : « mais vous allez les habituer ! »). Le maire de la Grande-Synthe en a fait l’expérience : quand on explique aux gens, le rejet s’atténue, les gens se retroussent les manches. Entre décembre et mai, les visages des amis que nous avons accueillis ne portaient bientôt plus à commentaire dans nos rues.

Dans l’époque profondément inquiétante que nous vivons, une constante : ceux qui n’ont pas de pouvoir, TOUS ceux qui n’ont pas de pouvoir, se retrouvent à la même enseigne. Ce ne sont pas les réfugiés qui nous mettent en danger mais ceux, tout là-haut, qui accaparent les richesses et ruinent l’économie qui les a si bien servis. »