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Cour Administrative d’Appel de Lyon, 2ème et 5ème chambres réunies, 11 octobre 2016, N°15LY00725 - Article L313-15 CESEDA : En rejetant la demande de titre de séjour au motif que la MIE n’était pas isolée en RDC, en se fondant sur ce seul motif et sans avoir procédé à un examen global de la situation le préfet commet une erreur de droit

Publié le : vendredi 9 décembre 2016

Date : 11 octobre 2016

Le juge effectue une hiérarchisation entre les critères de délivrance du titre de séjour « salarié » ou « travailleur temporaire ». A ce titre, dans le cadre de l’examen d’une demande de titre de séjour, le préfet se doit de vérifier dans un premier temps que l’étranger est dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire, que sa présence en France ne constitue pas une menace de l’ordre public, qu’il a été confié à l’aide sociale à l’enfance entre l’âge de seize et dix-huit ans et qu’il justifie d’au moins six mois de formation qualifiante. Une fois l’examen de ces conditions effectué, dans un second temps, le préfet, dans le cadre de son large pouvoir d’appréciation, prend en compte de façon globale la situation de l’intéressé au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d’origine et de l’avis de la structure d’accueil sur l’insertion de cet étranger dans la société française.

« Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme T.S. a demandé au tribunal administratif de Lyon d’annuler l’arrêté en date du
24 avril 2014 par lequel le préfet du Rhône a rejeté sa demande de délivrance d’un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours.

Par un jugement n°1406497, en date du 25 novembre 2014, le tribunal administratif
de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 27 février 2015, Mme T.S., représentée par
Me Pochard demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 25 novembre 2014 ;

2°) d’annuler l’arrêté susmentionné pour excès de pouvoir ;

3°) d’enjoindre au préfet du Rhône à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour
dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l’arrêt à intervenir, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le délai d’un mois et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 200 euros au profit de son conseil,
en application des dispositions combinées de l’article L. 761-1 du code de justice
administrative et de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée.

Elle soutient que :

S’agissant de la régularité du jugement :

– celui-ci est insuffisamment motivé en ce qu’il ne répond pas aux moyens tirés de
l’insuffisante motivation de la décision et du défaut d’examen réel et sérieux en l’absence de mention de son courrier du 13 mars 2014, ni au moyen tiré du respect des critères de l’article L. 313-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ou à la circonstance qu’elle n’avait plus de contact avec sa famille avant même son départ de RDC ; que le jugement ne répond pas non plus au moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation soulevé à l’encontre de l’obligation de quitter le territoire français ;

S’agissant du refus de délivrance de titre de séjour :

– la décision de refus de séjour est insuffisamment motivée ;
– elle est entachée d’un défaut d’examen réel de sa situation, notamment s’agissant
de l’application des dispositions de l’article L. 313-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et de la prise en compte de sa scolarisation ;

– le préfet du Rhône a commis une erreur de droit en se fondant sur sa situation
familiale théorique dans son pays alors même qu’il aurait dû examiner sa situation sur le fondement de l’ensemble des critères de l’article L. 313-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, notamment au regard de ses résultats scolaires ; la nature de ses liens familiaux n’a pas été examinée ;

– la décision est également entachée d’une erreur manifeste d’appréciation dans
l’application des dispositions de l’article L. 313-15 du code de l’entrée et du séjour des
étrangers et du droit d’asile ;

– cette décision méconnaît l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales et est entachée d’une erreur manifeste dans l’appréciation de ses conséquences sur sa situation perso
nnelle ;

S’agissant de l’obligation de quitter le territoire français :

– elle est illégale du fait de l’illégalité du refus de titre de séjour ;
– elle est entachée d’incompétence négative et d’un défaut d’examen particulier ;
– elle méconnaît l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales ;
– elle est entachée d’erreur manifeste d’appréciation ;
– elle méconnait l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne ;

S’agissant du délai de départ volontaire :

– le délai de départ volontaire accordé est manifestement inapproprié compte tenu
des circonstances de l’espèce ; sa poursuite de scolarité était de nature à justifier la
prolongation du délai de départ volontaire accordé ;
– à titre infiniment subsidiaire, ce délai est entaché d’une erreur manifeste
d’appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

S’agissant de la décision fixant le pays de renvoi :

– elle est insuffisamment motivée au regard de l’article 1er et 3 de la loi du
10 juillet 1979 et de l’article L. 513-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
– elle est entachée d’un défaut d’examen réel de sa situation ;
– elle ne prend pas en compte sa situation personnelle et familiale et la circonstance
qu’elle a dû quitter la République Démocratique du Congo alors qu’elle était isolée et
mineure ;
– à titre infiniment subsidiaire, elle méconnaît l’article 8 de la convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et est entachée d’erreur manifeste d’appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par une ordonnance en date du 1er décembre 2015 la clôture d’instruction a été fixée
au 22 décembre 2015, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 décembre 2015, le préfet du Rhône
conclut au rejet de la requête.

Le préfet soutient que les moyens soulevés par Mme T.S. ne sont pas fondés.
Mme T.S. a été admise au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale par une décision
du 20 janvier 2015.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
– la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
– le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Terrade, premier conseiller,
– les conclusions de M. Besse, rapporteur public,
– et les observations de Me Pochard, représentant Mme T.S..

Une note en délibéré présentée par Mme T.S. a été enregistrée le 26 septembre 2016.

1. Considérant que Mme T.S., ressortissante congolaise née le 18
décembre 1995, est entrée irrégulièrement en France à la date déclarée du 21 juillet 2012 alors qu’elle était encore mineure ; qu’elle a été confiée, à l’âge de seize ans et sept mois et jusqu’à sa majorité à l’aide sociale à l’enfance du conseil général du Rhône ; qu’inscrite au lycée Chaplin-Becquerel au titre de l’année scolaire 2012-2013, elle a bénéficié d’une action de remobilisation au sein de la mission générale d’insertion puis elle a conclu, avec le département du Rhône, un contrat jeune pour suivre une formation en vue de l’obtention d’un CAP « maintenance et hygiène des locaux » au Lycée professionnel Hélène Boucher de Lyon au titre de l’année scolaire 2013-2014 ; que, le 19 décembre 2013, elle a sollicité, par l’intermédiaire du conseil général du Rhône et sur le fondement des dispositions de l’article L. 313-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la délivrance d’un titre de séjour ; que, par décision du 24 avril 2014, le préfet du Rhône a rejeté sa demande en assortissant son refus d’admission au séjour d’une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours ; que, par jugement du 25 novembre 2014, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de Mme T.S. tendant à l’annulation de ces décisions ; que, par la présente requête, Mme T.S. relève appel de ce jugement dont elle demande l’annulation ;

Sur la décision de refus de délivrance d’un titre de séjour :

2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 313-15 du code de l’entrée et du
séjour des étrangers et du droit d’asile : « A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire prévue au 1o
de l’article L. 313-10 portant la mention "salarié" ou la mention "travailleur temporaire" peut être délivrée, dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l’étranger qui a été confié à l’aide sociale à l’enfance entre l’âge de seize ans et l’âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d’origine et de l’avis de la structure d’accueil sur l’insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l’article L. 311-7 n’est pas exigé. » ;

3. Considérant que, lorsqu’il examine une demande de titre de séjour portant la mention « salarié » ou « travailleur temporaire », présentée sur le fondement
de ces dispositions dans le cadre de l’admission exceptionnelle au séjour, le préfet vérifie tout d’abord que l’étranger est dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l’ordre public, qu’il a été confié à l’aide sociale à l’enfance entre l’âge de seize ans et dix-huit ans et qu’il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle ; que, disposant d’un large pouvoir d’appréciation, il doit ensuite prendre en compte la situation de l’intéressé appréciée de façon globale au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d’origine et de l’avis de la structure d’accueil sur l’insertion de cet étranger dans la société française ; qu’il appartient seulement au juge administratif, saisi d’un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n’a pas commis d’erreur manifeste dans l’appréciation qu’il a portée ;

4. Considérant que, pour refuser de délivrer un titre de séjour à Mme T.S., sur le
fondement des dispositions citées au point 2, le préfet du Rhône, après avoir relevé que l’intéressée avait été confiée à l’aide sociale à l’enfance à l’âge de seize ans et sept mois, a rejeté sa demande au motif qu’elle n’était pas isolée en République démocratique du Congo où résident son enfant qui serait né en 2010, ses parents, ses deux soeurs et sa tante ; qu’il ressort des pièces du dossier qu’en se fondant sur ce seul motif, sans avoir procédé à un examen global de la situation de Mme T.S. au regard du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d’origine et de l’avis de la structure d’accueil sur son insertion dans la société française, le préfet a commis une erreur de droit ; que Mme T.S. est par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de sa requête, fondée à demander l’annulation de la décision du 24 avril 2014 par laquelle le préfet du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, ainsi que, par voie de conséquence, des décisions du même jour par lesquelles le préfet l’a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;

5. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme T.S. est fondée à soutenir
que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande dirigée contre ces décisions ;

Sur les conclusions à fin d’injonction :

6. Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public (…) prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution. » ; qu’aux termes de l’article L. 911-2 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public (…) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette décision doit intervenir dans un délai déterminé. » ; qu’aux termes de l’article L. 512-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Si l’obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 513-4, L. 551-1, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 et l’étranger est muni d’une autorisation provisoire de séjour de séjour jusqu’à ce que l’autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. (…) » ;

7. Considérant qu’eu égard aux motifs qui la fondent, l’exécution de l’annulation
prononcée n’implique pas que le préfet du Rhône délivre à Mme T.S. une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » ; que le présent arrêt implique seulement que le préfet du Rhône procède au réexamen de sa demande de titre de séjour dans un délai de deux mois ; qu’il y a également lieu, en application de l’article L. 512-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, d’enjoindre au préfet du Rhône de délivrer une autorisation provisoire de séjour à Mme T.S. dans un délai d’un mois ;

Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 :

8. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la
charge de l’Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me Pochard, avocat de Mme T.S., au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Pochard renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat à la mission d’aide juridictionnelle qui lui a étéconfiée ;

DECIDE :
Article 1er : L’arrêté en date du 24 avril 2014 par lequel le préfet du Rhône a rejeté la demande de délivrance d’un titre de séjour présentée par Mme T.S. et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours ainsi que le jugement n° 1406497 du tribunal administratif de Lyon en date du 25 novembre 2014 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Rhône de délivrer une autorisation provisoire de séjour à Mme T.S. dans un délai d’un mois et de procéder au réexamen de sa demande de titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3  : L’Etat versera à Me Pochard, conseil de Mme T.S., une somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Pochard renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat à l’aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme T.S. est rejeté.
Article 5  : Le présent arrêt sera notifié à Mme T.S., au ministre de l’intérieur et au préfet du Rhône. Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon en application de l’article R. 751-11 du code de justice administrative.

Délibéré après l’audience du 22 septembre 2016 à laquelle siégeaient :
M. Fraisse, président de la cour,
MM. Clot et Bourrachot, présidents de chambre,
Mme Mear et M. Pourny, présidents-assesseurs,
Mmes Dèche et Terrade, premiers conseillers.
Lu en audience publique, le 11 octobre 2016.

Décision disponible en format pdf ci-dessous :