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Cour administrative d’appel de Bordeaux, 1e chambre, formation à 3, Arrêt du 24 mai 2018 N° 18BX00446 , MIE devenue majeure, renouvellement APT, privation involontaire d’emploi

Publié le : mardi 28 août 2018

MIE marocaine prise en charge après 16 ans, devenue majeure, dépose une demande de renouvellement de son autorisation de travail dans le cadre de sa carte de séjour portant la mention « salariée ». Postérieurement au dépôt de sa demande de renouvellement, elle est licenciée pour cause réelle et sérieuse avant même que le préfet ne statue sur la demande de renouvellement. Refus du préfet du renouvellement au motif que la perte involontaire d’emploi n’avait pas encore eu lieu au moment du dépôt de la demande. La CAA, par une application combinée des articles R.5221-32 et R.5221-33 du code du travail, estime que l’étranger involontairement privé d’emploi après le dépôt de la première demande de renouvellement d’autorisation de travail et de séjour, doit voir son autorisation de travail prorogée d’un an. Alors même qu’à la date du dépôt de la première demande de renouvellement de titre de séjour l’étranger n’est pas privé d’emploi, lorsque cette condition est remplie au jour où le préfet statue et qu’il en a connaissance, ces dispositions impliquent qu’il examine si la privation d’emploi intervenue peut être regardée comme involontaire.

Source : Cour administrative d’appel de Bordeaux, 1e chambre, formation à 3

Date : Arrêt du 24 mai 2018 N° 18BX00446

CAA de BORDEAUX
1ère chambre - formation à 3

Mme GIRAULT, président
Mme Cécile CABANNE, rapporteur
M. NORMAND, rapporteur public

DIALEKTIK AVOCATS AARPI, avocat(s)

lecture du jeudi 24 mai 2018

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme a demandé au tribunal administratif de Toulouse d’annuler l’arrêté du 23 mai 2017 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 1703540 du 1er décembre 2017, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 1er février 2018, Mme ., représentée par Me Soulas, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du 1er décembre 2017 ;
2°) d’annuler cet arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 23 mai 2017 ;
3°) d’enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de l’admettre au séjour en France dans le délai d’un mois à compter de la notification de l’arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou à défaut de procéder au réexamen de sa situation ;
4°) de l’admettre provisoirement au bénéfice de l’aide juridictionnelle ;
5°) de mettre à la charge de l’État le paiement des entiers dépens et d’une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.

Elle soutient que :
- les décisions contestées sont insuffisamment motivées, notamment en ce qu’elles ne font pas état de ce qu’elle a été involontairement privée de son emploi et de ce qu’elle a la qualité de travailleur handicapé ;
- les décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français sont entachées d’un défaut d’examen réel de sa situation personnelle ;
- en n’appliquant pas les dispositions l’article R. 5221-33 du code du travail, alors qu’elle est privée involontairement d’emploi, le préfet de la Haute-Garonne a commis une erreur de droit ; ces dispositions relatives aux conditions dans lesquelles est appréciée la situation des étrangers titulaires d’un titre de séjour “ salarié “ qui se trouvent involontairement privés d’emploi à la date de la première demande de renouvellement sont applicables aux ressortissants marocains, dans la mesure où ce point n’est pas traité par l’accord franco-marocain ; la situation de l’étranger se trouvant involontairement privé d’emploi s’apprécie à la date à laquelle le préfet statue sur sa demande ;
- les décisions contestées méconnaissent les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et sont entachées d’une erreur manifeste d’appréciation de sa situation personnelle ; elle est entrée en France le 9 octobre 2012 à l’âge de 16 ans, et a été prise en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance en tant que mineure isolée, puis dans le cadre d’un contrat jeune majeure compte tenu des efforts fournis pour s’insérer professionnellement en dépit de son handicap ; elle a achevé avec succès la formation d’agent de restauration au sein du centre de formation spécialisé de la MECS “ Le Chêne Vert “ et obtenu son titre professionnel le 28 août 2015 ; avant même l’obtention de ce diplôme, elle avait signé, le 3 août 2015, un contrat de travail à durée indéterminée avec le restaurant Flunch à Toulouse mais a été contrainte d’arrêter de travailler pour des raisons médicales au début de l’année 2016 et a été finalement licenciée à la fin de l’année 2016 ; elle souhaite pouvoir retrouver un emploi adapté à son handicap et à son état de santé ;
- la mesure d’éloignement est dépourvue de base légale en raison de l’illégalité de la décision de refus de titre ;
- la décision fixant le pays de renvoi est dépourvue de base légale en raison de l’illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire.

Par ordonnance du 15 février 2018, la clôture d’instruction a été fixée au 29 mars 2018 à 12 heures.
Un mémoire, enregistré le 16 avril 2016, a été présenté par le préfet de la Haute-Garonne.

Mme a été admise au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale par une décision du 8 février 2018.

Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
- l’accord franco-marocain du 9 octobre 1987 modifié ;
- le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
- le code des relations entre le public et l’administration ;
- le code du travail ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de Mme Cécile Cabanne ;
- les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :
1. Mme , ressortissante marocaine née le 13 décembre 1995, est entrée en France le 9 octobre 2012. En raison de sa situation de mineure isolée sur le territoire français, elle a été placée auprès de l’aide sociale à l’enfance (ASE) de la Haute-Garonne en novembre 2012. A sa majorité elle a sollicité, le 4 février 2014, son admission exceptionnelle au séjour en qualité de jeune majeure ayant bénéficié d’un placement à l’ASE et de la poursuite en France depuis plus de six mois d’une formation d’agent de restauration. Par la suite, elle a bénéficié d’une carte de séjour portant la mention “ travailleur temporaire “ du 1er septembre 2014 au 31 août 2015. Après avoir sollicité son changement de statut, elle a obtenu une carte de séjour temporaire portant la mention “ salarié “, valable du 25 août 2015 au 24 août 2016. Le 27 juillet 2016, elle a sollicité le renouvellement de son titre de séjour sur le même fondement, lequel lui a été refusé, avec obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi, par arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 23 mai 2017. Mme relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cet arrêté.

Sur la demande d’admission provisoire à l’aide juridictionnelle :
2. Mme a été admise au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale par une décision du 8 février 2018 du tribunal de grande instance de Bordeaux. Par suite, ses conclusions tendant à ce qu’elle soit admise à titre provisoire au bénéfice de l’aide juridictionnelle sont devenues sans objet.

Sur la légalité de l’arrêté du 23 mai 2017 :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
3. D’une part, aux termes de l’article 3 de l’accord franco-marocain : “ Les ressortissants marocains désireux d’exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d’un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l’article 1er du présent Accord, reçoivent, après le contrôle médical d’usage et sur présentation d’un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention “salarié” éventuellement assortie de restrictions géographiques ou professionnelles. / (...) “. Aux termes de l’article 9 du même accord : “ Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l’application de la législation des deux États sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l’Accord. / (...) “. Aux termes de l’article R. 313-18 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile alors en vigueur : “ L’étranger titulaire de la carte de séjour temporaire portant la mention “salarié” qui se trouve involontairement privé d’emploi présente tout justificatif relatif à la cessation de son emploi et, le cas échéant, à ses droits au regard des régimes d’indemnisation des travailleurs involontairement privés d’emploi. Le préfet statue sur sa demande de renouvellement de la carte de séjour temporaire portant la mention “salarié” conformément aux dispositions de l’article R. 341-5 du code du travail “.
4. D’autre part, aux termes de l’article R. 5221-32 du code du travail reprenant les dispositions de l’article R. 341-5 du même code : “ Le renouvellement d’une autorisation de travail mentionnée à l’article R. 5221-11 est sollicité dans le courant des deux mois précédant son expiration. / La demande de renouvellement est accompagnée de documents dont la liste est fixée par arrêté conjoint des ministres chargés de l’immigration et du travail. / L’autorisation de travail est renouvelée dans la limite de la durée du contrat de travail restant à courir ou de la mission restant à accomplir en France “. Enfin, aux termes de l’article R. 5221-33 du même code : “ Par dérogation à l’article R. 5221-32, la validité de l’autorisation de travail mentionnée au 8° de l’article R. 5221-3 est prorogée d’un an lorsque l’étranger se trouve involontairement privé d’emploi à la date de la première demande de renouvellement. / Si, au terme de cette période de prorogation, l’étranger est toujours privé d’emploi, il est statué sur sa demande compte tenu de ses droits au regard du régime d’indemnisation des travailleurs involontairement privés d’emploi “. Le 8° de l’article R. 5221-3 mentionne la carte de séjour temporaire mention “ salarié “ comme valant autorisation de travail.
5. L’accord franco-marocain renvoie sur tous les points qu’il ne traite pas à la législation nationale, en particulier aux dispositions pertinentes du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et du code du travail pour autant qu’elles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l’accord et nécessaires à sa mise en oeuvre. Il en va ainsi des dispositions des articles R. 5221-32 et suivants du code du travail relatives aux conditions dans lesquelles est appréciée la situation des étrangers titulaires d’un titre de séjour “ salarié “ qui se trouvent involontairement privés d’emploi à la date de la première demande de renouvellement.
6. Il ressort des pièces du dossier que Mme s’est vu délivrer le 25 août 2015 une carte de séjour “ salarié “ valable jusqu’au 24 août 2016 pour travailler à temps non complet dans une société de restauration, avec laquelle elle a signé un contrat à durée indéterminée le 3 août 2015. Elle a été licenciée le 24 novembre 2016 pour cause réelle et sérieuse. Ainsi, la rupture des liens unissant Mme à son employeur procède d’une décision de ce dernier. Quand bien même ce licenciement résulterait de ses absences pour raisons de santé, emportant des conséquences sur la bonne marche de l’entreprise, la requérante doit être regardée comme se trouvant involontairement privée d’emploi. Si à la date de la première demande de renouvellement, Mme n’était pas involontairement privée d’emploi, dès lors qu’elle justifiait d’un contrat en cours lui ouvrant droit au bénéfice des dispositions précitées de l’article R. 5221-32 du code du travail, cette condition était remplie au jour où le préfet de la Haute-Garonne, qui avait connaissance de son licenciement, a statué sur la demande. Dans de telles circonstances, les dispositions combinées des articles R. 5221-32 et R. 5221-33 du code du travail impliquent que le préfet examine si la privation d’emploi intervenue pendant l’instruction, et sur laquelle il s’est fondé, peut être regardée comme involontaire. Dans ces conditions, Mme est fondée à soutenir que la décision de refus de titre de séjour méconnaît les dispositions de l’article R. 5221-33 du code du travail.
7. En outre, il ressort des pièces du dossier que Mme a été prise en charge par l’aide sociale à l’enfance en tant que mineur isolé en novembre 2012 et qu’elle établit ainsi sa présence en France depuis plus de cinq ans. Mme a suivi, en dépit de ses difficultés d’apprentissage ayant justifié la reconnaissance de sa qualité de travailleur handicapé en mars 2015, un parcours scolaire méritant lui ayant permis d’obtenir le titre professionnel d’agent de restauration en août 2015. Elle produit des rapports d’évaluation, un bilan de stage et un résultat d’évaluation témoignant de sa persévérance, de sa motivation ainsi que de ses efforts pour réussir son intégration tant scolaire que sociale et professionnelle. A sa majorité, elle a bénéficié d’une carte de séjour portant la mention “ travailleur temporaire “ du 1er septembre 2014 au 31 août 2015, puis après avoir sollicité son changement de statut vers celui de salarié, elle s’est vu délivrer une carte de séjour temporaire du 25 août 2015 au 24 août 2016. Dans ces conditions, et bien que ses parents résident dans son pays d’origine, alors au demeurant qu’elle a subi des violences de la part de sa père et qu’elle n’a pas de contact avec sa mère, Mme est fondée à soutenir qu’en refusant de lui délivrer un titre de séjour, le préfet de la Haute-Garonne a commis une erreur manifeste dans l’appréciation des conséquences de la décision sur sa situation personnelle.
8. Dès lors, il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a refusé d’annuler la décision attaquée. Il y a lieu, par voie de conséquence, d’annuler les décisions obligeant l’intéressée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi.

Sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :
9. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : “ Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant d’un délai d’exécution. “.
10. Eu égard au motif d’annulation retenu au point 7, le présent arrêt implique nécessairement que soit délivrée à Mme une carte de séjour temporaire portant la mention “ vie privée et familiale “. Il y a lieu, par suite, d’enjoindre au préfet de la Haute-Garonne d’y procéder dans le délai de deux mois, sans qu’il y ait lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
11. Mme a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que Me Soulas, avocat de Mme , renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’État, de mettre à la charge de celui-ci le versement de la somme de 1 000 euros.

DECIDE :
Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur la demande d’admission provisoire à l’aide juridictionnelle présentée par Mme 
Article 2 : Le jugement n° 1703540 du 1er décembre 2017 du tribunal administratif de Toulouse et l’arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 23 mai 2017 sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à Mme une carte de séjour temporaire portant la mention “ vie privée et familiale “ dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L’Etat versera à Me Soulas, avocat de Mme , la somme de 1 000 euros en application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu’il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’État.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme au ministre d’Etat, ministre de l’intérieur, au préfet de la Haute-Garonne et à Me Soulas.