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Conseil d’Etat, section du contentieux, 1ère et 4ème chambre réunies, décision du 05 février 2020 n°428478 / 428826, Décret mineurs étrangers non accompagnés. Demande d’annulation pour excès de pouvoir du décret du 30 janvier 2019 relatif aux modalités d’évaluation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et autorisant la création d’un traitement de données à caractère personnel relatif à ces personnes. Le Conseil d’Etat considère que "les requérants sont seulement fondés à demander l’annulation de l’article 6 du décret" relatif à la date d’entrée en vigueur dudit décret et rejette le surplus des conclusions des requêtes.

Publié le : mercredi 5 février 2020

Voir en ligne : https://www.conseil-etat.fr/ressour...

Source : Conseil d’Etat, section du contentieux, 1ère et 4ème chambre réunies

Date : décision du 05 février 2020 n°428478, 428826

Communiqué : disponible ici

Extraits de la décision :

« 5. Le texte publié au Journal officiel de la République française du décret attaqué ne précise pas la date à laquelle il entre en vigueur et, à son article 6, fixe au lendemain de sa publication la date d’entrée en vigueur de l’article 51 de la loi du 10 septembre 2018. Or il ressort de l’examen des pièces versées au dossier par le ministre de l’intérieur que tant le projet initial du Gouvernement que le texte adopté par la section de l’intérieur du Conseil d’Etat fixaient au 1er janvier 2019 la date d’entrée en vigueur de l’article 51 de la loi du 10 septembre 2018 et du décret lui-même. Par suite, l’article 6 du décret attaqué a été adopté en méconnaissances des règles qui gouvernent l’examen par le Conseil d’Etat des projets de décret. En revanche, le décret ne comporte pas d’autre disposition qui différerait tant du projet initial du Gouvernement que du texte adopté par la section de l’intérieur. Il y a lieu d’annuler, par suite, l’article 6 du décret attaqué, ce dont il résulte que ce décret n’a été légalement applicable qu’à compter du 1er mars 2019, date de l’entrée en vigueur de l’article 51 de la loi du 10 septembre 2018 en l’absence d’autre date fixée par décret en Conseil d’Etat. (...)

9. Ainsi que le Conseil constitutionnel l’a relevé dans sa décision du 26 juillet 2019 par laquelle il les a déclarées conformes à la Constitution, ces dispositions n’ont ni pour objet ni pour effet de modifier les règles relatives à la détermination de l’âge d’un individu et aux protections attachées à la qualité de mineur, notamment celles interdisant les mesures d’éloignement et permettant de contester devant un juge l’évaluation réalisée, mais permettent la création d’un traitement automatisé qui vise à faciliter l’action des autorités en charge de la protection des mineurs et à lutter contre l’entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France en évitant la réitération par des personnes majeures de demandes de protection qui ont déjà donné lieu à une décision de refus. Le Conseil constitutionnel a jugé que, ce faisant, le législateur avait mis en œuvre sans la méconnaître l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant et poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre l’immigration irrégulière.

(...) En revanche, le décret ne modifie pas l’étendue des obligations du président du conseil départemental en ce qui concerne l’accueil provisoire d’urgence des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille, non plus que sa compétence pour évaluer, sur la base d’un faisceau d’indices, leur situation, notamment quant à leur âge, et ne l’autorise pas à prendre une décision qui serait fondée sur le seul refus de l’intéressé de fournir les informations nécessaires à l’interrogation ou au renseignement des traitements mentionnés ci-dessus ni sur le seul constat qu’il serait déjà enregistré dans l’un d’eux. (...)

En ce qu’il prévoit que le président du conseil départemental dispose de la faculté de demander au préfet de l’assister dans ses investigations en fournissant, à sa demande et afin d’éclairer sa décision, des informations relatives à l’identité de la personne et à sa situation au regard de son isolement et de sa minorité, le décret attaqué ne peut être regardé comme méconnaissant le principe d’égalité devant la loi.

14. En deuxième lieu, le décret attaqué prévoit que, lorsque le président du conseil départemental a sollicité le concours du préfet, la personne qui se présente comme mineure et privée de la protection de sa famille communique aux agents habilités des préfectures toute information utile à son identification et au renseignement du traitement dénommé « appui à l’évaluation de la minorité ». Tout d’abord, la circonstance que l’intéressé soit ainsi amené à se rendre en préfecture et à y être accueilli par des agents habituellement chargés de la mise en œuvre de la réglementation concernant les ressortissants étrangers, à qui il appartient, au demeurant, de prendre en compte la situation de vulnérabilité de la personne se présentant comme mineure et privée de la protection de sa famille, n’est pas, en elle-même, contraire à l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. (...)

L’intervention des agents des préfectures a pour seul objet de fournir au président du conseil départemental des informations permettant d’aider à la détermination de l’identité et de la situation de la personne, qui sont alors l’un des éléments de l’évaluation qui doit être conduite, en vertu du III de l’article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles, par les services du département, ou de la structure du secteur public ou du secteur associatif à laquelle cette mission a été déléguée par le président du conseil départemental. Elle est distincte des entretiens menés avec les intéressés par les professionnels de ces services ou structures, en application du septième alinéa du II du même article, dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire. Enfin, d’une part, il résulte des articles L. 221-1, L. 223-2 et R. 221-11 du même code que, sous réserve des cas où la condition de minorité ne serait à l’évidence pas remplie, il incombe aux autorités du département de mettre en place un accueil provisoire d’urgence pour toute personne se déclarant mineure et privée de la protection de sa famille, confrontée à des difficultés risquant de mettre en danger sa santé, sa sécurité ou sa moralité, sans pouvoir subordonner le bénéfice de cet accueil à la communication par l’intéressé des informations utiles à son identification et au renseignement du traitement « appui à l’évaluation de la minorité » ni au résultat de l’éventuelle sollicitation des services de l’Etat. (...)

Dès lors que les seules informations pouvant être enregistrées sont celles nécessaires au renseignement du traitement « appui à l’évaluation de la minorité », qui sont limitativement énumérées par l’article R. 221-15-2 du code de l’action sociale et des familles, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l’absence de définition précise des informations pouvant être demandées par les agents des préfectures exposerait les intéressés au risque que les informations qu’ils communiquent soient utilisées à d’autres fins que la protection de l’enfance. (...)

17. En cinquième lieu, en vertu de l’article L. 511-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’étranger mineur de dix-huit ans ne peut faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français. Si le décret attaqué prévoit, au neuvième alinéa du II de l’article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles, que lorsque le président du conseil départemental a sollicité le concours du représentant de l’Etat dans le département, il notifie à ce dernier la date à laquelle l’évaluation de la situation de la personne a pris fin, en précisant s’il estime que la personne est majeure ou mineure, il n’a ni pour objet ni pour effet de modifier les règles destinées à assurer la protection effective des étrangers de moins de dix-huit ans contre les mesures d’éloignement. Cette protection ne fait pas obstacle à ce qu’une mesure d’éloignement soit prise par l’autorité administrative à l’égard d’une personne dont elle estime, au terme de l’examen de sa situation, qu’elle est majeure, alors même qu’elle allèguerait être mineure. Elle implique en revanche que, saisi dans le cadre du recours suspensif ouvert contre une telle mesure, le juge administratif se prononce sur la minorité alléguée sauf, en cas de difficulté sérieuse, à ce qu’il saisisse l’autorité judiciaire d’une question préjudicielle portant sur l’état civil de l’intéressé. Dans l’hypothèse où une instance serait en cours devant le juge des enfants, le juge administratif peut surseoir à statuer si une telle mesure est utile à la bonne administration de la justice. Lorsque le doute persiste au vu de l’ensemble des éléments recueillis, il doit profiter à la qualité de mineur de l’intéressé.

18. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions du décret attaqué modifiant l’article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles pour prévoir l’intervention du représentant de l’Etat dans le département dans la procédure d’évaluation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille méconnaîtraient l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant (...)

19. En premier lieu, l’article 3 du décret attaqué modifie les dispositions des articles R. 611-1 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatives à l’application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF2) et au traitement automatisé de données à caractère personnel relatives aux étrangers sollicitant la délivrance d’un visa (VISABIO) afin, notamment, d’ajouter aux finalités de ces traitements la détermination et la vérification de l’identité d’un étranger qui se déclare mineur et privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille. L’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ne s’oppose pas à ce que l’autorité administrative ait recours à des informations collectées aux fins de lutte contre l’entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France pour apprécier si une personne qui sollicite une protection en qualité de mineur remplit les conditions légales pour l’obtenir. Si les requérants soutiennent que de nombreux étrangers mineurs sont amenés à déposer des demandes de visa en se présentant comme majeurs sous couvert de documents d’identité d’emprunt ou falsifiés, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que le président du conseil départemental, à qui il appartient de prendre en considération l’ensemble des circonstances de l’espèce, tienne notamment compte des informations enregistrées dans le traitement « VISABIO » lorsqu’il procède à l’évaluation de la situation d’une personne qui se déclare mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille. (...)

26. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions du décret attaqué relatives aux traitements automatisés de données à caractère personnel méconnaîtraient l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, le droit au respect de la vie privée protégés par l’article 2 de la Déclaration de 1789 et par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et le droit à la protection des données personnelles, qui découle du droit au respect de la vie privée et est également protégé par l’article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

27. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont seulement fondés à demander l’annulation de l’article 6 du décret qu’ils attaquent. »

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Décision disponible au format pdf ci-dessous :

CE_05022020_n°428478_428826