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Cour d’appel de Dijon, 3e Chambre civile, arrêt du 9 mars 2017 n° 16/01673 - présomption de minorité, évaluation sociale de minorité, analyse documentaire, art. 47 code civil

Publié le : lundi 24 avril 2017

Source : Cour d’appel de Dijon

Date : 09 mars 2017

Extraits :

« Par ses conclusions du 5 décembre 2016 valablement développées à l’audience par M. Gilles B., directeur des affaires juridiques, qui a reçu pouvoir à cet effet, l’appelant demande à la cour d’infirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance déférée, de dire que la présomption de minorité à l’égard de M. K. D. est renversée, d’ordonner la mainlevée de la mesure de tutelle et de réserver les dépens.

Le président du Conseil départemental fait valoir que, face à l’afflux de personnes qui se prétendent "mineurs non accompagnés", il importe pour lui de réserver le bénéfice de structures d’accueil et de procédures réservées aux mineurs à ces seuls mineurs. Systématiser l’accueil, c’est aussi prendre le risque de placer un adulte dans un même lieu d’accueil, à savoir l’Hôtel Escatel, que des mineurs que le Département a la mission de protéger. Par ailleurs, la construction identitaire d’une personne est problématique lorsqu’elle est placée et accompagnée comme un mineur alors qu’en réalité elle est adulte et qu’elle se retrouve obligée d’être sans cesse dans le mensonge.

S’agissant des résultats de l’évaluation, le rapport établi suite aux entretiens avec M. K. D. laisse apparaître diverses réserves qui n’ont pas emporté la conviction de l’appelant quant à la totale sincérité du récit. Il observe que les conditions d’obtention de son extrait d’acte de naissance sont quelque peu rocambolesques et interrogent sur leur crédibilité. Ce serait sur les conseils d’un ami de classe plus âgé que lui qu’il se serait rendu au domicile de ses parents, décédés dans un accident de la route, et aurait trouvé ce document en reconnaissant son nom dessus. Certaines incohérences transparaissent dans le rapport étant donné que les travailleurs sociaux ont pu constater que K. est en mesure de déchiffrer un mot simple et de réaliser des opérations mathématiques simples. Pourtant lorsque K. évoque sa traversée de la Méditerranée, il indique : "moi je sais pas compter". Au cours de son récit, M. K. D. fait état de l’aide matérielle et financière dont il aurait bénéficié tout au long de son parcours. Tout d’abord jusqu’à son arrivée en Italie, l’ensemble du trajet aurait été organisé par son ami de classe plus âgé que lui, M. D..

Puis, à Paris (Gare de Lyon), un homme lui aurait acheté un billet de train et lui aurait conseillé de s’arrêter à Mâcon, ce qui semble peu crédible. Enfin, à son arrivée à Mâcon un homme l’aurait accompagné à pied jusqu’au Conseil départemental et lui aurait crié : "tu m’as pas vu". Enfin, le Département estime que les conditions de son arrivée en Europe sont certes tragiques mais très stéréotypées. M. K. D. aurait effectué la traversée de la Méditerranée dans une embarcation en caoutchouc de type zodiac ; le rapport indique "K. nous explique qu’une nuit en février 2016, ils sont partis jusqu’à la mer : "il y avait beaucoup de monde, on a vu une pirogue sur l’eau, j’ai eu très peur". Le jeune indique qu’il pensait trouver un gros bateau et qu’il a été apeuré à l’idée d’embarquer à la vue de la petite taille de ce dernier : "il était en caoutchouc, je ne voulais pas monter". Son ami tentait de le rassurer et de l’encourager sur le bateau. K. s’est retrouvé parmi un grand groupe de personnes : "moi je sais pas compter mais s’est beaucoup, des femmes, des hommes et aussi des enfants comme moi.". Ces éléments, à savoir l’embarcation en caoutchouc et être l’un des plus jeunes des passagers reviennent quasi systématiquement dans les récits.

L’avocat de M. K. D. sollicite la confirmation de l’ordonnance déférée. Il développe ses conclusions aux termes desquelles le seul caractère prétendument non valable des documents d’identité présentés par le mineur ne suffit pas à mettre en doute une minorité "vraisemblable", notamment au regard de l’évaluation effectuée conformément aux dispositions du code de l’action sociale et des familles. Il estime d’autre part que ces tests revêtent une marge d’erreur et ne peuvent permettre à eux seuls de déterminer ou d’écarter la minorité. Il rappelle les termes de l’article 47 du code civil qui dispose que l’acte d’état civil étranger, établi dans les formes usitées dans le pays, fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

En l’espèce, même en admettant que les actes présentés par M. K. D. puissent comporter certaines "incohérences" eu égard au droit guinéen, aucune vérification n’a été effectuée auprès des autorités guinéennes, ou même consulaires françaises, par le Département à qui il appartient d’établir, de manière certaine, le caractère non authentique ou falsifié d’un document d’état civil.

Par ailleurs, l’évaluation du mineur aurait clairement fait apparaître que sa minorité n’était pas à remettre en cause, et les prétendues incohérences du récit du mineur, dont le parcours a précisément été difficile, dangereux, et chaotique, ne permettent aucunement à l’évaluateur de douter de la minorité de l’intéressé.

Le ministère public sollicite la confirmation de l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Attendu qu’aux termes des dispositions de l’article 411 du code civil, ne peut bénéficier de l’ouverture d’une tutelle déférée à la collectivité publique compétente en matière d’aide sociale à l’enfance que le mineur dont la tutelle reste vacante ;

que la preuve de la minorité constitue un préalable à l’examen de la vacance de la tutelle du jeune du fait de son isolement ;

Attendu qu’aux termes de l’article 47 du code civil, "Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité" ;

Attendu que la circulaire du Ministère de la Justice du 31 mai 2013 relative aux modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers prévoit que ’les garanties juridiques liées à l’état de minorité nécessitent qu’en cas de doute sur les déclarations de l’intéressé, il soit procédé à une vérification de celles-ci’ ; que cette circulaire ajoute que ’l’évaluation de la minorité s’appuie sur la combinaison d’un faisceau d’indices : entretien conduit avec le jeune par un personnel qualifié dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire ; vérification de l’authenticité des documents d’état civil qu’il détient sur le fondement de l’article 47 du code civil ; si le doute persiste au terme de cette étape et seulement dans ce cas, il peut être procédé à une expertise médicale de l’âge sur réquisitions du Parquet’ ;

qu’en l’espèce, malgré les résultats de l’évaluation, le rapport de la PAF concluant à l’irrecevabilité des papiers d’identité présentés et le refus de prise en charge par le procureur de la République, le juge des tutelles a considéré que M. K. D. était mineur comme étant né le 14 février 2000 à Conakry (Guinée) ;

qu’or, à l’inverse, il ressort d’une lecture attentive des éléments du dossier de M. K.D. que la présomption de minorité, qui n’est pas irréfragable, peut être renversée ; que, tout d’abord, s’agissant de l’analyse de la PAF, elle conclut à l’irrecevabilité du document présenté au vu des diverses erreurs et anomalies relevées ; qu’en effet, sur l’extrait d’acte de naissance, il a été relevé que :

- le support documentaire est un papier ordinaire de format A4, donc non sécurisé, contrairement aux caractéristiques d’un document authentique ;

- les mentions fixes du document sont imprimées en laser alors que tout document fiduciaire présente des impressions en offset ; qu’en effet, l’impression laser peut être réalisée avec n’importe quelle imprimante vendue dans le commerce ; qu’il s’agit d’un procédé d’impression simple, puisque le document est reproduit directement sur papier, au moyen de l’outil informatique et d’imprimantes laser notamment ; que la technique est rapide et souple, et que le visuel est imprimé tel quel, en une seule fois, avec peu de manipulations et un faible temps de séchage de l’encre contrairement à l’impression offset qui comporte plusieurs étapes successives précédant l’impression : le document à imprimer est reproduit sur un support - initialement une plaque de métal gravée -, où sont définies des zones à encrer. Cette plaque est encrée plusieurs fois, avant qu’on y passe un cylindre ou rouleau - appelé "blanchet" - recouvert d’une feuille de caoutchouc, qui transférera l’encre sur le papier, pour l’impression proprement dite sur papier ; que l’offset repose sur de nombreuses manipulations, ce procédé requérant du matériel lourd, du temps, de l’expertise et du savoir-faire ; que ce type d’imprimante est réservé aux professionnels et n’est pas vendu dans la grande distribution ;

- le papier présente un aspect général récent alors que le titre a été délivré le 23 février 2000 ;

- la date de délivrance au bas du document présente un grattage et un rajout d’écriture ;

- le document n’est pas répertorié dans la base de données mis à la disposition sur le site de la Direction Centrale de la Police aux Frontières.

Attendu qu’au vu de l’ensemble de ces anomalies, l’extrait de naissance a été déclaré irrecevable au regard des prescriptions de l’article 47 du code civil ;

Attendu que, les papiers présentés par M. K. D. étant dépourvus de valeur probante, en l’état de l’ensemble des éléments du dossier, dont l’évaluation réalisée à l’initiative des services du Conseil départemental, la présomption de minorité doit être écartée ;

Attendu que M. K. D. ne pouvait dans ces conditions bénéficier de l’ouverture d’une tutelle d’Etat déférée à l’Aide sociale à l’enfance du Département de Saône et Loire par application de l’article 411 du code civil ;

qu’il y a lieu en conséquence d’infirmer l’ordonnance déférée et d’ordonner la mainlevée de la mesure de tutelle de M. K. D. ; »

Arrêt disponible dans son intégralité en format pdf ci-dessous :

CA_Dijon_09032017_1601673