InfoMIE.net
Informations sur les Mineurs Isolés Etrangers

Accueil > Actualités MIE > Actualités jurisprudentielles > Conseil d’État, section du contentieux, décision n°439674 du 22 mars 2020, (...)

Conseil d’État, section du contentieux, décision n°439674 du 22 mars 2020, Demande de confinement total par le syndicat Jeunes Médecins. Le Conseil d’État retient qu’il n’apparaît pas que le Premier ministre ait fait preuve d’une carence grave et manifestement illégale en ne décidant pas un confinement total de la population sur l’ensemble du territoire selon les modalités demandées par le syndicat. Il est enjoint au Premier ministre et au ministre de la santé, de prendre sous 48 heures des mesures visant à préciser la portée de la dérogation au confinement pour raison de santé ; réexaminer le maintien de la dérogation pour « déplacements brefs, à proximité du domicile » compte tenu des enjeux majeurs de santé publique et de la consigne de confinement ; évaluer les risques pour la santé publique du maintien en fonctionnement des marchés ouverts, compte tenu de leur taille et de leur niveau de fréquentation

Publié le : lundi 23 mars 2020

Voir en ligne : https://www.conseil-etat.fr/ressour...

Source : Conseil d’État, section du contentieux

Date : décision n°439674 du 22 mars 2020

Extraits :

« 5. Le droit au respect de la vie, rappelé notamment par l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, constitue une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Lorsque l’action ou la carence de l’autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté fondamentale, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par cet article, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser le danger résultant de cette action ou de cette carence. Toutefois, ce juge ne peut, au titre de cette procédure particulière, qu’ordonner les mesures d’urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Le caractère manifestement illégal de l’atteinte doit s’apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a, dans ce cadre, déjà prises.

(...)

7. Il résulte de l’instruction et des échanges qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, le ministre de la santé a, par plusieurs arrêtés successifs, notamment interdit les rassemblements de plus de cent personnes, décidé la fermeture, sauf exceptions, des établissements recevant du public ainsi que des établissements d’accueil des enfants et des établissements d’enseignement scolaire et supérieur. Le Premier ministre a, par le décret en date du 16 mars 2020, interdit jusqu’au 31 mars 2020 le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d’exceptions limitatives, tenant à diverses nécessités, ainsi que tout regroupement avec la possibilité, pour le représentant de l’État dans le département d’adopter des mesures plus strictes si des circonstances locales l’exigent. Ce dispositif, régulièrement modifié, est susceptible d’être à nouveau adapté en fonction des circonstances, notamment, ainsi qu’il résulte des déclarations faites à l’audience, en fonction de l’avis que le conseil scientifique mis en place par le Gouvernement doit rendre lundi 23 mars sur la durée et l’étendue du confinement et pour la mise en œuvre des dispositions législatives issues du projet de loi mentionné au point 2.

8. Si un confinement total de la population dans certaines zones peut être envisagé, les mesures demandées au plan national ne peuvent, s’agissant en premier lieu du ravitaillement à domicile de la population, être adoptées, et organisées sur l’ensemble du territoire national, compte tenu des moyens dont l’administration dispose, sauf à risquer de graves ruptures d’approvisionnement qui seraient elles-mêmes dangereuses pour la protection de la vie et à retarder l’acheminement des matériels indispensables à cette protection. En outre, l’activité indispensable des personnels de santé ou aidants, des services de sécurité de l’exploitation des réseaux, ou encore des personnes participant à la production et à la distribution de l’alimentation rend nécessaire le maintien en fonctionnement, avec des cadences adaptées, des transports en commun, dont l’utilisation est restreinte aux occurrences énumérées par le décret du 16 mars 2020. Par ailleurs, la poursuite de ces diverses activités vitales dans des conditions de fonctionnement optimales est elle-même tributaire de l’activité d’autres secteurs ou professionnels qui directement ou indirectement leur sont indispensables, qu’il n’apparaît ainsi pas possible d’interrompre totalement. Par suite, il n’apparaît pas que le Premier ministre ait fait preuve d’une carence grave et manifestement illégale en ne décidant pas un confinement total de la population sur l’ensemble du territoire selon les modalités demandées par le syndicat requérant.

En ce qui concerne le renforcement des mesures actuelles

9. En l’état actuel de l’épidémie, si l’économie générale des arrêtés ministériels et du décret du 16 mars 2020 ne révèle pas une telle carence, celle-ci est toutefois susceptible d’être caractérisée si leurs dispositions sont inexactement interprétées et leur non-respect inégalement ou insuffisamment sanctionné.

10. En premier lieu, les échanges ayant eu lieu au cours de l’audience font apparaître l’ambiguïté de la portée de certaines dispositions, au regard en particulier de la teneur des messages d’alerte diffusés à la population.

11. Il en va ainsi tout d’abord du 3° de l’article 1er du décret du 16 mars 2020 qui autorise, sans autre précision quant à leur degré d’urgence, les « déplacements pour motif de santé ».

12. La portée du 5° du même article qui permet les « déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective, et aux besoins des animaux de compagnie » apparaît trop large, notamment en rendant possibles des pratiques sportives individuelles, telles le « jogging ».

13. Enfin, il en va de même du fonctionnement des marchés ouverts, sans autre limitation que l’interdiction des rassemblements de plus de cent personnes dont le maintien paraît autoriser dans certains cas des déplacements et des comportements contraires à la consigne générale.

14. En deuxième lieu si le non-respect par la population des « gestes barrière » imposés par les autorités sanitaires et des interdictions de déplacement, alors qu’il appartient à chaque personne de contribuer ainsi à la non propagation du virus, ne saurait constituer une carence manifeste des pouvoirs publics, il appartient néanmoins à ces derniers de mettre en place les mesures d’organisation et de déploiement des forces de sécurité de nature à permettre de sanctionner sur l’ensemble du territoire les contrevenants aux arrêtés ministériels et au décret du 16 mars 2020. Il résulte, en outre, des déclarations faites à l’audience que des dispositions pénales plus sévères, pouvant aller jusqu’à des peines délictuelles, sont en cours d’adoption. Il appartient également à ces mêmes autorités de s’assurer, dans les lieux recevant du public où continuent de s’exercer une activité, du respect des « gestes barrière » et de la prise des mesures d’organisation indispensables.

15. En troisième lieu, dans le cadre du pouvoir qui leur a été reconnu par ce décret ou en vertu de leur pouvoir de police les représentants de l’Etat dans les départements comme les maires en vertu de leur pouvoir de police générale ont l’obligation d’adopter, lorsque de telles mesures seraient nécessaires des interdictions plus sévères lorsque les circonstances locales le justifient.

16. Enfin, une information précise et claire du public sur les mesures prises et les sanctions encourues doit être régulièrement réitérée par l’ensemble des moyens à la disposition des autorités nationales et locales.

17. Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’enjoindre au Premier ministre et au ministre de la santé, de prendre dans les quarante-huit heures les mesures suivantes :
- préciser la portée de la dérogation au confinement pour raison de santé ;
- réexaminer le maintien de la dérogation pour « déplacements brefs à proximité du domicile » compte tenu des enjeux majeurs de santé publique et de la consigne de confinement ;
- évaluer les risques pour la santé publique du maintien en fonctionnement des marchés ouverts, compte tenu de leur taille et de leur niveau de fréquentation.

En ce qui concerne le dépistage

18. Il résulte des déclarations du ministre de la santé et de celles faites à l’audience d’une part que les autorités ont pris les dispositions avec l’ensemble des industriels en France et à l’étranger pour augmenter les capacités de tests dans les meilleurs délais, d’autre part que la limitation, à ce jour, des tests aux seuls personnels de santé présentant des symptômes du virus résulte, à ce jour, d’une insuffisante disponibilité des matériels. Les conclusions de la demande ne peuvent, par suite, sur ce point, eu égard aux pouvoirs que le juge des référés tient des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, qu’être rejetées. »

***

Décision disponible au format pdf ci-dessous :

CE_22032020_n°439674