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Tribunal administratif de Lyon, Ordonnance du 10 avril 2020 n°2002586, Mineur ressortissant malien disposant de documents d’état civil évalué mineur dans un premier département et confié, par décision judiciaire, ordonnance de placement du Procureur de la République, au département du Rhône, fait l’objet d’une nouvelle évaluation par le département qui saisit le Procureur territorialement compétent pour mainlevée du placement provisoire. Le juge des enfants est saisi. Il ne résulte d’aucun élément de l’instruction et notamment pas des arguments du département en défense tenant à l’apparence physique de majorité de l’intéressé et aux incohérences dans le récit de son parcours pour parvenir en France, que le jugement supplétif et l’extrait d’acte de naissance versés au débat, qui contredisent la seconde appréciation portée par le service de l’aide sociale à l’enfance sur la minorité de M. mais confirment l’appréciation initiale, seraient irréguliers, falsifiés ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondraient pas à la réalité. Dans ces conditions, en l’état de l’instruction, la décision du président du conseil départemental du Rhône refusant de prendre en charge l’hébergement de M. (...) révèle une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Injonction au Conseil départemental de proposer un hébergement d’urgence à M. et de prendre en charge ses besoins alimentaires quotidiens essentiels, dans un délai de 48h à compter de la notification de la présente ordonnance, dans l’attente de la décision du juge des enfants saisi par l’intéressé.

Publié le : jeudi 16 avril 2020

Source : Tribunal administratif de Lyon

Date : Ordonnance du 10 avril 2020 n°2002586

Extraits :

« 3. M. indique sans être contredit qu’il vit dans la rue, dans des conditions difficiles, sans abri ni ressource et sans possibilité de répondre à l’obligation de confinement
imposée par les directives gouvernementales. Ainsi dès lors que l’intéressé se trouve dans une situation de grande détresse et de vulnérabilité extrême l’empêchant en outre de se protéger de l’épidémie actuelle de Covid 19, il y a lieu de considérer que la condition d’urgence requise par l’article L. 521-2 du code de justice administrative est remplie.

S’agissant de l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

4. D’une part, aux termes de l’article 375 du code civil : « Si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public (…) ». Aux termes de l’article 375-3 du même code : « Si la protection de l’enfant l’exige, le juge des enfants peut décider de le confier : / (…) 3° A un service départemental de l’aide sociale à l’enfance (…) ». L’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles dispose que : « Le service de l’aide sociale à l’enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / (…) 4° Pourvoir à l’ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation (…) ».
L’article L. 222-5 du même code prévoit que : « Sont pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance sur décision du président du conseil départemental : (…) / 3° Les mineurs confiés au service en application du 3° de l’article 375-3 du code civil (…) ».

5. Il résulte de ces dispositions qu’il incombe au conseil départemental, le cas échéant dans les conditions prévues par la décision du juge des enfants, de prendre en charge l’hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l’aide sociale à l’enfance. A cet égard, une obligation particulière pèse sur ces autorités lorsqu’un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger. Lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l’accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il incombe au juge des référés d’apprécier, dans chaque cas, les diligences accomplies par l’administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l’âge, de l’état de santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

6. D’autre part, l’article L. 111-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d’état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l’article 47 du code civil qui prévoit que : « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». Cet article pose une présomption de validité des actes d’état civil établis par une autorité étrangère. Il incombe à l’administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question.

7. Il résulte de l’instruction qu’entré sur le territoire français au début de l’année 2019, M. , ressortissant malien se déclarant mineur, a été mis à l’abri, le 11 mars 2019 par le département des Alpes de Haute-Provence, puis provisoirement confié au service de l’aide sociale à l’enfance (ASE) du département du Rhône, par une ordonnance en date du 28 octobre 2019 du Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Dignes Les Bains. A la suite d’un nouvel entretien réalisé par le bureau d’évaluation et d’accompagnement spécialisé (BEAS) du département du Rhône, le 7 novembre 2019, le parquet de Villefranche-sur-Saône a été saisi afin qu’il soit procédé à la mainlevée du placement provisoire de l’intéressé du fait de sa majorité patente. Ainsi, le 17 décembre suivant, le Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Villefranche-sur-Saône a considéré que la majorité de M. était établie et qu’il ne pouvait plus en conséquence bénéficier de l’aide des services dédiés à l’enfance du département du Rhône. Après avoir saisi, le 2 janvier 2020, le juge des enfants du tribunal judiciaire de Lyon qui s’est dessaisi au profit de celui de Villefranche-sur-Saône qu’il a saisi le 16 mars 2020, M. a, le 3 avril 2020, saisi le bureau d’évaluation et d’accompagnement spécialisé (BEAS) du département du Rhône afin d’obtenir sa mise à l’abri en urgence.

8. Il est constant que M. a communiqué aux services du conseil départemental des Alpes de Haute-Provence, le jugement supplétif et les extraits d’acte de naissance qui, permettant de justifier de son identité, ont conduits le BEAS puis le Procureur de la République du tribunal de grande instance de Digne-Les-Bains, à le confier aux services de l’aide sociale à l’enfance. Si le département du Rhône fait valoir qu’il n’a jamais eu connaissance des actes en cause, il lui incombait d’en prendre connaissance, lesdits actes ayant été ou pouvant être mis à sa disposition, sur sa demande. Si par ailleurs, le département du Rhône fait état de ce qu’alors que le Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Villefranche-sur Saône a décidé, le 17 décembre 2019, suivant le rapport d’évaluation réalisée par le BEAS du département du Rhône, le 7 novembre 2019, que la minorité de M. n’était pas établie et qu’il ne pouvait ainsi plus bénéficier des dispositions spécifiques de protection, ce dernier n’aurait jamais contesté les décisions en cause, il résulte de l’instruction que le 2 janvier et le 16 mars 2020, le juge des enfants était saisi afin qu’il ordonne, en application des articles 375 et suivants du code civil, une mesure de protection et que l’intéressé soit confié au service de l’aide sociale à l’enfance. Enfin, il ne résulte d’aucun élément de l’instruction et notamment pas des arguments du département en défense tenant à l’apparence physique de majorité de l’intéressé ou aux incohérences dans le récit de son parcours pour parvenir en France, que le jugement supplétif et l’extrait d’acte de naissance versés au débat, qui contredisent la seconde appréciation portée par le service de l’aide sociale à l’enfance sur la minorité de M. mais confirment l’appréciation initiale, seraient irréguliers, falsifiés ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondraient pas à la réalité.

9. Dans ces conditions, en l’état de l’instruction, la décision du président du conseil départemental du Rhône du 7 novembre 2019 refusant de prendre en charge l’hébergement de M. pour lequel le conseil départemental n’allègue pas n’avoir aucune solution à proposer, révèle une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale »

Ordonnance disponible en format pdf ci-dessous :

TA_lyon_10042020_2002586