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Tribunal administratif de Paris, juge des référés, ordonnance du 20 avril 2020 n°2006406/9. Un mineur isolé ressortissant malien fait l’objet d’un refus d’admission à l’aide sociale à l’enfance par le conseil départemental. En possession de documents d’état civil, il saisit le juge des enfants, audience suspendue et reportée à une date ultérieure indéterminée suite aux mesures prises dans le cadre de l’épidémie de Covid-19. "L’intéressé se trouve dans une situation de grande détresse et de vulnérabilité extrême l’empêchant en outre de respecter l’obligation de confinement posée par le décret n° 2020-293 et de se protéger de l’épidémie actuelle ", condition d’urgence remplie. "Il ne résulte d’aucun élément de l’instruction que ces documents d’état civil versés au débat, qui ne sont pas contestés en défense et qui contredisent l’appréciation portée tant par le DEMIE de la Croix-Rouge Française que par les services de la Ville de Paris, seraient irréguliers, falsifiés ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondraient pas à la réalité. Par ailleurs, la Ville de Paris, qui n’établit pas que la prise en charge de M. excéderait ses capacités, ne conteste pas sérieusement que le requérant est seul, sans famille connue, dépourvu de ressources et sans hébergement. (…) eu égard, d’une part, à la situation d’urgence sanitaire nécessitant un confinement généralisé des personnes (…) pour assurer la protection générale de la population et, d’autre part, à la saisine pendante du tribunal pour enfants de Paris, il y a lieu de considérer, en l’état de l’instruction, que le refus de la Ville de Paris de prendre en charge l’hébergement de M. révèle une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale." Injonction de prendre en charge le mineur sous 48h dans une structure agréée protection de l’enfance jusqu’à ce que l’autorité judiciaire se prononce définitivement sur la question de la minorité.

Publié le : dimanche 26 avril 2020

Source : Tribunal administratif de Paris, juge des référés

Date : Ordonnance du 20 avril 2020 n°2006406/9.

Extraits :

« 3. M. fait valoir sans être contredit qu’il est dépourvu d’hébergement et de moyen de subsistance et qu’il se trouve exposé à des risques sanitaires accrus d’exposition et de contamination au Covid-19. Ainsi, dès lors que l’intéressé se trouve dans une situation de grande détresse et de vulnérabilité extrême l’empêchant en outre de respecter l’obligation de confinement posée par le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 et de se protéger de l’épidémie actuelle de Covid-19, il y a lieu de considérer que la condition d’urgence requise par l’article L. 521-2 du code de justice administrative est remplie.

En ce qui concerne l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

4. L’article 375 du code civil dispose que : « Si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public (…) ». Aux termes de l’article 375-3 du même code : « Si la protection de l’enfant l’exige, le juge des enfants peut décider de le confier :

(…) 3° A un service départemental de l’aide sociale à l’enfance (…) ». L’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles dispose que : « Le service de l’aide sociale à l’enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille (…) confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social (…) / 3° Mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs mentionnés au 1° du présent article ; / (…) 4° Pourvoir à l’ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation (…) ». L’article L. 222-5 du même code prévoit que : « Sont pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance sur décision du président du conseil départemental : (…) / 3° Les mineurs confiés au service en application du 3° de l’article 375-3 du code civil (…) ».

5. Il résulte de ces dispositions qu’il incombe aux autorités du département, le cas échéant dans les conditions prévues par la décision du juge des enfants, de prendre en charge l’hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l’aide sociale à l’enfance. A cet égard, une obligation particulière pèse sur ces autorités lorsqu’un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger. Lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l’accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

6. L’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 du code de justice administrative est subordonnée au constat que la situation litigieuse permet de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Il incombe, dès lors, au juge des référés d’apprécier, dans chaque cas, en tenant compte des moyens dont l’administration départementale dispose ainsi que de la situation du mineur intéressé, quelles sont les mesures qui peuvent être utilement ordonnées sur le fondement de l’article L. 521-2 et qui, compte tenu de l’urgence, peuvent revêtir toutes modalités provisoires de nature à faire cesser l’atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale, dans l’attente d’un accueil du mineur dans un établissement ou un service autorisé, un lieu de vie et d’accueil ou une famille d’accueil si celui-ci n’est pas matériellement possible à très bref délai.

7. Enfin, l’article L. 111-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d’état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l’article 47 du code civil qui dispose : « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». Cet article pose une présomption de validité des actes d’état civil établis par une autorité étrangère. Il incombe à l’administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en cause.

8. M. ressortissant malien, qui a déclaré être né le 10 juillet 2003 à (Mali), a sollicité sa prise sa charge au titre de l’aide sociale à l’enfance auprès de la Ville de Paris et a été reçu, à cet effet, le 2 mars 2020 dans le cadre du dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers (DEMIE) de la Croix-Rouge Française. Par une décision du 3 mars 2020, la Ville de Paris a rejeté sa demande au motif que l’entretien d’évaluation n’avait pas permis de conclure à sa minorité et son isolement. Le 3 avril 2020, le requérant a demandé au juge des enfants du tribunal de grande instance de Paris que soit ordonné son placement auprès de l’aide sociale à l’enfance sur le fondement des dispositions de l’article 375 du code civil. Les audiences du tribunal pour enfants de Paris ayant été suspendues à la suite des mesures prises pour faire face à l’épidémie de Covid-19, l’examen de la demande de M. se trouve reportée à une date ultérieure indéterminée.

9. A l’appui de sa requête, M. produit des documents d’état civil constitués d’un extrait d’acte de naissance et d’un extrait du jugement supplétif d’acte de naissance, qu’il a également déposés lors de sa saisine du tribunal pour enfants de Paris le 3 avril 2020 et qui indiquent une date de naissance au 10 juillet 2003, portant l’âge présumé du requérant à 16 ans et 9 mois à la date de la présente ordonnance. Il ne résulte d’aucun élément de l’instruction que ces documents d’état civil versés au débat, qui ne sont pas contestés en défense et qui contredisent l’appréciation portée tant par le DEMIE de la Croix-Rouge Française que par les services de la Ville de Paris, seraient irréguliers, falsifiés ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondraient pas à la réalité. Par ailleurs, la Ville de Paris, qui n’établit pas que la prise en charge de M. excéderait ses capacités, ne conteste pas sérieusement que le requérant est seul, sans famille connue, dépourvu de ressources et sans hébergement. Dans les circonstances de l’espèce, eu égard, d’une part, à la situation d’urgence sanitaire nécessitant un confinement généralisé des personnes se trouvant sur le territoire français pour assurer la protection générale de la population et, d’autre part, à la saisine pendante du tribunal pour enfants de Paris, il y a lieu de considérer, en l’état de l’instruction, que le refus de la Ville de Paris de prendre en charge l’hébergement de M. révèle une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

10. Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’enjoindre à la Ville de Paris, dans un délai de quarante-huit à compter de la notification de la présente ordonnance, de prendre en charge l’hébergement de M. dans une structure agréée, adaptée à son âge et à la prévention des risques de propagation du Covid-19, et d’assurer ses besoins alimentaires, sanitaires et médicaux jusqu’à ce que l’autorité judiciaire se prononce définitivement sur la question relative à sa minorité. Il n’y a pas lieu, en revanche, d’assortir cette injonction d’une astreinte. »

Ordonnance disponible en format pdf ci-dessous :

TA_paris_20042020_2006406_9