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Conseil d’Etat – Ordonnance N°468184 du 28 novembre 2022 – Le département est enjoint de poursuivre la prise en charge au titre d’un contrat jeune majeur – Droit à une prise en charge pour les jeunes de moins de 21 ans confiés à l’ASE pendant leur minorité lorsqu’ils ne disposent pas de ressources ou d’un soutien familial suffisants – Le défaut d’insertion sociale et professionnelle est insuffisant pour justifier la fin de prise en charge d’un jeune bénéficiant de ce droit

Publié le : vendredi 2 décembre 2022

Résumé :

Le Conseil d’Etat suspend la décision de fin de prise en charge au titre d’un contrat « jeune majeur » dont bénéficiait une jeune de moins de vingt-et-un ans confiée à l’ASE durant sa minorité et enjoint au département de lui proposer un contrat « jeune majeur » adapté à sa situation.

Statuant sur le fondement de l’article L.521-2 du code de justice administrative (« référé-liberté »), le Conseil d’Etat retient tout d’abord que la condition d’urgence est remplie puisque l’intéressée serait dépourvue de ressources, de solution d’hébergement et de tout soutien familial en cas de fin de prise en charge par l’ASE.

De plus, cette décision porte à l’intéressée une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. En effet, le Conseil d’Etat rappelle (comme il a déjà eu l’occasion de le faire dans son ordonnance N°468365 du 15 novembre 2022) que depuis l’entrée en vigueur de la loi du 7 février 2022, les jeunes majeurs de moins de vingt-et-un ans ayant été pris en charge par l’ASE durant leur minorité bénéficient d’un droit à une nouvelle prise en charge lorsqu’ils ne disposent pas de ressources ou d’un soutien familial suffisant, ce qui est le cas de l’intéressée. Le département de Meurthe-et-Moselle est donc légalement tenu de poursuivre sa prise en charge.

En outre, le Conseil d’Etat souligne que l’argument tiré du défaut d’insertion sociale et professionnelle de l’intéressée (ici au regard du refus de titre de séjour dont elle a fait l’objet), qui pouvait être pris en compte dans le cadre du large pouvoir d’appréciation dont disposait auparavant le département, est insuffisant depuis la loi du 7 février 2022 pour justifier la fin de prise en charge d’un.e jeune bénéficiant des dispositions du 5° de l’article L. 222-5 du CASF (prise en charge de droit).

RAPPEL : Référé-liberté


Article L.521-2 du code de justice administrative
 :

« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures.  »

RAPPEL : Droit à une prise en charge pour les jeunes de moins de vingt-et-un ans confiés à l’ASE avant leur majorité, ne disposant pas de ressources ou d’un soutien familial suffisants


« La loi du 7 février 2022 a créé un droit au maintien de la prise en charge pour les jeunes confiés à l’ASE avant leur majorité et qui ne disposent pas encore, une fois celle-ci atteinte, de ressources ou d’un soutien familial suffisant. Dans cette hypothèse, les départements ne disposent plus, comme par le passé, d’un large pouvoir d’appréciation leur permettant de fixer des critères extralégaux, notamment en termes d’exigences de scolarisation, de formation ou de perspectives d’insertion rapide. Seuls les besoins du jeune conditionnent le maintien ou la réactivation de sa prise en charge par l’ASE. »

Pour plus de précisions voir : ADDENDUM du 26 juillet 2022 à l’édition 2020 du cahier juridique « Quelles aides pour les jeunes majeurs isolés ? - Co-édition Aadjam / Gisti / InfoMIE »


Extraits de l’ordonnance :

« Sur l’urgence :

4. Il résulte de l’instruction que Mme B…, âgée de 20 ans, est dépourvue de tout soutien familial et ne bénéficie d’aucune ressource ni solution d’hébergement autres que celles résultant de sa prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance, laquelle a été maintenue dans l’attente de l’issue de la présente instance. Ainsi, la condition d’urgence, qui n’est pas contestée par le département, doit, en l’état de l’instruction, être regardée comme remplie.

Sur l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

5. Il résulte des dispositions précitées de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles que, depuis l’entrée en vigueur du I de l’article 10 de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, qui a modifié cet article sur ce point, les jeunes majeurs de moins de vingt-et-un ans ayant été pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance d’un département avant leur majorité bénéficient d’un droit à une nouvelle prise en charge par ce service, lorsqu’ils ne disposent pas de ressources ou d’un soutien familial suffisants. Le département de Meurthe-et-Moselle qui, ainsi qu’il a été dit, a pris en charge Mme B… au titre de l’aide sociale à l’enfance jusqu’à sa majorité est, dès lors qu’il est constant que celle-ci ne bénéficie d’aucun soutien familial ni d’aucune ressource ni d’aucune solution d’hébergement, légalement tenu de poursuivre cette prise en charge. Si le département fait valoir que le refus de titre de séjour opposé à la jeune femme par le préfet de Meurthe-et-Moselle fait obstacle à toute perspective d’insertion sociale et professionnelle et, dans l’immédiat, à la possibilité de mener à bien la formation CAP « assistant technique en milieu familial et collectif » dans laquelle elle est engagée pour l’année scolaire 2022-2023, de telles considérations, qui pouvaient être prises en compte dans le cadre du large pouvoir d’appréciation dont disposait auparavant le président du conseil départemental pour accorder ou maintenir la prise en charge d’un jeune majeur, ne sauraient suffire, pour l’application des dispositions du 5° de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles issues de la loi du 7 février 2022, à justifier la décision mettant fin à sa prise en charge par l’aide sociale à l’enfance. Par suite, Mme B… est fondée à soutenir que l’exécution de la décision du département de Meurthe-et-Moselle mettant fin à sa prise en charge porte, en l’état de l’instruction, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

[…] ».


Voir l’ordonnance au format PDF :

Conseil d’Etat – Ordonnance N°468184 du 28 novembre 2022