InfoMIE.net
Informations sur les Mineurs Isolés Etrangers

Accueil > Actualités MIE > Actualités jurisprudentielles > Tribunal administratif de Lyon, juge des référés, ordonnance du 11 avril 2020 (...)

Tribunal administratif de Lyon, juge des référés, ordonnance du 11 avril 2020 n°2002621. MIE ivoirien confié à l’aide sociale à l’enfance sur décision du Juge des enfants ; décision qui, compte tenu de l’état d’urgence sanitaire, n’a pas été matérialisée de sorte que la Métropole a été saisie de la situation de M.X. Le Tribunal rappelle que, s’agissant d’un refus du département à une personne se déclarant mineure du bénéfice de l’accueil provisoire d’urgence et de l’évaluation, la contestation de cette décision relève de la juridiction administrative sans pour autant amener le juge à statuer sur la question de la saisine de l’autorité judiciaire ou sur celle de l’admission de l’intéressé à l’ASE. Au regard de la situation de M.X qui vit à la rue, dans des conditions difficiles, sans abri ni ressources et sans possibilité de répondre à l’obligation de confinement, la condition d’urgence est remplie. Par ailleurs, le tribunal relève que M.X est isolé sur le territoire, qu’il présente des documents d’état civil dont l’authenticité n’est pas contestée (présomption d’authenticité art. 47 code civil) et qu’il ne résulte pas de l’instruction que le juge des enfants ne se serait pas prononcé en faveur d’une mesure permettant sa protection. En l’état de l’instruction, la décision de la Métropole, qui n’allègue pas n’avoir aucune solution à proposer, révèle une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. La décision de la Métropole est suspendue jusqu’à ce que le juge des enfants ait statué ; il est enjoint à la Métropole de proposer à M.X un hébergement d’urgence sous 48h.

Publié le : mercredi 15 avril 2020

Source : Tribunal administratif de Lyon, juge des référés

Date : ordonnance du 11 avril 2020 n°2002621

Extraits :

« 3. L’article L. 223-2 du code de l’action sociale et des familles dispose que « sauf si un enfant est confié au service par décision judiciaire ou s’il s’agit de prestations en espèces, aucune décision sur le principe ou les modalités de l’admission dans le service de l’aide sociale à l’enfance ne peut être prise sans l’accord écrit des représentants légaux ou du représentant légal du mineur ou du bénéficiaire lui-même s’il est mineur émancipé. / En cas d’urgence et lorsque le représentant légal du mineur est dans l’impossibilité de donner son accord, l’enfant est recueilli provisoirement par le service qui en avise immédiatement le procureur de la République. (...) Si, dans le cas prévu au deuxième alinéa du présent article, l’enfant n’a pas pu être remis à sa famille ou le représentant légal n’a pas pu ou a refusé de donner son accord dans un délai de cinq jours, le service saisit également l’autorité judiciaire en vue de l’application de l’article 375-5 du code civil. (...) ». L’article 375-5 du code civil dispose que dans cette situation, le procureur de la République ou le juge des enfants auquel la situation d’un mineur isolé a été signalée décide de l’orientation du mineur concerné, laquelle peut consister, en application de l’article 375-3 du même code, en son admission à l’aide sociale à l’enfance. Si, en revanche, le département qui a recueilli la personne refuse de saisir l’autorité judiciaire, notamment parce qu’il estime que cette personne a atteint la majorité, cette personne peut saisir elle-même le juge des enfants en application de l’article 375 du code civil afin qu’il soit décidé de son orientation.

4. L’article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles définit la procédure applicable pour la mise en œuvre de l’article L. 223-2 cité ci-dessus. Il dispose que « I.-Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d’urgence d’une durée de cinq jours, à compter du premier jour de sa prise en charge, selon les conditions prévues aux deuxième et quatrième alinéas de l’article L. 223-2. / II.-Au cours de la période d’accueil provisoire d’urgence, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires en vue d’évaluer la situation de cette personne au regard notamment de ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d’origine, sa nationalité et son état d’isolement. (...) IV.-Au terme du délai mentionné au I, ou avant l’expiration de ce délai si l’évaluation a été conduite avant son terme, le président du conseil départemental saisit le procureur de la République en vertu du quatrième alinéa de l’article L. 223-2 et du second alinéa de l’article 375-5 du code civil. En ce cas, l’accueil provisoire d’urgence mentionné au I se prolonge tant que n’intervient pas une décision de l’autorité judiciaire. / S’il estime que la situation de la personne mentionnée au présent article ne justifie pas la saisine de l’autorité judiciaire, il notifie à cette personne une décision de refus de prise en charge (...). En ce cas, l’accueil provisoire d’urgence mentionné au I prend fin ». Le même article dispose que les décisions de refus de prise en charge sont motivées et mentionnent les voies et délais de recours. Il renvoie en outre à un arrêté interministériel le soin de définir les modalités d’évaluation de la situation de la personne. Cet arrêté, en date du 17 novembre 2016, prévoit en son article 6 que l’entretien d’évaluation porte au minimum sur six éléments qu’il définit.

5. Lorsque le département refuse de saisir l’autorité judiciaire à l’issue de l’évaluation mentionnée au point précédent, l’existence d’une voie de recours devant le juge des enfants par laquelle le mineur peut obtenir son admission à l’aide sociale rend irrecevable le recours formé devant le juge administratif contre la décision du département. En revanche, lorsque le département, ou le service mandaté par celui-ci, a refusé à une personne se déclarant mineure le bénéfice de l’accueil provisoire d’urgence et de l’évaluation prévus par l’article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles, la contestation de cette décision, qui relève de la juridiction administrative, ne conduit pas le juge à statuer sur la question de la saisine de l’autorité judiciaire ou sur celle de l’admission de l’intéressé à l’aide sociale à l’enfance. La circonstance que l’intéressé puisse saisir lui-même le juge des enfants pour qu’il statue sur son admission à l’aide sociale, y compris en décidant sa remise à titre provisoire à un centre d’accueil, ne rend donc pas irrecevable la contestation d’une telle décision devant le juge administratif.

6. En l’espèce, il résulte de l’instruction qu’entré sur le territoire français le 10 décembre 2019, M. X, ressortissant ivoirien, déclarant être né le 19 mai 2004, a été mis à l’abri le 23 décembre 2019 par le centre de mise à l’abri et d’évaluation de Forum Réfugiés (CMAE) puis évalué, le 31 décembre 2019. Par une décision du 6 janvier 2020, la Métropole de Lyon a refusé d’admettre l’intéressé au bénéfice de l’aide sociale à l’enfance. Ainsi, le 30 janvier 2020, M. X saisissait le juge des enfants du tribunal judiciaire de Lyon afin qu’il ordonne, dans les meilleurs délais, une mesure de protection en application des dispositions des articles 375 et suivants du code civil. Au cours de l’audience du 16 mars 2020, le juge des enfants a annoncé au conseil du requérant qu’elle ordonnait son placement. Toutefois, du fait de l’état d’urgence sanitaire, cette décision ne sera pas matérialisée. Le 5 avril 2020, la Métropole de Lyon était saisie de la situation de M. X. Ainsi, les conclusions présentées par M. X tendant à sa mise à l’abri tant du fait de la suspension de la décision du président de la Métropole de Lyon du 6 janvier 2020 que par l’injonction qui pourrait être adressée à ladite Métropole de lui fournir un logement et des conditions élémentaires de survie et d’alimentation, ne conduisent pas le juge à statuer sur la question de la saisine de l’autorité judiciaire ou sur celle de l’admission de M. X à l’aide sociale à l’enfance. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la Métropole de Lyon doit être rejetée.

S’agissant de l’urgence :

7. M. X indique sans être contredit qu’il vit dans la rue, dans des conditions difficiles, sans abri ni ressource et sans possibilité de répondre à l’obligation de confinement imposée par les directives gouvernementales. Ainsi, dès lors que l’intéressé se trouve dans une situation de grande détresse et de vulnérabilité extrême l’empêchant en outre de se protéger de l’épidémie actuelle de Covid 19, il y a lieu de considérer que la condition d’urgence requise par l’article L. 521-2 du code de justice administrative est remplie.

S’agissant de l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

8. D’une part, aux termes de l’article 375 du code civil : « Si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui même ou du ministère public (...) ». Aux termes de l’article 375-3 du même code : « Si la protection de l’enfant l’exige, le juge des enfants peut décider de le confier : / (...) 3° A un service départemental de l’aide sociale à l’enfance (...) ». L’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles dispose que : « Le service de l’aide sociale à l’enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / (...) 4° Pourvoir à l’ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation (...) ». L’article L. 222-5 du même code prévoit que : « Sont pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance sur décision du président du conseil départemental : (...) / 3° Les mineurs confiés au service en application du 3° de l’article 375-3 du code civil (...) ».

9. Il résulte de ces dispositions qu’il incombe, en l’espèce, à la Métropole de Lyon, le cas échéant dans les conditions prévues par la décision du juge des enfants, de prendre en charge l’hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l’aide sociale à l’enfance. A cet égard, une obligation particulière pèse sur ces autorités lorsqu’un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger. Lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l’accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il incombe au juge des référés d’apprécier, dans chaque cas, les diligences accomplies par l’administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l’âge, de l’état de santé et de la situation de famille de la personne intéressée.

10. D’autre part, l’article L. 111-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d’état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l’article 47 du code civil qui prévoit que : « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». Cet article pose une présomption de validité des actes d’état civil établis par une autorité étrangère. Il incombe à l’administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question.

11 Il résulte de l’instruction que M. X, sans détenteur de l’autorité parentale sur le territoire français, qui déclare être né le 19 mai 2004 a provisoirement été pris en charge par le centre de mise à l’abri et d’évaluation de Forum Réfugiés (CMAE) puis a fait l’objet, le 31 décembre 2019, d’une évaluation dont il ressort que « l’ensemble des éléments recueillis à cette étape (état civil) de l’entretien permet de confirmer l’âge allégué ». Si lors de la suite de l’entretien d’évaluation des doutes ont été émis quant à la véracité des propos de l’intéressé, ils portent essentiellement sur la composition de sa famille et son parcours migratoire. En outre, il ne résulte d’aucun élément de l’instruction que le certificat de nationalité ivoirienne et l’extrait d’acte de naissance versés au débat, qui ne sont pas contestés par la Métropole de Lyon dans ses écritures en défense et qui contredisent l’appréciation portée tant par le CMAE que par les services de la Métropole de Lyon, seraient irréguliers, falsifiés ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondraient pas à la réalité. Enfin, il ne résulte pas de l’instruction qu’ainsi qu’en fait état le conseil du requérant, le juge des enfants du tribunal judiciaire de Lyon ne se serait pas prononcé, le 16 mars 2020, en faveur d’une mesure permettant sa protection.

12. Dans ces conditions, en l’état de l’instruction, la décision du président de la Métropole de Lyon refusant de prendre en charge l’hébergement de M. X pour lequel la Métropole n’allègue pas n’avoir aucune solution à proposer, révèle une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

13. Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de suspendre l’exécution de la décision du président de la Métropole de Lyon refusant la mise à l’abri de M. X, d’enjoindre au président de ladite Métropole de proposer un hébergement d’urgence à M. X et de prendre en charge ses besoins alimentaires quotidiens essentiels, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de la présente ordonnance, dans l’attente de la matérialisation de la décision du juge des enfants. Il n’y a pas lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte. »

***

Ordonnance disponible au format pdf ci-dessous :

TA_11042020_n°2002621